Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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L'ÎLE DE LA CITÉ, ÎLE SAINT LOUIS
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

L'île de la Cité se terminait autrefois à l'alignement de la rue de Harlay, où coulait un petit bras de la rivière, séparant le palais de deux îlots qui y furent réunis vers le dernier tiers du XVIe siècle.

Dans l'état actuel, la Cité embrasse une superficie d'environ 26 hectares, qui, d'après la moyenne proportionnelle de la population parisienne, qui est de 290 habitants par hectare, devrait porter 7,540 habitants. Il s'en faut de beaucoup que cette moyenne soit atteinte ; on n'y comptait plus (à la date du 30 mai 1886) que 5,612 habitants, y compris 532 détenus aux prisons de la Conciergerie et du Dépôt, 508 malades à l'Hôtel-Dieu, 515 hommes de la garde républicaine et des sapeurs-pompiers, etc. Toute déduction faite, la Cité ne possède pas plus de

La Sainte-Chapelle, à l'entrée du Palais de Justice

3,770 habitants. Cette dépopulation s'explique aisément : les grands travaux exécutés depuis le commencement du présent siècle ont énormément réduit le nombre des voies publiques et des habitations privées ; le sol de la Cité ne supporte plus guère que des monuments publics isolés l'un de l'autre par de vastes espaces.

Avant la révolution française, la Cité renfermait, outre la cathédrale et le palais de Justice, vingt églises, dont douze paroissiales, le palais de l'archevêque de Paris, deux hôpitaux, deux communautés d'hommes, quatre chapelles, un marché, quatre places publiques, une bibliothèque, une prison, quarante-six rues, auxquelles on accédait par sept ponts, et environ quinze mille habitants. Elle ne compte plus aujourd'hui qu'une église et une chapelle, un hôpital, deux palais, deux casernes, quatre places, six quais, un boulevard, treize rues et 5,612 habitants. Il est vrai qu'elle communique avec les deux rives de la Seine par neuf ponts, en ne comptant que pour un seul les deux moitiés du Pont-Neuf, séparées par une place ; enfin l'unique église est l'église Notre-Dame, et l'unique chapelle est la Sainte-Chapelle, deux merveilles de l'art gothique et de l'histoire monumentale de Paris.

Quoiqu'il ne subsiste rien de la vieille cité gallo-romaine, ni du temple élevé à son extrémité orientale, ni du palais qui lui faisait pendant à l'autre bout, le plan primordial subsiste. La pieuse cathédrale succède au temple romain, le palais de Justice succède au palais des préteurs ou des proconsuls. Entre la cathédrale dominant le sommet de l'île, ou, si l'on veut, la poupe du vaisseau qu'elle domine comme le gaillard d'arrière de nos vieux vaisseaux à trois ponts, et le palais de Justice attaché à la proue comme le gaillard d'avant qui maintient la stabilité du navire, s'élève l'Hôtel-Dieu, refuge des blessés de la vie ; puis le Tribunal de commerce, les deux casernes, la Préfecture de police et ses bureaux.

Le Marché-Neuf, qui avait succédé à l'antique marché Palus, construit, comme son nom l'indiquait, dans les boues marécageuses qu'y déposait la Seine, et qui

Au marché aux fleurs de la Cité
pourvoyait autrefois aux besoins de la Cité, a été absorbé par les casernes ; le seul marché qui subsiste dans l'île est le marché aux fleurs, qui se tient le mardi et le vendredi sous les étaux couverts d'une place comprise entre la rue Aubé et la Cité, limitée au midi par le côté pair de la rue de Lutèce, au nord par le quai de la Cité, ci-devant quai Desaix et quai aux Fleurs en cette partie, après avoir été bâti sous le nom de quai de Breteuil. Avant l'année 1800, la Seine était bordée, au-dessus du pont Notre-Dame, par une rue nommée de la Vieille-Pelleterie, dont les maisons plongeaient à pic dans l'eau. La première pierre du quai fut posée le 13 juillet 1800, et le même jour un décret décida que « le quai de la Pelleterie » prendrait le nom de Desaix, en l'honneur du vaillant général tombé sur le champ de bataille de Marengo, le 14 juin précédent. Ainsi le quai de la Cité en est à son quatrième nom, après quatre-vingt-huit ans d'existence. C'est un exemple curieux de l'instabilité des dénominations parisiennes.

La plupart des rues de la Cité, à la fois étroites, tortueuses et sales, ou le jour pénétrait à peine entre deux rangées de hautes maisons à pignons angulaires, ont été rasées comme la rue de la Pelleterie. Tout ce que la Cité a perdu en aspect pittoresque et en monuments curieux, qu'il eût été facile de conserver à peu de frais, elle l'a gagné en salubrité et en lumière, non moins qu'en moralité. On y retrouverait difficilement les similaires des bouges de la rue aux Fèves, décrits dans les Mystères de Paris d'Eugène Suë, et que le célèbre romancier avait visités longuement en compagnie du prince royal de Suède, qui fut le roi Oscar Ier.

En plein jour, la Cité peut passer pour l'un des quartiers les plus animés de Paris. L'admirable cathédrale, qui attire tous les étrangers ; l'Hôtel-Dieu, avec sa clientèle de misères ; la police et la justice, avec l'armée des criminels, des gardiens, des juges et des plaideurs ; enfin le Pont-Neuf, le pont au Change et le pont Saint-Michel, ces grandes artères centrales qui distribuent et répartissent le

Rue du Cloître

mouvement parisien entre les deux rives du fleuve, amènent sur le vieux sol une foule affairée ou curieuse.

Les mardis et vendredis, jours du marché aux fleurs, le dimanche où le marché aux fleurs cède la place au marché des chiens et des oiseaux, on circule difficilement entre le Tribunal de commerce et les abords de l'Hôtel-Dieu. Mais, à la tombée de la nuit,tout change. L'ombre et le silence envahissent la cathédrale, le parvis, l'hôpital, le palais de Justice et le Tribunal de commerce. Les soldats rentrent dans leurs casernes ; les employés de la Préfecture dans leurs foyers. Les omnibus et tramways, avec leurs lanternes multicolores, maintiennent encore quelque lumière et quelque bruit dans la traversée du boulevard du Palais, entre le pont au Change et le pont Saint-Michel. Mais, au coup de minuit, le Pont-Neuf lui-même devient assez désert pour que le passant attardé craigne d'y laisser sa chaîne ou son manteau, comme au bon temps des tire-laine, en plein Louis XIII. Un seul œil reste ouvert : c'est la lanterne rouge de la Permanence, dont le feu, fixe dans sa pâleur, éclaire au pied de la tour Bonbec l'entrée des malfaiteurs et des gens sans aveu qu'on amène au Dépôt à toute heure de nuit.


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