Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE BAILLIF, aujourd'hui RUE DES BONS-ENFANTS
Ier arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1857, 1858. Au XIIe siècle, cette voie était désignée sous le nom de chemin qui va à Clichy ou chemin de Clichy ; plus tard, on l'appela ruelle par où l'on va au collège des Bons Enfants et rue des Ecoliers (ou Escholiers) Saint-Honoré. La rue des Bons Enfants finissait autrefois à l'ancienne rue Baillif : cette partie a été supprimée par les agrandissements de la Banque de France. Origine du nom : Cette voie doit sa dénomination au collège des Bons Enfants, fondé en 1208, en faveur de treize écoliers pauvres.

La rue Baillif elle-même a fait depuis lors comme la plupart des Parisiens : elle a déménagé. La Banque de France s'est arrondie de l'ancien emplacement de cette rue voyageuse, qui donnait presque en face de la rue Coquillière dans celle Croix-des-Petits-Champs, où elle ouvre présentement en regard de la troisième maison plus bas et de la quatrième. Son autre extrémité s'est prolongée jusqu'à la rue de Valois-Palais-Royal, au moyen d'un escalier et aux dépens d'un crochet que faisait la rue Neuve-des-Bons-Enfants, puis Radziwill.

Deux versions étaient en présence sur la façon d'écrire le nom de cette petite rue. La première voulait Baliffre, la seconde Baïf, et comme à l'ordinaire, pour les accommoder, le populaire a inventé une troisième orthographe, plus erronée que les deux autres, qui a prévalu. Claude Baliffre, surintendant de la musique du roi, fut gratifié par Henri IV d'un terrain situé dans cette rue ; on le considère comme le fils de Jean-Antoine Baïf, poète et musicien en renom sous Charles IX et Henri III.

Par ainsi, le bon roi Henri eût craint lui-même de se compromettre en érigeant propriétaire un simple poète ; on aurait attendu la seconde génération, et ce n'est pas trop encore, pour enrichir quelque peu une famille illustrée par de jolis vers.

Au XVIIIe siècle, 10 maisons constituaient toute la rue Baillif, bien qu'en ce temps-la elle eût deux bras valides. Depuis que ses numéros pairs ont été encaissés, comme tant d'autres chiffres par la Banque de France, les actions d'icelle ont monté ; mais la rue Baillif est manchote. Au reste, 4 lanternes pour 10 maisons, n'était-ce pas bien au-dessus de la moyenne proportionnelle des lumières distribuées dans les rues de Paris ? Cette faveur n'était certes pas due au crédit de la famille Lamoignon, puisque la famille Maupeou, qui lui était antipathique, avait une maison dans la rue.

La maison du président Maupeou, père du fameux ministre, tenait à celle d'une dame Boissière ; arborant l'image du Soleil-d'or. Plusieurs hôtelleries se suivaient déjà de près en cette rue ; mais elles étaient modestes. Delaloue, à l'auberge du Petit-Saint-Jean, demandait 12 sols par repas, et Legrand, son rival, logeait les voyageurs à raison de 12, 15 et 20 sols par mois.

De notre temps les numéros impairs de la rue Baillif ne sont plus qu'une vaste hôtellerie, divisée en quatre ou cinq corps, passablement régis par des hôtes différents. Celui qui porte le nom de la rue fut, nous dit-on, premier en date, et leur clientèle diffère peu : faute de place, on va de l'un à l'autre.

L'immeuble dans lequel s'exploite l'hôtel de Brest fut établi sous le règne de Louis XIV pour M. Tremblay, dont la fille épousa M. de la Grange de Chécieux, attaché à la maison du roi qui vint après ; il communique avec un autre immeuble ; son frère de naissance, qui donne rue Croix-des-Petits-Champs, et de plus il tenait jadis au bâtiment angulaire où le café Baillif fut créé il y aura tantôt un siècle. Les deux maisons n'en font qu'une avec deux portes ; elles ne sont jamais sorties de la famille, qui les a élevées, et Mme de Provigny, propriétaire actuelle, fait partie de cette famille.

Liste des propriétaires ou principaux locataires de toutes les maisons de la rue des Bons-Enfants en l'an 1750 :

Côté gauche, en venant de la rue Saint-Honoré :

Les chanoines de Saint-Honoré.
De la Planche.
D'Argenson.
Mme de Saincou.
Bellet.
Mme de Matignon.
Le Vasseur.
Mme de Matignon.
Le Boulier, prieur.
De Courville.
Courtois.

Côté droit, en venant de la rue Saint-Honoré :

Les chanoines de Saint-Honoré.
De Serrant.
Ranchin et Mme Rassin.
De la Guillonnière.
Chenut et Fontenay.
De l'Éstoile.

Autre recensement sans date, mais probablement du même siècle, se rapportant aux mêmes propriétés :

Chanoines de Saint-Honoré
Mme de la Planche.
Mlse de Nonant.
Mme de Matignon.
Mis de Nomon.
Mme de Seignelay.
M. Desfossez.
M. Desfourneaux.
Idem.
Chanoines de Saint-Honoré.
Église Sainte-Claire.
Collège des Bons-Enfants.
Mme Ratabon.
M, de Montelon, premier président à Rouen.
M Valdor.
M. Renault.

Cette double nomenclature ne nous fait pas retrouver le toit sous lequel chercha refuge, rue des Bons-Enfants, le connétable d'Armagnac, dans cette nuit du 28 au 29 mai 1418 lui favorisa de ses ténèbres la trahison de Perrinet-le-Clerc, livrant la porte de Buci aux Bourguignons et aux Anglais.

La retraite du connétable, complice de ce crime, fut dénoncée au populaire furieux par un maçon, habitant la maison, et d'abord on se contenta de s'assurer de sa personne. Mais la colère publique se réveilla ensuite peur forcer la Conciergerie et percer de mille coups d'Armagnac : le cadavre de ce descendant de Clovis par Charibert, frère de Dagobert, fut traîné par toutes les rues sûr le chemin de la voirie.

Les n°s, 1, 3 et 5 sont évidemment les propriétés que désignent au commencement de la rue, côté gauche, les deux catalogues produits plus haut ; l'une d'elles a conservé un escalier à balustres de bois antérieur au Palais-Cardinal, et la même famille possède depuis soixante-dix ans l'immeuble qui vient après, hôtel Baillif à l'usage des voyageurs.

Le 7, dont un corridor sombre se dit le passage Henri IV, donne avec ce conduit cour des Fontaines, et se trouvé au cœur de la place qu'occupait une salle de spectacle qui fut celle de Molière lui-même et qui fut aussi l'Opéra.

Un passage plus clair et plus large, qui vient après, figurait déjà sur le plan de Paris qui reconnaissait à notre rue, en 1714, 25 maisons et 11 lanternes : On l'appela passage du Palais-Royal rendant de la rues-des Bons-Enfants au travers des basses-cours dudit palais.

Le premier incendie dudit théâtre du Palais-Royal, car il y eut deux incendies, valait à cette voie publique la rectification de son alignement dès l'année 1680. Un bâtiment, qui avait obstrué la circulation, n'y était plus ; mais les frais des embellissements locaux avaient été mis par une ordonnance royale à la charge des propriétaires appelés à en profiter de première main, dans les rues Saint-Honoré, des Bons-Enfants et Neuve-des-Bons-Enfants. On voit maintenant les choses de plus haut à l'Hôtel-de-Ville ; il n'y en a pas moins, pour la carte de Paris, maintes améliorations que suffirait à défrayer la plus-value des immeubles en bordure sur les points qu'elles favorisent.

Le surnom de Mélusine a été donné à un hôtel bâti en même temps que le Palais-Royal, et dans lequel une tapisserie représentait cette fée des romans de chevalerie. Richelieu avait commencé par se mettre sous la main, dans ce pavillon attenant au jardin du palais, le poète Boisrobert, son favori, lequel y avait reçu l'Académie-française quand cette compagnie ne se réunissait encore que chez quelques-uns de ses premiers membres.

La merveilleuse Mélusine joue aussi un rôle historique dans les traditions du Poitou ; elle est devenue, dit-on, par son mariage avec Raymondin, comte de Poitiers, la tige de la maison de Lusignan, qui a fourni des rois à Jérusalem et à Chypre. A coup sûr l'hôtel Mélusine est dit Lusignan en 1694, et s'il ne doit pas cette autre désignation à un autre personnage de la même tapisserie, c'est à l'un de ses descendants. Il y aura bien un marquis de Lusignan aux Etats-Généraux de 1789 !

Louis XIV ayant constitué en apanage la propriété du Palais-Royal à son frère, le duc d'Orléans, au mois de février 1672, c'est seulement trente années plus tard que l'hôtel latéral passe, dans le domaine, privé de la branche cadette de la famille royale. L'abbé Dubois n'a attendu pour y demeurer ni son portefeuille de ministre ni sa barrette de cardinal. Mais, n'étant que précepteur du duc de Chartres, prince d'Orléans, il joue déjà un personnage : négocier le mariage de son élève avec une fille légitimée du roi, ce n'est pas une petite affaire. Le maître a pris soin de cultiver l'intelligence peu commune du futur régent, en n'opposant que cette dérivation aux premiers entraînements de son amour ardent pour les plaisirs.

La jeune cour du Palais-Royal porte bientôt ombrage à la vieillesse du grand roi : le prince dessine à ravir, les sciences naturelles le font savant, et il se distingue dans les armes ; on recherche déjà là protection de ses amis, Broglie, d'Effiat, Canillac, Nocé, Brancas et La Fare, et la comtesse d'Argenton serait traitée de favorité sans le grand nombre de doublures déjà données à ce chef d'emploi.

Pourtant le duc sait montrer des égards à la nouvelle duchesse d'Orléans, en présence de laquelle il oubliera toujours Mme de Montespan, sa mère. Le roi garde rancune à ce neveu d'avoir voulu monter, par une conspiration, sui le trône d'Espagne ; mais il repousse hautement des calomnies imputant ensuite à ce prince la mort de plusieurs membres de la famille royale de France.

Le peuple, toujours prompt à croire que les débauches et les crimes vont de pair, investit le Palais-Royal, en proférant les cris les plus menaçants, et le duc n'échappe au danger qu'en passant par l'une des fenêtres de son chancelier, pour enfiler la rue des Bons-Enfants.

Or il a confié ses sceaux de prince du sang à Bautru, comte de Serrant, qui vient de mourir à l'âge de 93 ans, et l'hôtel Mélusine-Lusignan est devenu le siège officiel de la chancellerie d'Orléans, rétabli par Boffrand et décoré de peintures, parmi lesquelles se remarque le plafond des Dieux désarmés par les Amours, d'Antoine Coypel.

Charlotte Bautru, nièce dudit chancelier, est l'épouse en secondes noces du prince Armand de Rohan de Montauban, que Moréri prend à tort, dans son Dictionnaire historique, pour Un prince de Montbazon, et elle revend au régent, le 17 avril 1720, la maison même de la Chancellerie, en s'en réservant l'usufruit viager. L'une des anecdotes qui courent alors sur le compte de cette princesse de Montauban, nous revient à propos.

Elle se fait si souvent solliciteuse que Dubois finit par donner directement à l'une de ses demandes cette réponse plus que discourtoise : – Allez vous fair, f..... Mme de Montauban se hâte de s'en plaindre au régent, qui est trop galant homme pour donner tort à une dame, mais qui en passe plus encore à l'ancien cuistre dont il met à profit les talents politiques. – Chère madame, répond-il, que voulez-vous ? Dubois a ses moments d'humeur ; mais c'est, au fond, un homme de bon conseil.

Cette rentière cesse de vivre le 10 décembre 1725 ; sa mort réunit l'usufruit à la nu-propriété de l'hôtel entre les mains de Louis, duc d'Orléans, fils unique du régent, car il y a déjà deux ans que ce dernier est mort d'un coup de sang, dans les bras de la duchesse de Phalaris.

Le cardinal Dubois a lui-même survécu peu de mois au régent, dont il n'a pas été que l'âme damnée. Le duc d'Orléans, premier prince du sang, a maintenu dans ses fonctions particulières un ancien adversaire de Law, le comte d'Argenson, qu'avait son père pour dernier chancelier, chef de son conseil, surintendant de ses maison et finances ; mais celui-ci s'est démis de la charge de lieutenant-de-police, pour passer conseiller d'État, puis ministre de la guerre.

A ce chancelier, qui a rétabli l'ordre dans les finances princières, Louis d'Orléans doit, en outre, son mariage personnel avec la princesse de Bade et un autre mariage par procuration, pour Louis XV, avec Marie Leczinska, la fille du roi de Pologne. Malheureusement la princesse de Bade meurt après deux années d'union, et le fils du régent en demeure inconsolable : peu lui importe que le cardinal de Fleury l'ait dépouillé de la charge de colonel-général de l'infanterie française. Pieux et ami des jansénistes, bienfaisant, protecteur des lettres, il prend avant peu un pied-à-terre à l'abbaye de Sainte-Geneviève, où il finit par se fixer, en remettant l'administration de ses affaires à la douairière d'Orléans, et il ferme les yeux en 1752.

Or, par acte rendu authentique vingt-six années avant sa mort, il a donné à vie l'hôtel de la Chancellerie au comte d'Argenson. Mais ce nouvel usufruitier est devenu surintendant de la généralité de Paris avant la disgrâce de Mme de Chateauroux, et l'année 1740 l'a vu abdiquer au Palais-Royal en faveur de son frère aîné. De cette façon la place est occupée rue des Bons-Enfants par le marquis d'Argenson, naguère ministre des affaires étrangères, ancien condisciple de Voltaire, et lui-même a laissé quelques écrits, plus un curieux recueil de chansons qui ne s'est imprimé que de nos jours.

En 1752, un autre duc d'Orléans, fils unique du pensionnaire de Sainte-Geneviève, fait donation de l'hôtel traditionnel au bibliophile Marc René de Paulmy d'Argenson, marquis de Voyer, fils du comte d'Argenson, et à Jeanne-Marie-Constance de Mailly, son épouse, sous la seule réserve du droit de retour, en faveur des princes d'Orléans, en cas d'extinction de la postérité des donataires. Vers ce temps-là, Silhouette est chancelier, et il a pour successeur direct ou indirect l'abbé de Breteuil, dont les bureaux se tiennent rue Saint-Honoré, près l'Assomption, en 1780.

Quatre ans après, le marquis précité, qui a été un an ministre de la guerre et plusieurs fois ambassadeur, n'a pas encore fermé les yeux ; néanmoins ses enfants refont bail au prince Louis-Philippe, duc d'Orléans, de cette même maison, restaurée sur le plan de Wailly et principalement enrichie d'un Lever de l'Aurore, en plafond, par Durameau, moyennant 10,000 livres de rente foncière, non rachetable, payable jusqu'à l'extinction de leur postérité.

La succession dudit prince s'ouvre le 18 novembre 1785, et son fils, qui sera plus tard Philippe-Egalité, lui succède au Palais-Royal, tant en vertu de ses droits héréditaires que comme cessionnaire de ceux de sa soeur, princesse de Bourbon-Condé. Mais est-on jamais riche quand on se lance dans les spéculations aventureuses, dans d'énormes paris et dans les premiers frais d'une popularité dorée !

Le duc d'Orléans s'y endette au point de n'avoir plus assez de ses immenses revenus, et alors, au lieu de réduire son train de maison, qui est considérable, il sacrifie la moitié du jardin où tant de promeneurs se croient chez eux, pour y établir des galeries et en faire une foire perpétuelle. Jusque-là ce jardin, plus ombreux, mieux agrémenté, a été ouvert en plein jour au public, excepté pour les gens mal mis, les soldats et les domestiques.

Philippe, qui sera Égalité, démocratise d'avance cette promenade, rapetissée dans plus d'une acception du mot, en supprimant non-seulement les conditions, de décorum qu'il fallait y remplir, mais encore les portes où il y avait des gardes. Aussi bien les allées et les bosquets étaient déjà au Palais-Cardinal, c'est-à-dire du temps de Richelieu, fréquentés le soir plus agréablement par des privilégiés, que ces gardes laissaient passer, ou qui sortaient, de l'une des Maisons donnant sur le quadrilatère verdoyant.

Chacune de ces maisons a eu sa clef des champs, sa porte sur une allée, comme nous pouvons encore nous en assurer rue de Valois pour celles qui portent des numéros impairs dans la rue parallèle des Bons-Enfants. Tous les habitants du pourtour, déshérités par ce duc d'Orléans des plaisirs de la vue et des entrées par privilège dont l'habitude leur est douée, lui en veulent tant et plus : quoi d'étonnant à cela ! N'est-ce pas bien le moins qu'une caricature du temps,
rehaussée de son calembour, travestisse le prince en chiffonnier ramassant, avec un crochet, des locataires !

La Révolution le débarrasse enfin des frais de représentation ; les officiers de sa maison se réduisent à un petit nombre de confidents ; de prête-noms et d'agents d'affaires, depuis l'émigration forcée de la chancellerie. Philippe-Égalité n'a plus de médecins par quartier à ses trousses, sans compter le médecin vétéran ; et il ne s'en porte pas plus mal. Ses créanciers, devenus ses amis en même temps que ses égaux, ont intérêt à s'entendre avec lui pour mettre ses biens à l'abri des éventualités de confiscation.

Le 6 mars 1792, en vertu de conventions arrêtées dans un concordat le 9 janvier de la même, année entre le ci-devant duc et ses créanciers, le ci-devant palais est mis en veille, et l'année suivante, en présence d'un agent du trésor public, le 13 aoûts, le citoyen Alexis-Louis Arnoult, à titre d'adjudicataire, est envoyé en possession. Pendant la République encore, Mme de Maurville, épouse divorcée, poursuit, la saisie de cet immeuble contre François-Jean Béllanger des Boulets, qui en est devenu propriétaire : cette dame, née de Ligeac, est créancière, de 2,000 livres de rente viagère.

Méot, traiteur en vogue sous le Directoire, est aussi installé dans la ci-devant Chancellerie d'Orléans. L'abbé Delille, dans l'Homme des Champs, parle de jeunes botanistes herborisant dans les montagnes et déjeunant avec frugalité, et il dit que : Leur appétit insulte à tout l'art des Mots.

Il n'en fallait même pas tant pour faire à jamais oublier les restaurants antérieurs de la rue. L'ombre et le silence y planent sur les anciens hôtels garnis de Mars, d'Orléans et de Candie, où le dîner revenait à 30 sols en 1769 : une chambre s'y payait de 12 à 30 livres par mois. A plus forte raison s'est éteint, jusqu'à la dernière étincelle de sa réputation, le feu devant lequel rôtissaient un siècle auparavant les poulets d'un traiteur, à l'enseigne des Bons-Enfants.

En même temps que cette cuisine à l'usage d'un public mobile, flambaient celles des deux hôtels particuliers du Hallier et de la RocheGuyon ; qui, d'après un contemporain, tenaient compagnie en ce temps-là à l'hôtel d'Argenson dernier immeuble est acquis, tout à la fin du règne, de Louis XVIII ; par M. Pape, facteur de pianos, et la Même facture industrielle est encore portée par des instruments pareils dans le même local. M. Pape a pourtant vendu ce n° 19 de la rue des Bons-Enfants en 1853 à M. Fastré, avocat, père du propriétaire actuel.

Du côté de la rue de Valois sont les bureaux du Constitutionnel, qui comportent deux salons merveilleusement décorés, dont l'un conserve des peintures de Lebrun.

Quel était l'hôtel du Hallier de cette rue ? nous le cherchons encore. Mais ne se pouvait-il pas que ladite rue se prolongeât, avant la formation de la rue Neuve-des-Bons-Enfants et de la place des Victoires, et quand l'hôtel de la Vrillière, maintenant de la Banque, occupait moins d'espace, jusqu'à l'ancien hôtel qui porte sur cette place le n° 48 actuel de la rue Pagevin ? Le maréchal de l'Hospital, comte de Rosnay, seigneur du Hallier, disposait alors de celui-là.

Nous retrouvons dans le 21 un hôtel construit en 1686, pour M. de Liancourt, comte de la Roche-Guyon, et qui ensuite était d'Éffiat. Un d'Effiat, nous le répétons, faisait partie des soupers du régent. La propriété fut adjugée en 1720, au marquis d'Artaguette, beau-père et prédécesseur du comte de Carvoisin. C'est probablement deux locataires qu'on y voyait, ultérieurement dans Mme de Matignon et dans M. Dupuy de la Garde, premier-commis au département de la guerre.

Mme de Matignon avait pour père, le baron de Breteuil et pour fille la duchesse de Montmorency. Elle se faisait remarquer par ses toilettes recherchées et avait pris un abonnement chez M. Bertin, marchande de modes, pour changer de pouf tous les soirs. Aussi bien, dans la petite guerre des amours, fit-elle plus d'un prisonnier et força-t-elle jusque dans les retranchements du camp épiscopal Mgr de Pamiers.

La même maison fut vendue par M. de Lussac, gendre de M. de Carvoisin, à M. Marigner, receveur-général de Paris, en 1791 : elle se trouvait alors sous la censive de la Nation, représentant le chapitre de Saint-Honoré. L'acquéreur payait 20,000 fr indépendamment du prix de l'immeuble, ses boiseries, glacés et autres ornements parmi lesquels, au rez-de-chaussée figurait, Don Quichotte, une tapisserie des Gobelins. M.Bertrand, notaire, acheta, l'hôtel l'année 1821.

Le nom de Le Vasseur se rapporte au 23, maison à porte monumentale, augmentée sous l'Empire, et qui, depuis lors, appartient à la famille de M. Boullay ; mais, parmi les prédécesseurs de ce dernier, ont figuré : Lefebvre, auteur dramatique et lecteur du duc d'Orléans, Mme Caqué et Jean-Louis Aymard de Clermont-Tonnerre, pourvu dès 1743 d'un bénéfice à Luxeuil, diocèse de Besançon. L'hôtel dont il s'agit a ces traits de communs avec les précédents : qu'il a tenu table ouverte aux médianoches de l'autre : siècle, auxquelles il donnait pour apéritif une promenade du soir, émaillée de rencontres fortuites, quand ce n'était pas de rendez-vous ; que ses glaces et autres accessoires décoratifs ont mérité de former, à chaque mutation, lot à part, et que sa toiture est de cuivre.

Les gens de Mme de Matignon tenaient garnison au 25, que perce d'outre en outre un passage déjà vieux menant rue de Valois.

Le 29 nous paraît avoir changé de face, depuis que ce n'est plus un logis prioral. La porte bâtarde qui vient après s'ouvrait pour les Courville, et pourquoi ne pas remarquer à l'intérieur la jolie rampe d'escalier sur le fer de laquelle tant de mains ont passé, en s'y usant, comme si c'était une lime ? Or, il y a eu deux familles de ce nom, l'une provençale et l'autre du pays chartrain, où la terre de Courville a été érigée en marquisat pour le duc de Sully en 1636.

Passons du côté droit en commençant par les hauts numéros. MM. de l'Estoile, que nous vous avons annoncés, portaient : d'azur à une étoile d'or. Leur hôtel, qui toutefois avait déjà donné ses prémices à d'autres, répond au chiffre 32.

M. Mainpoud de la Roche vend le 30, en 1751 à Mme de la Maisonrouge, et la bru de celle-ci le laisse aux Rotinet, ses père et mère, faute de descendants, l'année suivante ; il passe de là à Claude Menand, dont Chenut et Fontenay, sont simplement, les locataires, puis à son neveu Bonnet, quelques années avant la prise de la Bastille.

N'est-ce pas dans la maison contiguë que Richelieu a attendu l'achèvement de son Palais-Cardinal ? La tradition n'en est pas confisquée Par la Révolution avec l'immeuble, qui a appartenu à M. de la Guillonnière. Le 5 brumaire an IV, comparaît rue Montmartre, dans le ci-devant hôtel d'Uzès, par-devant François Duchâtel, Guillotin et Louis-Charles-Melchior Rémusson, membres du bureau du Domaine national du département de Paris, le citoyen Charles-Frédéric Cramer, professeur et Danois, porteur du n° 583,620, lequel vient de gagner à la loterie ladite propriété.

Cramer est envoyé en possession d'une maison nue, car le Domaine reprend les glaces et les effets mobiliers garnissant les appartements. Sylvestre, ce fondateur de l'établissement où les livres se vendent encore à la criée y achète de Crainer, le 19 frimaire an XIV ; puis M. Barbé traite, en 1853, avec les héritiers de Sylvestre, mort à Auteuil depuis seize ans, et les salles de l'hôtel Bullion des livres n'en voient pas moins, au même endroit, naître et mourir la plupart des bibliothèques.

Mme Rassin et M. Ranchin, en l'an 1780, sont locataires ou propriétaires du 20. Le comte de Serrant, qui, à la même époque, jouit du 24, qu'on a rebâti de nos jours, est quelque neveu de Bautru-Serrant, chancelier d'Orléans. Nous avons vu, dans l'une des salles Sylvestre, un livré dont la garde portait son nom, avec une date postérieure à la vie de son oncle : c'était l'un des 250 exemplaires de la plus précieuse édition de Daphnis et Chloé, où 28 dessins de Philippe d'Orléans, le régent, s'encartent dans 150 pages de texte. M. Rome de l'Isle, contemporain de ce comte de Serrant, faisait les honneurs de son cabinet d'histoire naturelle dans une autre maison de la rue des Bons-Enfants !

Reste l'espace compris de notre temps entre la rue Saint-Honoré, et l'ancienne maison Serrant ; tout en appartenait aux chanoines de Saint-Honoré. De cette propriété canoniale, dont il reste plus d'un pan de mur et force caves, dépendait un petit collège des Bons-Enfants, fondé au siècle XIII, rétabli par Jacques Cœur en 1450, et un siècle et demi plus tard par les chanoines de Saint-Honoré.

Quand, Belot et Ada ménage de bourgeois, en eurent fait construire le premier bâtiment pour treize pauvres écoliers de Paris qui, au début, s'en allaient quêter par la ville, on appela notre rue, non plus chemin de Clichy, mais ruelle où l'on va au collège des Bons-Enfants. L'institution de cette pédagogie mendiante n'était qu'à peine postérieure à l'édification de l'église voisine, bâtie en l'an 1204 aux frais de Chérey, boulanger, sous l'invocation de saint Honoré, évêque d'Amiens, à la place d'un marché aux pourceaux qui touchait à l'une des portes de Paris.

Le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois nommait aux prébendes des chanoines alternativement avec l'évêque de Paris, collateur aux bourses du collège ; mais une chapelle indépendante, fondée par Jacques Cœur un peu plus haut que la rue Montesquieu actuelle, servit spécialement aux écoliers, et une confrérie s'y établit sous le patronage de sainte Claire. La chapelle fut vendue et l'église démolie en 1792.

Cette église Saint-Honoré avait eu d'abord à elle un cimetière, bordant la rue des Bons-Enfants. Le passage à travers le Cloître était public pendant le jour ; il n'y survit que peu de restes de l'édifice religieux qui s'y ouvrait entre la rue Saint-Honoré et le petit passage de la Pompe, que croise le Passage d'Athènes. Sa grosse tour datait de Philippe-le Bel ; les autres accroissements, de Henri III.

Saint-Honoré devint, au XVIIIe siècle, la plus riche collégiale de Paris. Philippe de Champagne était l'auteur d'une Présentation au Temple ornant le maître-autel. La première chapelle à droite ne se montrait pas trop fière du mausolée du cardinal Dubois, sculpté en marbre par un Costou, et qui se trouve maintenant à Saint-Roch. Cette figure, dont la tête se retournait du côté de la porte, avait été laissée tout près du seuil par le chapitre, qui s'était ravise à temps pour sauver la place d'honneur désignée dans le premier projet, sous une arcade, à droite du maître-autel.

Par un scrupule du même genre, Couture, chargé de l'épitaphe, s'était borné à l'énumération des dignités de l'ancien ministre, prince de l'Église. Dubois, le neveu du défunt, était lui-même chanoine de saint-Honoré ; il n'avait accepté l'héritage de son oncle que pour le distribuer aux pauvres, et quel éloquent désaveu ! L'éloge du cardinal Dubois n'était possible que pour un diplomate ou pour un roué de la Régence !

Juste à l'endroit où, durant tant d'années, ce mausolée a figuré, il s'est ouvert, sous la Révolution, une maison de prostitution, ainsi que pour rappel, celle de la Fillon, assidûment fréquentée par Dulois, qui y surprit le secret de la conspiration de Cellamare.

Une crémerie tient aujourd'hui au n°14 du Cloître, la place où une statue vivante, la mère Couturier, fut longtemps debout tous les soirs pour présider au va-et-vient des femmes fardées et décolletées qu'elle envoyait au-devant des passants. La voix de rogomme qu'avait cette matrone servait d'horloge dès que la nuit tombait, car, à chaque quart d'heure, elle criait : – Reviens ! à l'une de ses pensionnaires ; puis, elle disait : Sors ! à une autre.

 


 

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