Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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LE PALAIS DE JUSTICE
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

De même que la pointe orientale de la Cité fut toujours occupée par un édifice religieux, temple païen ou bien église chrétienne, l'extrémité occidentale de l'île parisienne reçut, dès les premiers temps de la conquête romaine, un palais destiné au gouvernement et à la justice. Plusieurs des anciens historiens de Paris avaient pressenti ce fait ; d'autres le considéraient comme imaginaire. Il n'est plus possible de le contester aujourd'hui. Les fouilles pratiquées en 1847 pour l'agrandissement du Palais de Justice découvrirent les traces d'un monument considérable, la plus grande partie sur son emplacement actuel, notamment au sud-est, dans la cour de la Sainte-Chapelle ; fragments de colonnes, corniches, inscriptions, etc.

C'était évidemment un grand édifice public, dont les murs, appareillés en pierre avec une extrême précision, étaient recouverts d'un enduit rehaussé de peintures, comme ceux des maisons de Pompéi. La force des choses explique

Palais de Justice
que les premiers rois franks, s'établissant à Paris après en avoir chassé les Romains, aient dès l'abord fixé leur résidence au siège visible de la puissance publique, à la fois palais et forteresse.

L'île de la Cité se terminait en ce temps-là à la rue de Harlay, qui occupe l'emplacement comblé d'un petit bras de la Seine, au delà duquel s'étendaient deux îles inhabitées dont la réunion forma plus tard la place Dauphine et le terre-plein d'Henri IV. Le palais primitif, environné d'eau et isolé de trois côtés par le fleuve, n'avait donc à protéger et à défendre que son flanc oriental.

Il est certain que les rois des deux premières races habitèrent à des intervalles plus ou moins longs le palais de la Cité, et que les Capétiens y fixèrent leur résidence ordinaire. Saint-Louis le fit reconstruire en entier, et c'est seulement au règne de ce prince que remontent les parties les plus anciennes de l'édifice. Philippe le Bel, ayant constitué l'ancien Parlement royal en un corps de justice régulier et permanent, compléta l'œuvre de son aïeul en élevant les bâtiments nécessaires pour que les nouveaux tribunaux y exerçassent leur mission, non seulement avec dignité, mais avec magnificence. Les rois continuèrent d'habiter le palais et d'y vivre dans la même enceinte que leurs juges pendant plus d'un demi-siècle. Le roi Charles V ayant préféré d'autres résidences, le palais de la Cité demeura tout entier à-la disposition du Parlement et des autres cours, souveraines ou subordonnées.

Le Palais occupe environ le tiers de la superficie totale de la Cité. Circonscrit à l'orient par le boulevard du Palais, sur lequel se trouve sa principale entrée, à l'occident par la rue de Harlay, au nord par le quai de l'Horloge, au midi par le quai des Orfèvres, il dessine une masse quadrilatérale, où tous les styles se juxtaposent ou se confondent, depuis les tours féodales du quai de l'Horloge jusqu'aux bâtiments neufs entrepris sous Napoléon III, et encore inachevés. A gauche de cette agglomération s'élève, isolée, la Sainte-Chapelle, admirable témoignage de l'art et de la piété du moyen âge. Quelques parties de l'ancien palais sont conservées comme substructions dans les bâtiments du nord, du côté de la Seine. La grille d'honneur et le pavillon central avec sa façade monumentale, au fond de la cour qui donne sur le boulevard du Palais, furent construits sous le règne de Louis XVI ; la partie nord, depuis l'Horloge qui forme le coin du quai jusqu'à la troisième tour en arrière, a été restaurée ou refaite dans le cours de ces trente dernières années ; tout le reste est entièrement neuf.

Les grilles dorées du boulevard du Palais, supportant des écussons aux armes de France, s'ouvrent sur une vaste cour nommée la cour du Mai, parce que l'usage voulait, avant la Révolution, que les clercs de la Basoche y plantassent au mois de mai un arbre de cinquante pieds de haut, chargé de fleurs et d'écussons. C'est aujourd'hui la cour d'honneur du Palais. Deux murailles latérales, en forme de portique avec arcades, desservent les deux côtés de la cour et aboutissent sur le boulevard à deux pavillons d'ordre dorique, à fronton triangulaire. Au fond de la cour un grand escalier de pierre conduit au vestibule, qui ouvre sur un avant-corps orné de quatre colonnes doriques supportant un entablement à balustrade, chargé de quatre statues allégoriques : la Force et l'Abondance par Berruyer, la Justice et la Prudence par Lecomte. Le tout est surmonté d'un dôme ou pavillon quadrangulaire, dont la base est décorée par des sculptures de Pajou. Le bâtiment central, avec son escalier majestueux, les portiques, les pavillons et la grille sont l'œuvre de Moreau, Couture et Des maisons, architectes du roi Louis XVI.

Au pied de l'escalier, dans l'angle droit et dans l'angle gauche de la cour apparaissent deux grilles demi-circulaires. Derrière la première, une salle basse, longue et triste, sert aux audiences du Tribunal de simple police. La grille de droite accède aux bâtiments et aux prisons de la Conciergerie. En aile du pavillon de gauche, longeant le boulevard du Palais, un bâtiment neuf, dépourvu de style, se développe jusqu'à la rue de la Sainte-Chapelle sur laquelle il tourne et continue avec la même façade nue et triste. On en connaîtra tout à l'heure la destination. Au delà du pavillon de droite est une belle façade, du même style que le pavillon central, et échancrée par une vaste baie demi-circulaire qui dessine au dehors l'extrémité colossale de la salle des pas perdus. Ensuite elle rencontre les anciens bâtiments du Parlement, entièrement refaits par MM. Duc et Dommery, vers 1852, dans le style des dernières années de la Renaissance, et qui se continuent en retour d'équerre sur le quai de l'Horloge jusqu'à la première tour de la Conciergerie. A l'encoignure, l'œil est attiré par les élégantes proportions de la tour carrée, supportant une horloge devant laquelle il faut s'arrêter pour le plaisir des yeux et l'intérêt des souvenirs.

En cette tour, dont le dessin appartient à l'architecture militaire du XIVe siècle, un artiste allemand, nommé Henri de Vic, posa en 1370, par ordre du roi Charles V, la première grosse horloge qu'on ait vue à Paris, et c'est d'elle que le quai septentrional tient son nom de quai de l'Horloge du Palais, en abrégé quai de l'Horloge. La cloche alors suspendue dans la partie qui surmonte la tour sonna, dit-on, le massacre des protestants dans la nuit du 24 août 1572. On voit, à la hauteur du premier étage de la tour, un cadran sculpté, peint en bleu et doré, copié sur celui qu'y avait fait placer Henri III. Il est abrité par un auvent

L'horloge de la tour carrée

pareillement historié, dont le pendentif représente le Saint-Esprit, auquel Henri III consacra, comme on sait, un ordre de chevalerie ; la colombe descend d'une couronne de lauriers.

Le cadran est de forme carrée, du diamètre d'un mètre et demi, orné au centre de rayons flamboyants et dorés ; les aiguilles en cuivre repoussé et bronzé, la grande en fer de lance, la petite terminée en fleur de lis, marquent les heures sur des chiffres romains colorés en relief sur la pierre. Les deux ravissantes statuettes qui accostent le cadran sont la Force et la Loi ; la première tient la main de Justice et la table de la Loi, sur laquelle est inscrit ce précepte : Sacra Dei celerare pins regale time jus ; la Justice porte la balance et le glaive. Elles ont été restituées par M. Toussaint, d'après les originaux de Germain Pilon dont il ne restait que des fragments mutilés, Le cadran et ses statuettes sont placés dans un petit édicule d'une extrême élégance, où l'on reconnaît aisément l'idée première, le type des horloges portatives qui, sous le règne de Louis XIII et de Louis XIV, furent appelées des « religieuses ». Le fronton de l'édicule, surmonté des deux écus accolés de France et de Pologne sommés d'une couronne royale, contient cette inscription latine, composée par Passerat :

Qui dedit ante duas, triplicem dabit ille coronam.

Enfin, le stylobate de l'édicule est coupé en son milieu par un carré de marbre noir, contenant cette inscription du même poète :

Machina quae bis sex tam juste dividit boras
Justitiam servare monet legesque tueri.

Ce délicieux spécimen des arts compliqués et délicats de la Renaissance française a été restauré en 1852, avec un plein succès, par les architectes Duc et Dommery.

Contournant la tour, dont le rez-de-chaussée était occupé, vers 1830, par la célèbre maison d'optique et de physique de l'ingénieur Chevalier, : en suivant le quai de l'Horloge, d'où l'on jouit d'une vue remarquable sur la Seine, depuis l'Hôtel de Ville jusqu'au Louvre, on rencontre d'abord une porte ou plutôt une poterne au cintre surbaissé ; c'est l'entrée de la Conciergerie ; puis deux tours coiffées d'un toit conique, qui remontent probablement plus haut qu'au règne de Charles V, entre lesquelles un autre arc surbaissé formait naguère l'entrée de la Conciergerie, maintenant condamnée par une grille dormante. La première tour s'appelle la tour de César, la seconde la tour d'Argent.

Un vaste bâtiment neuf, à huit croisées de façade, est séparé des nouveaux bâtiments de la Cour de cassation par une troisième tour, à poivrière aussi, et, de plus, crénelée de larges créneaux ; c'est la tour Bonbec, dont le nom est souvent estropié de la manière la plus plaisante, non seulement par de vulgaires ignorants, mais aussi par quelques écrivains en crédit. La vérité est qu'elle s'appelait Bonbec parce qu'étant fortifiée elle avait de quoi se défendre, expression familière au moyen âge, et qui s'explique d'elle-même.

Les bâtiments neufs de la Cour de cassation, ornés d'une colonnade corinthienne, avec fronton décoré des armes impériales, s'étendent, avec retour d'équerre, sur la rue de Harlay, qui, aujourd'hui comme aux temps gallo-romains et comme au moyen âge, marque la limite occidentale du palais royal, devenu le Palais de Justice. A l'autre bout de la rue de Harlay, c'est-à-dire à l'encoignure de la rue des Orfèvres, les bâtiments inachevés de la Préfecture de police forment pendant à ceux de la Cour de cassation.

Entre les deux s'élève une façade monumentale commencée en 1865 et achevée en 1875 ; elle comprend huit colonnes engagées et deux pilastres d'angle, à chapiteaux d'un style inclassé, reliés par des arcs qui supportent un riche entablement surmonté d'un chéneau. Cette façade est percée d'une porte principale, de deux portes latérales, et de six grandes ouvertures décorées inférieurement par des statues allégoriques de la Prudence et de la Vérité par Dumont, du Châtiment et de la Protection par Jouffroy, de la Force et de la Justice par Jaley. Elle porte sur un soubassement très élevé, au sommet duquel on parvient par un vaste perron communiquant aux trois entrées de la façade.

L'aspect imposant de cette décoration ne saurait en masquer l'inutilité et l'on peut dire la disconvenance. Un escalier à découvert, haut de 10 mètres, n'est d'aucun emploi habituel sous un climat où la pluie, le vent, la grêle ou la neige sévissent en moyenne de deux jours l'un.

Le Palais de Justice, en son état actuel, présente une triple destination : il est à la fois sanctuaire des lois, préfecture de police et prison. Par une corrélation curieuse, il présente trois parties absolument distinctes comme date et comme caractère architectural : 1° la partie ancienne (y compris la Sainte-Chapelle), remaniée et restaurée, en équerre sur le boulevard du Palais et le quai de l'Horloge, laquelle remonte en élévation jusqu'au règne de Charles V, et souterrainement jusqu'à celui de Saint-Louis ; 2° le palais central, avec ses ailes, son pavillon et sa grille de façade, appartenant au règne de Louis XVI ; 3° la partie moderne, qui dessine tout le surplus du périmètre, à savoir la partie gauche de la façade sur le boulevard du Palais, la rue de la Sainte-Chapelle et le quai des Orfèvres, toute la rue de Harlay, et regagne en retour d'équerre, sur le quai de l'Horloge, la tour Bonbec et la Conciergerie.

La révolution judiciaire accomplie de 1789 à 1799, et successivement complétée sous le premier Empire, a supprimé beaucoup de juridictions particulières ; mais elle en a créé de nouvelles. Pour comparer les unes et les autres, il faudrait se livrer à un travail qui n'a pas sa place ici. Il se résume en ceci que les anciennes juridictions, groupées par compétence, étaient au nombre de dix-sept et qu'on en compte dix-huit aujourd'hui, qui sont : la Haute Cour de justice, la Cour de cassation, la Cour des comptes, le Conseil d'État, le Tribunal des conflits, les Cours d'appel, les Cours d'assises, les Conseils de guerre, les Conseils de révision, les Tribunaux maritimes, le Conseil des prises, les Tribunaux de première instance, les Conseils de préfecture, les Tribunaux de commerce, les

La Seine vue du quai de l'Horloge
Justices de paix, les Conseils de prud'hommes et les Tribunaux de simple police.

Paris les possède toutes, à l'exception des Tribunaux maritimes et du Conseil des prises. Le Palais de Justice n'en abrite que cinq, à savoir : la Cour de cassation, la Cour d'assises, le Tribunal de première instance et le Tribunal de simple police ; elles suffisent à remplir les salles de l'immense édifice. Qu'on en juge. La Cour de cassation, divisée en trois chambres, compte quarante-huit conseillers, un premier président, trois présidents de chambre, un procureur général, six avocats généraux, un greffier en chef, quatre greffiers d'audience, trois secrétaires du parquet, un bibliothécaire, huit huissiers, un receveur de l'enregistrement et des amendes ; en tout soixante-dix-sept magistrats ou employés.

La Cour d'appel, divisée en sept chambres, se compose d'un premier président, de sept présidents de chambre, de soixante-quatre conseillers, un procureur général, sept avocats généraux, onze substituts faisant le service des audiences et du parquet, un greffier en chef et quatorze commis greffiers ; ensemble cent-six magistrats employés. Le personnel du Tribunal de première instance est encore plus nombreux ; divisé en onze chambres, il comprend un président, onze vice-présidents, soixante-deux juges et quinze suppléants, un procureur de la république, vingt-six substituts, un greffier en chef et quarante-cinq commis greffiers ; ensemble cent soixante deux magistrats ou employés.

Quant au Tribunal de simple police, il est présidé à tour de rôle par chacun des vingt juges de paix de Paris, deux commissaires de police faisant fonctions de ministère public ; il a deux greffiers et un secrétaire : ensemble six personnes. A ce personnel fixe de trois cent cinquante et un magistrats, greffiers et secrétaires, joignez l'armée flottante de quelques centaines d'avocats, avoués, huissiers, leurs clercs et petits clercs, cheminant comme une noire fourmilière à travers un labyrinthe d'escaliers, de chambres et de couloirs, on comprendra que le Palais de Justice, agrandie de demi-siècle en demi-siècle, se trouve toujours trop étroit pour les services multiples qui s'y concentrent.

L'histoire monumentale du Palais de Justice procède par incendies. Le plus ancien éclata dans la nuit du 5 au 6 mars 1618 ; il consuma la grande salle et la plupart des bâtiments y attenant. Le second, qui se déclara le 27 octobre 1737, dévora les bâtiments de la Chambre des comptes, situé au fond de la cour de la Sainte-Chapelle, charmant édifice construit au XVe siècle par Jean Joconde, religieux de l'ordre de Saint-Dominique.

 


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