Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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LES PONTS DE LA CITÉ
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

Le Pont-Neuf, qui garde son nom quoiqu'il soit âgé aujourd'hui de près de trois cents ans, est le seul pont de Paris qui subsiste intact, tel qu'il sortit des mains de l'architecte et des entrepreneurs. Les réparations ou les remaniements partiels qu'il a subis par la suite des temps n'ont altéré aucune des lignes de sa physionomie générale. La première pierre en fut posée le samedi 31 mai 1578 par le roi Henri III, accompagné de sa mère la reine Catherine de Médicis, de sa femme la reine Louise, et des principaux magistrats du royaume et de la ville.

Vues du Pont Neuf, de la Samaritaine, du Pont Royal
Comme le roi venait d'assister aux obsèques de ses favoris, Quélus et Maugiron, tués en duel, il était fort triste, et le pont projeté reçut tout de suite dans la population le nom de pont des Pleurs. C'était un projet autrefois caressé par le roi Henri II de relier par un pont le quai de l'École, l'île du Palais et le quai des Augustins.

Henri III en prit la dépense à son compte, mais elle ne le ruina pas, car trois ans après sa mort, en 1592, le principal entrepreneur du pont, nommé Guillaume Marchand, n'était pas encore payé. Du reste, les travaux du Pont-Neuf, longtemps suspendus par les troubles de la Ligue, ne furent repris qu'en vertu des lettres patentes de Henri IV du mois de mai 1598. Trois arches du grand bras restaient encore à construire en 1602 et, le vendredi 20 juin 1603, le roi put traverser le fleuve, du quai des Augustins au Louvre, sur un plancher provisoire qui ne paraissait pas bien solide. Comme on l'en voulait dissuader, en lui représentant que les simples bourgeois ne passaient là qu'en tremblant : « Mais, répondit Henri IV, il n'y en a pas un qui soit roi comme moi. »

On attribue généralement le Pont-Neuf à l'architecte Baptiste du Cerceau ; c'est une erreur aujourd'hui démontrée. L'entrepreneur Guillaume Marchand travailla sur son propre plan, ainsi que l'attestait son épitaphe dans l'église Saint-Gervais, où il était dit que Guillaume Marchand, célèbre architecte, créa deux œuvres admirables : le château royal de Saint-Germain et le Pont-Neuf de Paris. Toutefois, Guillaume Marchand étant mort en 1604, il est possible que du Cerceau, qui faisait déjà partie de la commission royale de surveillance du Pont-Neuf, ait fini par en devenir l'architecte en titre, chargé de l'achever et de l'entretenir.

Le Pont-Neuf, tel qu'il subsiste aujourd'hui, offre une longueur totale de 276 mètres depuis le quai des Augustins (rive gauche) jusqu'au quai de l'École (rive droite), divisée en trois parties, le petit bras traversé par cinq arches, le terre-plein du milieu et le grand bras traversé par sept arches. Sa largeur est de 20 mètres, également divisée en trois parties : une chaussée carrossable, large de 11 mètres, est encadrée entre deux hautes banquettes de pierre formant trottoir, de 4m,5, de large chacune, lesquelles s'évasent en demi-cercle sur chaque pile du pont. Dans le plan primitif, le Pont-Neuf devait supporter des maisons comme tous les anciens ponts de Paris, et l'on avait ménagé des caves dans les piles. Mais Henri IV défendit que les maisons fussent construites, afin de laisser la vue libre de la galerie du Louvre construite par lui, et du cours inférieur de la Seine ; les caves furent bouchées avec soin et il n'en reste plus de trace.

Dans les dernières années de son règne, le roi Louis XV fit don à l'Académie royale de peinture de la superficie des demi-rotondes surmontant des piles, pour y élever à son profit de petites boutiques. Celles-ci furent successivement louées à de modestes industries : merceries, gravures en caractères à jours, bouquinistes, jouets d'enfants, briquets phosphoriques, pastilles du sérail, cireurs de bottes, tondeurs de chiens, mais surtout à des cuisines en plein vent qui, jusqu'aux dernières années du règne de Louis-Philippe, offrirent aux passants des gaufres, des pommes de terre frites et surtout d'énormes et succulents beignets de pommes qu'on appelait les beignets du Pont-Neuf et dont la recette paraît perdue. Ces échoppes disparurent vers 1852.

Le Pont-Neuf est entièrement construit en pierres de taille ; au sommet des arches règne des deux côtés amont et aval une double corniche, saillante de 50 centimètres, soutenue par des mascarons distants de 60 centimètres l'un de l'autre, représentant des Sylvains, des Satyres, des Faunes et des Dryades, ornés de fleurs et de festons. On en compte plus de mille, et la plupart sont des chefs-d'œuvre. La tradition les attribue au grand sculpteur Germain Pilon. Il est possible que Germain Pilon ait préparé les dessins de cet ouvrage ou même qu'il l'ait commencé de ses propres mains ; mais les travaux du Pont-Neuf étaient interrompus et les arches commencées n'étaient pas encore toutes couvertes lorsque cet illustre artiste mourut en 1590.

Après que le Pont-Neuf fut livré à la circulation, Henri IV fit élever en 1606, à la deuxième arche du côté du Louvre, une pompe élévatoire, de l'invention d'un Flamand nommé Lintnaér, laquelle fournissait de l'eau aux palais du Louvre, des Tuileries et du Palais-Royal, et à une fontaine ingénieusement dessinée : elle représentait la Samaritaine de l'Écriture sainte versant de l'eau à N.-S. Jésus-Christ ; au-dessus de la fontaine, une industrieuse horloge montrait, outre les heures, le chemin que faisaient le soleil et la lune sur l'horizon, les mois et les douze signes du zodiaque ; elle sonnait aussi les heures au moyen d'un gros carillon de clochettes suspendu dans un campanile et qui exécutait des airs variés. Reconstruit en 1772, le bâtiment de la Samaritaine fut démoli en 1813 pour des motifs aujourd'hui inconnus ou bien oubliés. Le souvenir de la Samaritaine, qui fut l'une des curiosités de Paris, est conservé par l'enseigne d'un bain flottant, amarré près du quai du Louvre.

Comme on l'a vu, le Pont-Neuf s'appuie au centre sur une île qu'il traverse près de sa pointe, et qui fait aujourd'hui partie de l'île de la Cité, mais qui en était isolée autrefois, et s'appelait l'île du Palais. L'extrémité occidentale de cette île s'étend en aval en avant du Pont-Neuf, et forme au niveau de celui-ci une sorte de promontoire, en manière de place publique, d'où l'on découvre une superbe vue panoramique des deux rives de la Seine vers le couchant. Au centre de ce terre-plein ou terrain du Pont-Neuf s'élève la statue de Henri IV, dite le Cheval de bronze. Encore un chapitre d'histoire et un souvenir de vandalisme. Dès 1615, on érigea la statue équestre de Henri IV au centre du pont qu'il avait achevé. Elle était l'œuvre du sculpteur français Jean dit de Bologne, et de son élève Pierre

Établissement de la nouvelle statue de Henri IV
Tacca. Elle fut inaugurée le 23 août 1613. Quatre esclaves qui décoraient les coins du piédestal étaient l'ouvrage de trois sculpteurs : Tremblay, Bordone et Francoville (conservés au musée du Louvre).

Trois ans plus tard, la populace traîna jusqu'au Pont-Neuf le corps défiguré du maréchal d'Ancre et le brûla devant la statue. Horrible encens que les Parisiens en délire faisaient respirer au cheval de bronze ! Leurs descendants s'en prirent à la statue elle-même ; le 10 août 1792, ils firent Louis XVI prisonnier dans son palais des Tuileries, et le lendemain ils renversèrent la statue de son aïeul.

Le monument actuel a été élevé sur remplacement même de l'ancien, en vertu d'une délibération du conseil municipal de Paris du 23 avril 1814, et par souscription publique. Œuvre du sculpteur Lemot, il fut inauguré par Louis XVIII le 25 août 1818. Détail curieux, le piédestal renferme un magnifique exemplaire de la Henriade de Voltaire. Les bas-reliefs qui ornent le piédestal de cette belle statue représentent, du côté sud, Henri IV faisant distribuer des vivres dans Paris assiégé ; du côté nord, le roi vainqueur proclamant la paix sur le seuil de Notre-Dame. Un escalier à double rampe, construit en 1854 derrière la statue, conduit de la plate-forme à la pointe de l'île, transformée en jardin anglais.

Le Pont-Neuf, qui fut pour les Parisiens du temps de Henri IV la merveille architectonique de leur capitale renaissante et ressuscitée au sortir des guerres civiles, tient une large place dans leurs habitudes et dans leur langage. Il est demeuré la voie centrale de Paris et la plus fréquentée. L'ancien proverbe qu'à toute heure on est sûr de rencontrer sur le Pont-Neuf un soldat, une grisette et un cheval blanc, demeure aussi vrai que jadis ; on n'y trouve plus ni vendeurs d'orviétan, ni baladins, ni chanteurs des rues ; mais tout le monde sait ce que c'est qu'un pont-neuf, c'est-à-dire une chanson populaire, satirique, humoristique ou bachique. Se porter comme le Pont-Neuf demeure une locution courante ; elle n'en est pas plus exacte pour cela.

Après des travaux considérables, continués de 1836 à 1838, le Pont-Neuf se trouvait en 1847 dans un fâcheux état de dégradation qui nécessita six années de travail de 1848 à 1854. Une grande émotion agita tout Paris en 1885 lorsqu'on apprit que le Pont-Neuf avait failli s'écrouler. Il ne s'agissait heureusement que d'un affaissement de deux arches du petit bras, à la suite d'affouillements causés par l'établissement des barrages en amont et en aval. Aujourd'hui tout est réparé, et le Pont-Neuf a repris possession de sa renommée de solidité séculaire.

En face de la statue d'Henri IV, entre deux maisons qui forment : celle de gauche l'angle du quai de l'Horloge, celle de droite l'angle du quai des Orfèvres, s'ouvre, par une sorte de rue de médiocre largeur, une place triangulaire nommée la place Dauphine, en face de laquelle on aperçoit le grand escalier du Palais de Justice, dont elle est séparée par la rue de Harlay. A cette dernière rue, qui remplace un petit bras de la Seine, s'arrêtait autrefois l'île du Palais, formée elle-même par la réunion de plusieurs îlots successivement asséchés et atterris. La pointe de l'île avait aussi sa destination, qui était de supporter la statue du roi Henri IV ; le surplus de l'île, entre le Pont-Neuf et le petit bras de la Seine, formait un lieu désert et comme inutile, au dire du Père du Breul. Henri IV, qui n'avait pas réussi à attirer les manufacturiers, banquiers et changeurs à la place Royale, pensa que les terrains de l'île du Palais rempliraient mieux son dessein. Il fit mettre en adjudication, le 10 mars 1607, les 3,120 toises et demie qui la composaient, à la condition d'un sou par toise de cens et rente perpétuelle, et d'y bâtir des maisons symétriques en pierres et briques, telles que nous les voyons aujourd'hui.

Le président Achille de Harlay fut déclaré adjudicataire et se mit à l'œuvre sur-le-champ, puis il donna son nom à la rue qui, comblée avec les terrains d'une autre île voisine, qu'on détruisit pour dégager le cours du grand bras, opéra la jonction définitive de l'île du Palais avec celle de la Cité. La place reçut du roi lui-même le nom de place Dauphine, en l'honneur du petit Dauphin son fils, qui fut le roi Louis XIII. Les maisons construites par le président Achille de Harlay ont presque toutes gardé la pureté de leur architecture caractéristique du style Henri IV ; elles sont élevées de deux étages carrés au-dessus de l'entresol, et surmontées d'un haut comble, dont les fenêtres à frontons s'ouvrent en coupant la ligne supérieure des chéneaux. Les murs sont de briques avec pierres d'angle en pierre de taille. Les maisons qui portent les numéros 15, 19 et 26 sur la place sont

Le Pont Neuf, vu de la pointe de lîle
particulièrement conservées, ainsi que les deux maisons d'entrée du côté du Pont-Neuf, n° 13 et 15. L'idée d'Henri IV réussit mieux à la place Dauphine qu'à la place Royale ; car, depuis le commencement du XVIIe siècle jusqu'à nos jours, la place Dauphine et ses deux quais latéraux furent occupés par les orfèvres et les argentiers, dont le commerce se confondit longtemps avec celui des changeurs.

D'ailleurs, ces quais eux-mêmes jusqu'à la rue de Harlay ont été construits en même temps que le Pont-Neuf ; commencés en 1580, ils furent achevés en 1611.

L'île du Palais a son histoire ; elle appartenait anciennement à l'abbaye de Saint-Germain des Prés. Elle n'était ni bâtie ni cultivée lorsque le roi Philippe le Bel la jugea convenable pour une terrible exécution. C'est dans cette île, qui confinait au jardin du Palais, qu'il fit conduire et brûler vifs, le 18 mars 1314, Jacques de Molay, grand maître des Templiers, et Guy, commandeur de Normandie. L'abbaye jeta les hauts cris contre cette violation de sa propriété, et le roi s'en excusa, déclarant n'avoir pas voulu préjudicier aux droits du propriétaire.

La place Dauphine a quelques souvenirs moins affreux. Une estampe de Marot nous a conservé la superbe décoration de la place Dauphine, de son arc de triomphe et de son obélisque pour l'entrée solennelle de Louis XIV au Parlement le jour de son mariage avec l'infante d'Espagne. Sous le règne de son prédécesseur le roi Louis XIII, les badauds parisiens avaient ri aux éclats devant la tente foraine que déployaient, les jours de beau temps, l'opérateur Mondor et son associé Tabarin.

En ce même lieu, c'est-à-dire presque en face de la place Dauphine et dans sa partie la plus large, le Premier Consul fit ériger en 1802, par les architectes Percier et Fontaine, un monument à la mémoire du général Desaix, tué à la bataille de Marengo. C'était une fontaine formée d'une colonne, que surmontait le buste du général Desaix couronné par la France, groupe sculpté par Fortier. On y lisait les dernières paroles du héros expirant : « Allez dire au Premier Consul que je meurs avec le regret de n'avoir pas fait assez pour la postérité ! » La fontaine Desaix a été enlevée dans les remaniements subis par ce quartier, et nul ne sait ce qu'elle est devenue.


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