Monuments, édifices de Paris
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HISTOIRE du PALAIS-ROYAL
(D'après Les rues de Paris. Paris ancien et moderne : origines, histoire, monuments, costumes, mœurs, chroniques et traditions, sous la direction de Louis Lurine, paru en 1844)


Les Galeries du Palais-Royal

Le Palais-Royal, c'est le roman de Paris, il n'est pas d'annales plus fécondes et plus variées que celles de cet édifice, aux fastes duquel rien ne peut être comparé. Tout y est représenté avec une physionomie vive, ardente, animée.

L'histoire a accompli, dans cette enceinte, des faits importants et nombreux ; elle y a vu se placer sur les marches du trône des pouvoirs rivaux de la puissance royale ; elle y a vu commencer des révolutions ; les arts, les plaisirs, le vice, la dissolution, le travail et l'industrie, la mollesse et le désordre, y ont tenu leurs grandes assises. Là, se sont heurtées toutes les prodigalités et toutes les misères ; nulle part on ne rencontre des contrastes plus variés, plus piquants et plus bizarres que ceux que cet endroit offre à chaque pas : le Palais-Royal fut, à la fois, le paradis et l'enfer du monde parisien.

Lorsque la mémoire veut évoquer les souvenirs qui se rattachent au Palais-Royal, elle voit bondir devant la pensée les images les plus capricieuses et les figures les plus fantastiques ; le chaos des faits est éclairé par des lueurs étranges, tantôt brillantes et tantôt sinistres ; il faut alors que l'esprit se livre et s'abandonne à ces clartés qui vacillent sous le regard ; l'ordre chronologique est à peine un flambeau et un guide certain ; c'est avec l'imagination qui remue le passé et qui demande le récit du présent à ses propres impressions, que doit être écrite l'histoire du Palais-Royal ; c'est le conte des fées des enfants de Paris.

Il y a deux écueils à éviter : les uns, depuis quelque temps seulement, ont essayé de faire de l'histoire du Palais-Royal un chapitre dès chroniques d'une seule famille ; d'autres ont essayé de lui donner l'esprit et le caractère d'un chapitre de l'histoire nationale. Nous le dirons avec franchise, ces deux idées sont également fausses ; l'une flattait un roi, l'autre flattait un peuple. L'histoire du Palais-Royal appartient exclusivement à l'histoire de Paris : des événements graves ont pu naître dans ce lieu, mais c'est toujours ailleurs qu'ils se sont terminés par la victoire ou par la défaite.

L'origine du Palais-Royal n'a rien de merveilleux. Richelieu, qui avait une cour et des sujets, voulut avoir un palais ; n'osant pas régner en public, il aimait à trôner chez lui : il chargea donc son architecte Jacques Lemercier, de lui construire un logis royal ; pour l'élever, on choisit un emplacement près du mur d'enceinte de Paris, vers la rue Saint-Honoré. Commencées en 1629, ces constructions ne furent achevées qu'en 1636. Ce fut à cette époque seulement qu'on leur donna le nom de Palais-Cardinal. On n'évalue pas à moins de 666,618 livres les frais occasionnés pour édifier ces bâtiments : l'hôtel de Sillery, acquis pour la somme de 150,000 livres, permit de faire devant le palais une place que Richelieu ne vit pas, et qui ne fut achevée qu'après sa mort ; de là, il fit percer la rue à laquelle il donna son nom, et qui, de la fastueuse demeure qu'il venait de terminer, le conduisait en droite ligne à sa ferme de la Grange-Batelière. Nous ne ferons pas d'autres emprunts à l'érudition archéologique de nos devanciers.

Les grands événements du Palais-Royal furent, en ce temps-là, la représentation de Miroite, cette tragédie bien-aimée, que Richelieu mettait sous la protection de son pouvoir de ministre et de son amour pour une reine, tandis que Corneille confiait le sort du Cid à l'admiration publique ; puis, la fête donnée par le Cardinal, pour célébrer les fiançailles de sa nièce, Claire-Clémence de Maillé,

Le jardin du Palais-Royal en 1829
avec le duc d'Enghien, qui fut depuis le grand Condé. Les historiens du temps s'épuisent en pompeuses descriptions sur la première soirée de Mirame.

La salle de spectacle qui servait aux divertissements ordinaires, celle dont Molière prit possession plus tard, ne parut point suffisante ; on en construisit une autre radieuse de magnificence et qui témoignait sinon du génie poétique, du moins de l'opulence de l'auteur ; on estime que les soins paternels qu'il donna à cette tragédie lui coûtèrent environ trois cent mille écus quant à la fête nuptiale, la description tient du prodige. On joua une pièce de Desmarets, dans une salle sur le théâtre de laquelle on voyait :

« De fort délicieux jardins ornez de grottes, de statues, de fontaines et de grands parterres en terrasses sur la mer avec des agitations qui semblaient naturelles aux vagues de ce vaste élément, et deux grandes flottes, dont l'une paraissait éloignée de deux lieues, qui passèrent toutes deux à la vue des spectateurs ; la nuit sembla arriver ensuite par l'obscurcissement imperceptible tant du jardin que de la mer et du ciel qui se trouva éclairé par la lune. A cette nuit succéda le jour qui vint aussi insensiblement, avec l'aurore et le soleil qui fit son tour d'une si agréable tromperie, qu'elle durait trop aux yeux et au jugement d'un chacun.

Après, la comédie circonscrite par la voix de la poésie dans les bornes de ce jour naturel, les nuages d'une toile abaissée cachèrent entièrement le théâtre. Alors trente-deux pages vinrent apporter une collation magnifique à la reine et à toutes les dames, et peu après sortit de dessous cette, toile un pont doré conduit par deux grands paons qui fut roulé depuis le théâtre jusque sur le bord de l'eschaffaut de la reine, et aussitôt la toile se leva, et au lieu de tout ce qui avait été vu sur le théâtre y parrut une grande salle en perspective dorée et enrichie des plus magnifiques ornements, éclairée de seize chandeliers de cristal, au fond de laquelle était un throsne pour la reine, des siéges pour les princesses, et aux deux côtés de la salle des formes pour les dames ; tout ce meuble de gris de lin et argent.

La reine passa sur ce pont, pour s'aller asseoir sur son throsne, conduite par Monsieur ; comme les princesses, les dames et les demoiselles de la cour, par les princes et seigneurs, lesquelles ne furent pas plutôt placées, que la reine dansa dans cette belle salle un grand branle avec les princes, les princesses, les seigneurs et les dames. Tout le reste de l'assemblée regardait à son aise ce bal si bien ordonné, où toutes les beautés de la cour ne brillaient pas moins de leur propre éclat que de celui des riches pierreries dont elles étaient ornées et faisaient admirer leur adresse et leur grâce.

Après le grand branle, la reine se mit en son throsne et vit danser longtemps grand nombre d'autres dames des plus belles et des plus adroites de la cour. Enfin, si j'ai de la peine à me retirer de cette narration, dit l'auteur contemporain, jugez combien il fut difficile aux spectateurs d'une si belle action, de sortir d'un lieu où ils se croyaient avoir été enchantez par les yeux et par les oreilles ; lequel ravissement ne fut pas pour les seuls Français ; les généraux Jean-de-Vert, Enkenfort et Don Pedro de Léon, prisonniers de guerre, en eurent leur part, ayant été conduits du bois de Vincennes. »

Que cette fastueuse citation suffise à la mémoire du cardinal, et à l'orgueil du palais sur la porte duquel il avait inscrit son titre en lettres d'or.

En 1643, le 7 octobre, Anne d'Autriche, régente du royaume, veuve du roi Louis XIII, quitta le Louvre avec ses deux fils pour venir habiter le Palais-Royal. De toute cette vanité de Richelieu, pour ce monument dont il avait voulu que le pinceau de Philippe de Champagne fit un temple à sa gloire, il ne resta pas même le nom ; les héritiers du cardinal obtinrent en vain le rétablissement de la première inscription, le nom de Palais-Royal prévalut et fut conservé. Aux fêtes de la Régence, qui ne furent pas sans quelque splendeur, succédèrent bientôt les troubles de la Fronde. Le Palais-Royal était nécessairement le quartier-général de

Feu d'Artifice tiré l'an 1642 devant leurs Majestés
Louis XIII et Anne d'Autriche au Palais-Royal

la Cour, pendant son séjour à Paris ; il fut aussi le centre des manifestations par lesquelles le peuple cherchait à effrayer la reine et le ministre contre lequel se soulevait l'indignation publique.

Le Palais-Royal prend soin lui-même de ses titres historiques ; les pages qu'il conserve dans ses galeries de tableaux, forment le sommaire des différents chapitres de son existence. Ainsi, la Messe du cardinal de Richelieu, la Fondation de l'Académie Française et la réception des premiers académiciens, en février 1635 ; la Mort, le testament de Richelieu et le legs de son palais au roi Louis XIII ; l'Arrivée du cardinal de Retz, suivi d'une foule immense qui réclame à grands cris la liberté de Brousset, en 1640 ; deux épisodes à cette réclamation qui est le pire des évènements de la Fronde ; l'Arrestation des Princes, et enfin Anne d'Autriche montrant au peuple son fils endormi, disent les évènements dont le Palais-Royal fut le théâtre. On raconte sur ce dernier tableau une anecdote récente. Le duc d'Orléans, actuellement Louis-Philippe, le montrait à ses familiers ; quelqu'un s'étonnait que la reine pressée par cette multitude, et qui doute de ses intentions, fût sans gardes. « Il y en a, reprit le duc d'Orléans, mais on ne les voit pas. »

Anne d'Autriche fit beaucoup pour les embellissements du Palais-Royal, qui, malgré les éloges que l'on prodiguait à sa magnificence, était loin d'égaler les descriptions qu'on faisait si magnifiques pour plaire au cardinal.

Le 21 octobre, le roi Louis XIV, cédant aux vœux du peuple de Paris, revint dans sa capitale, et le même jour il quitta le Palais-Royal, pour aller habiter le Louvre.

On assigna cette résidence à Henriette-Marie, reine d'Angleterre, qui l'occupa jusqu'en 1661. Par lettres-patentes du mois de février 1692, Monsieur, frère du roi Louis XIV, reçut le Palais-Royal à titre d'apanage ; il l'habitait depuis l'année 1661.

Le 9 juin 1701, M. le duc de Chartres, qui depuis fut régent de France, posséda le Palais-Royal avec l'héritage de son père qui venait de mourir.

Au mois de septembre 1715, la Régence de Philippe d'Orléans s'installa au Palais-Royal, et commença pour lui une ère nouvelle de luxe, de splendeur et de tumulte.

Après avoir triomphé des premiers obstacles qui s'opposaient à l'établissement de sa Régence, Philippe, duc d'Orléans, s'arrangea pour donner à son Palais un aspect presque royal ; il embellit l'édifice et le dota d'une galerie de tableaux, dont il reste à peine aujourd'hui le catalogue, et quelques petites anecdotes qui ont longtemps charmé les loisirs des brocanteurs. La Cour, qui se pressait autour du Régent, n'avait rien des allures de celle qui avait entouré Anne d'Autriche et les deux cardinaux ; le règne de Louis XIV et de madame de Maintenon venait de finir, et ce, qu'on redoutait le plus, c'était l'austérité et la dévotion dont on avait secoué le joug ; Philippe fit de sa demeure un lieu de plaisirs et de délices ; il voulut que tout y respirât le luxe et la volupté ; ses intentions ne furent que trop bien secondées.

Le Palais-Royal affecta des ce moment une liberté de mœurs, dont il a longtemps conservé le souvenir et les traces. La famille du Régent, elle-même, se prêtait merveilleusement à l'élégance et à l'éclat de ce désordre. Tout ce que la mémoire des courtisans et du peuple avait conservé des galantes souvenances des autres règnes était dépassé ; Charles VII et Agnès. François I, Henri II, Henri III et leurs amoureuses prodigalités, Henri IV et ses maîtresse, Louis XIV et sa superbe tendresse, pâlissaient dans les appartements du Palais-Royal. Les roués qui étaient les minons du Régent, Dubois, son ministre, et des femmes auxquelles il était difficile de donner un nom, avaient porté au-delà de toute imagination le faste et l'impudence du plaisir.

Le Palais-Royal fut profondément empreint des marques de cette époque ; il n'a jamais pu secouer entièrement le caractère de mollesse, dont il avait reçu les

Palais-Royal de Paris en 1750
stigmates, et que le langage récent a caractérisé par le mot Régence, devenu le nom d'un style particulier aux mœurs, à l'art, à l'architecture et aux manières de ce temps.

Devant le bruit dont le vice de cette cour remplissait alors le Palais-Royal, les solennités augustes passaient silencieuses et obtenaient à peine un regard ; la royauté n'était là qu'un hôte importun, dont on bouleversait le logis, sans daigner faire attention à lui. Les fêtes les plus pompeuses s'effaçaient devant la démence des mystérieuses bacchanales ; les banquets étaient vaincus par les soupers ; le cérémonial des grands appartements était désert pour les huis-clos des cabinets et du boudoir.

A ces dissipations, il fallait un Pactole : un étranger, l'Écossais Law, trouva dans le Mississipi le neuve d'or qui devait alimenter des largesses qui ne connaissaient plus de bornes. On sait, les déplorables folies du système ; Law semblait avoir pris possession du Palais-Royal ; ce fut donc autour de cet édifice que retentirent, avec le plus de violence, tantôt les clameurs insensées qui demandaient à grands cris qui on voulût bien hâter leurs ruines, tantôt les voix furieuses qui accusaient ceux qui avaient si indignement dépouillé le peuple ; ce fut dans un tumulte de ce genre que des cadavres furent laissés sur les dalles de la première cour du Palais-Royal, spectacle sanglant dont le régent détourna les regards. C'est le plus frappant des souvenirs que la Régence ait légués au Palais-Royal.

En 1725, le 2 décembre, Philippe, régent de France, mourut subitement entre les bras de sa maîtresse la duchesse de Phalaris. Louis, son fils, fut ébloui par les richesses de l'habitation qui lui était léguée ; il en respecta la splendeur et n'opéra aucun changement.

Fatigué sans doute par ces magnificences, et comme si, sous les lambris dorés, il entendait résonner les honteuses rumeurs de la Régence, ce prince se retira dans l'abbaye de Sainte-Geneviève. Il laissa pourtant une trace de son passage au Palais-Royal : il fit replanter le jardin sur un dessin nouveau. Deux belles pelouses bordées d'ormes en houles, accompagnaient, de chaque côté, un grand bassin placé dans une demi-lune, ornée de treillages et de statues en stuc, la plupart de la main de Lusemberg. Au-dessus de cette demi-lune régnait un quinconce de tilleuls, dont l'ombrage était charmant. La grande allée surtout formait un berceau délicieux et impénétrable au soleil : toutes les charmilles étaient taillées en portiques.

Le 6 avril 1765, onze ans après la mort du fils du régent, et sous son petit-fils Louis-Philippe, un incendie dévora la salle de l'Opéra, celle que Richelieu avait fait bâtir. Ce fut pour le Palais-Royal l'occasion d'une restauration complète dont la ville de Paris fit les frais. Le conflit de deux architectes, celui de l'Hôtel-de-Ville et celui du Palais, gâta le monument. On retrouva, dans quelques arrangements intérieurs, un pâle reflet des étincelantes soirées de la Régence ; on fit construire une salle de spectacle sur laquelle le prince et sa famille, jouèrent de petites pièces ; elle était, s'il faut en croire les témoignages contemporains, fort simple fort agréable, et de forme ovale. Ces plaisirs, auxquels se livrait avec ardeur le duc de Chartres, déplurent à son père qui les avait d'abord encouragés, et en 1780, par les insinuations de madame de Montesson qu'il avait épousée secrètement, le duc d'Orléans céda le Palais-Royal à son fils Louis-Philippe-Joseph.

La prodigalité du régent eut dans son arrière-petit-fils un digne successeur ; les fêtes reparurent au Palais-Royal, et le plus éclatant de ces souvenirs est celui de la réception faite au roi de Danemarck ; rien ne fut négligé pour parer cette solennité : on fit dorer les grilles de l'escalier d'honneur ; cette nouveauté fit longtemps l'admiration des Parisiens.

 


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