Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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NOTRE DAME DE PARIS
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

Athènes avait le Parthénon, temple consacré à la vierge protectrice de la ville, à Minerve, ou Pallas Athéné. Tant que le Parthénon fut debout, Athènes garda son illustration et sa suprématie. Paris possède Notre-Dame, la prodigieuse basilique qui mit la ville capétienne sous la protection de sainte Marie mère de Dieu, et tant que Notre-Dame élèvera vers le ciel ses deux tours, comme des bras suppliant la miséricorde céleste, Paris subsistera, quels que soient les tempêtes et les événements, la fureur des hommes et des choses. Les Perses détruisirent l'antique Parthénon ; mais Périclès le rebâtit plus magnifique. Hélas ! si Notre-Dame de Paris venait à périr, qui la rebâtirait ? Où serait l'architecte ? où seraient les hommes ? où serait l'argent ? où seraient la puissance, la volonté, la foi ? Il semble que le peuple parisien ait la conscience intime de cette identité de la cathédrale avec les destinées de la ville.

A nulle époque de notre histoire, Notre Dame de Paris n'a couru les dangers qui, tout autour de son sanctuaire, n'épargnèrent pas d'autres monuments non moins dignes de tout respect et de toute admiration. La révolution, qui proscrivit les prêtres, brisa les statues des saints et des rois inscrits au portail de Notre Dame de Paris, mais respecta les murs de la cathédrale ; elle ne lui infligea que la profanation, purement morale, d'un évêque constitutionnel, et, plus tard, la jonglerie des Théophilanthropes, qui la transforma en Temple décadaire de la Raison. Si le monument, par la suite des âges, eut à souffrir de mutilations aujourd'hui

Notre Dame de Paris.
Les animaux fantastiques de l'aire de plomb
réparées, ce fut d'un vandalisme officiel, et qui, très persuadé de sa mission, comme tous les fanatismes, se croyait appelé à assurer le triomphe du « bon goût » sur la barbarie gothique.

C'est à lui cependant, c'est à ce vandalisme impénitent qui a détruit tant de chefs-d'œuvre et qui n'a pas encore désarmé depuis que la Notre Dame de Paris de Victor Hugo donna, il y a cinquante ans, le signal de la résistance, que Paris doit la première découverte de ses antiquités monumentales. En 1711, les architectes du roi, voulant construire dans le chœur un caveau pour la sépulture des archevêques, y creusèrent une tranchée ; on fouilla jusqu'à cinq mètres, et le 16 mars, la pioche des ouvriers rencontra, à deux mètres du sol, deux anciens murs appliqués l'un à l'autre, qui traversaient ensemble toute la longueur du chœur ; un de ces murs avait un mètre et demi d'épaisseur, l'autre environ quatre-vingts centimètres ; celui-ci paraît avoir été le plus ancien, car ce fut là qu'on trouva employées, au lieu de libage, neuf pierres antiques, chargées de bas-reliefs ou d'inscriptions.

Ces précieux monuments, taillés dans une pierre analogue à la pierre tendre de Saint-Leu, sont placés dans la grande salle du palais des Thermes, dépendant du musée de Cluny.

A quelle époque l'autel de Jupiter fut-il renversé ? On l'ignore, mais évidemment sa disparition coïncide avec l'introduction du christianisme dans la ville ; des titres authentiques prouvent qu'il était remplacé par une église dès la fin du ive siècle. Cette église primitive fut reconstruite par Childebert Ier avec une magnificence que décrit l'évêque poète Fortunatus. En 1847, les substructions de cette splendide basilique aux colonnes de marbre furent mises au jour par des fouilles entreprises au parvis Notre Dame de Paris. Les fondations de l'église de Childebert, enfouies là depuis dix siècles, se confondaient avec celles de plusieurs maisons romaines qu'on avait rasées pour élargir son emplacement.

On retrouva une partie de la mosaïque en petits cubes de marbre de diverses couleurs dont le sol des nefs était pavé, trois colonnes en marbre d'Aquitaine, qu'on appelle grand antique, et un chapiteau corinthien en marbre blanc de sculpture mérovingienne. Les colonnes et le chapiteau sont exposés sous les n°s 410, 411, 412, au musée de Cluny, qui les indique sur son catalogue non pas comme provenant de la basilique de Childebert, selon l'opinion de Guilhermy, mais du temple païen qui aurait précédé cette basilique. La plus complète de ces colonnes a conservé son astragale et son chapiteau corinthien dans le style latin, particularité qui semble donner raison au catalogue de Cluny.

Vers la fin du VIe siècle, l'emplacement actuel de la cathédrale était occupé par deux édifices distincts : l'un, sous le vocable de Saint-Étienne, et le plus important, s'élevait au midi ; l'autre, titré de Sainte-Marie, plus à l'orient et vers le nord. C'est dans la nef de Saint-Étienne que s'assembla, en l'an 829, le célèbre concile de Paris. En 857, alors que Paris était ravagé par les Normands, l'évêque Énée ne put racheter, que Saint-Étienne et laissa brûler Sainte-Marie. Celle-ci ne tarda cependant pas à sortir de ses ruines et fut généralement désignée sous le nom d'église neuve, par opposition à celle de Saint-Étienne, qui était beaucoup plus ancienne. Les rois capétiens avaient pris en affection l'église de la Vierge, à laquelle l'archidiacre Étienne de Garlande, mort en 1142, fit faire d'importantes réparations, et à laquelle l'abbé Suger donna un très beau vitrail. Ce fut Maurice de Sully, évêque de Paris de 1160 à 1196 et le soixante-douzième successeur de saint Denis, qui conçut le projet d'édifier une grande cathédrale sur l'emplacement des deux églises, en les réunissant.

Son épitaphe, gravée dans l'église abbatiale de Saint-Victor, disait qu'il commença le premier la grande basilique de Sainte-Marie. Qu'il ait conçu cette œuvre énorme, c'est là sa gloire ; qu'il l'ait pour ainsi dire achevée, c'est le miracle ; il eut du moins la consolation de la voir sortir de terre et s'élancer vers les cieux. En effet, la première pierre de Notre-Dame fut posée l'an 1163 par le pape lui-même, par Alexandre III, réfugié en France. Dix-neuf ans plus tard, en 1182, quatre jours après la Pentecôte, le maître-autel de Notre Dame de Paris fut consacré par Henri, légat du Saint-Siège. En 1185, le patriarche de Jérusalem, Héraclius, venu pour prêcher à Paris la troisième croisade, officia dans le chœur de la cathédrale. Dix ans après, l'abside était terminée et la nef très avancée.

Notre-Dame de Paris

Maurice de Sully mourut alors (1196), laissant par testament cinq mille livres pour couvrir le chœur d'une toiture de plomb.

Les travaux, continués sous Eudes de Sully, successeur de Maurice, se poursuivirent sous l'épiscopat de Pierre de Nemours (1208-1219) par la construction de la grande façade, tournée vers l'Occident et vers la place du Parvis. On fit alors disparaître les restes de l'ancienne église Saint-Étienne pour déblayer le terrain du côté du sud, mais non pas si complètement qu'on n'en ait retrouvé les vestiges lorsqu'on pratiqua les fouilles nécessaires pour la construction de la nouvelle sacristie. La démolition de 1218 ramena au jour des reliques importantes, entre autres quelques pierres qui avaient servi à la lapidation de saint Étienne et qui furent portées le 4 décembre dans l'église neuve.

A la mort de Philippe-Auguste en 1223, le grand portail était à peu près terminé jusqu'à la corniche inférieure de la galerie qui réunit les deux tours. Le gros œuvre pouvait être considéré comme achevé ; cent vingt ans s'étaient écoulés depuis la pose de la première pierre. A cette époque, on s'aperçut que les portails du transept, donnant l'un au midi, du côté de la Seine, l'autre au Nord, sur la rue du Cloître, construits en style roman, contrastaient par la sévérité de leur architecture avec la riche ornementation de la grande façade, ce qui est attesté par une inscription sculptée qui sera transcrite plus loin. Le courage et la générosité de ces cœurs d'artistes n'hésitèrent pas un instant.

La reconstruction générale des parties romanes fut décidée. Le second jour des ides de février de l'an de grâce 1257, maître Jean de Chelles commença la reconstruction par le portail méridional du transept, Saint-Louis étant roi de France et Renaud de Corbeil évêque de Paris. Le portail septentrional, la Porte Rouge et les premières chapelles, qui, de chaque côté, suivent immédiatement le transept, ont été construits à la même époque et par le même architecte. Les deux derniers étages des tours et leurs galeries intermédiaires appartiennent aussi à la seconde moitié du XIIIe siècle. Les chapelles absidales s'achevèrent dans les dernières années du XIIIe siècle et dans les premières années du siècle suivant.

Ainsi parachevée, Notre-Dame demeura intacte dans sa majestueuse unité jusqu'au règne de Louis XlV. Mais les plans adoptés pour l'exécution du vœu de Louis XIII firent subir à la cathédrale, à partir de l'année 1699, une suite ininterrompue de dégradations systématiques. De 1699 à 1753, la cathédrale perdit ses anciennes stalles du XIVe siècle, son jubé, la cloison à jour du rond-point, l'antique maître-autel avec ses colonnes de cuivre et ses châsses, tous les tombeaux du chœur, les vitraux de la nef, du chœur et des chapelles. Cette dernière mutilation est relatée avec un sang-froid incroyable par Piganiol de la Force. « En 1728, dit-il, on gratta, on reblanchit le dedans du chœur et de la croisée, et en 1731 on a fait la même réparation (!) dans la nef. On a aussi fait mettre tous les vitraux en verre blanc. » On connaît même l'auteur de cet étrange travail ; Piganiol lui avait fait tort en ne transmettant pas son nom à la postérité.

Ce n'était pas le premier venu : il se nommait Levieil ; auteur d'un Traité pratique et historique de la peinture sur verre, c'est lui qui, en 1741, sur l'ordre du chapitre, détruisit les vitraux anciens, auxquels il substitua de beaux verres blancs avec chiffres et bordure fleurdelisés. Ce connaisseur barbare e même dressé l'inventaire des vitraux démolis par lui, entre autres deux figures colossales de dix-huit pieds de haut, représentant des évêques et beaucoup d'autres spécimens d'un art très ancien, puisque Levieil leur assignait la date de 1182.

Enfin, en 1845, le gouvernement du roi Louis-Philippe obtint de la Chambre un crédit de cinq millions de francs pour restaurer Notre-Dame, consolider les parties qui menaçaient ruine et rétablir, dans la mesure du possible, l'ornementation primitive de cet admirable monument.

Les travaux de restauration, confiés à MM. Lassus et Viollet-le-Duc, furent terminés sous le règne de Napoléon III ; ils font un honneur infini aux habiles et savants artistes qui ont été assez heureux pour les conduire à leur entière perfection, et seront pour eux un titre de gloire devant la postérité.

Le premier aspect de Notre-Dame saisit vivement l'imagination. Il existe, au sein même de l'art gothique, des édifices plus vastes, mais non de plus beaux. La justesse des proportions, la grâce et l'harmonie du style, la hardiesse de son plan général, la légèreté aérienne de ses galeries, le peuple immense de statues qui l'habite et l'anime, la majestueuse altitude de ses tours, semblables aux donjons de quelque gigantesque château fort, voilà bien des sources d'étonnement et d'admiration. Eh bien, tout cela n'est rien. C'est son unité qui fait tout ; on dirait que la cathédrale a été conçue d'un seul jet et exécutée de même. Un siècle a suffi pour l'édification de cette ville de pierre ; mais ce siècle était lui-même un siècle de force et d'unité, un siècle de vaillance et de foi, de foi

Tour méridionale de Notre Dame de Paris
artistique non moins que de foi religieuse. Nulle incertitude, nulle variation dans la notion du droit et du devoir.

L'année succède à l'année, l'architecte à l'architecte, l'imagier à l'imagier, le maçon au maçon, l'évêque à l'évêque, le roi au roi, sans que nul changement, nulle déviation, nulle contradiction ne viennent altérer la conception primitive, non plus que l'autorité de l'évêque ou la puissance du roi. La tradition se transmet d'esprit à esprit, de volonté à volonté, de main à main ; l'œuvre et l'ouvrier du lendemain continuent l'œuvre de l'ouvrier de la veille. Que si quelque différence, non dans le plan qui est immuable, mais dans l'ornementation qui conserve quelque chose de flottant et de flexible, vient à se manifester à la longue entre les parties anciennes et les parties récentes de l'édifice, personne n'hésite ; le temps, la dépense, la fatigue et la peine ne sont comptés pour rien par ces artisans de génie qui s'appellent légion ; il se trouve un Jean de Chelles pour les commander, et l'on recommence jusqu'à ce qu'on ait reconquis l'unité caractéristique, l'indomptable passion de cet étonnant XIIIe siècle.

La simplicité du plan de la cathédrale est égale d'ailleurs à son audace, à sa magnificence et à sa solidité. Trois portails, trois galeries, trois nefs. A contempler cette montagne de pierres, qui semble un marchepied vers le ciel, a dit un publiciste, l'âme s'humilie et s'élève à la fois. Le croyant se prosterne devant le plus imposant sanctuaire que la piété chrétienne ait élevé jusqu'au Seigneur sous l'intercession de la Vierge Mère, de Notre-Dame de Paris ; l'artiste se trouble ou s'étonne devant cette immortelle manifestation de l'art et du génie français, épanouissant sa puissante originalité en dehors de tout modèle comme de toute tradition, de toute influence étrangère.

Le dessin de l'édifice est une croix latine ; en voici les principales dimensions : façade, 40 mètres ; longueur totale dans œuvre, 130 mètres ; largeur d'une extrémité à l'autre du transept, 48 mètres ; élévation de la maîtresse voûte, 35 mètres ; élévation des tours au-dessus de la maîtresse voûte, 34 mètres ; hauteur totale des tours, 69 mètres ; longueur du chœur, 28 mètres sur 12 mètres de largeur. Superficie totale, 6,240 mètres carrés, donnant un cube de 218,400 mètres dans œuvre, non compris la surélévation des tours.

La cathédrale contient 5 nefs, 37 chapelles, 3 roses dont le diamètre est pour chacune de 13 mètres et demi ; 113 fenêtres, 75 colonnes ou piliers libres, non compris les colonnes engagées ; une tribune à jour régnant le long des murs de la nef centrale, et dont les baies sont séparées par 108 colonnettes. Cette énumération, qui ne parle ni au cœur ni aux yeux, est cependant nécessaire pour donner à l'esprit quelque idée matérielle de cette construction cyclopéenne.

Les ornements dont elle est revêtue au dedans et dehors, contreforts, clochetons, gargouilles, pinacles, balustrades, colonnettes monostyles ou groupées, pignons, feuillages, corniches, consoles, figures d'hommes ou d'animaux, défient tout essai de dénombrement, sinon de description. Cependant, avant de l'essayer, en commençant par la façade principale, il faut que le curieux sache que les cathédrales chrétiennes ne sont pas seulement des monuments, mais des livres de pierre faits pour être déchiffrés par les yeux d'un peuple ignorant et fervent qui ne savait pas lire.

 


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