Histoire de Paris
Cette rubrique vous livre l'histoire de Paris et de ses arrondissements. Origine, évolution, de la capitale de la France. Pour mieux comprendre la physionomie du Paris d'aujourd'hui, plongez-vous dans les secrets de son passée.
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HISTOIRE DE PARIS
(D'après Paris à travers les âges, histoire nationale de Paris et des Parisiens depuis la fondation de Lutèce jusqu'à nos jours, paru en 1879)

Charles VI. — Les impôts. — Hugues Aubriot condamné. — Les Maillotins. — Duel judiciaire entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris. — Les pâtés de chair humaine du barbier et du pâtissier. — Entrée de la reine Isabeau. — L'assassinat d'Olivier de Clisson par Pierre de Craon. — L'hôpital du Roule. — Le collège d'Aurillac. — Les juifs battus de verges. — Odette la petite reine de Charles VI. — Exécution des faux guérisseurs. — L’empoisonnement de Jean Le Charton. — Les premiers théâtres. — Les confrères de la Passion. — Les pages et écoliers. — Le duc d'Orléans assassiné. — Le grand hiver de 1407. — La paix fourrée.

Il n'en fut pas de même d'un autre duel judiciaire qui eut lieu l'année suivante (le 29 décembre 1386), et dont tous les chroniqueurs contemporains ont parlé. Car, à cette époque on permettait le duel ou combat singulier pour décider les différends, surtout lorsqu'on manquait de preuves, suffisantes. Or, le roi en permit un entre deux gentilshommes normands : messire Jean de Carrouges et Jacques Le Gris ; dans les circonstances suivantes :

Jean de Carrouges qui habitait le château d'Argenteuil, près d'Alençon, était parti en voyage, laissant sa jeune femme au logis avec ses gens. Jacques Le Gris, qui connaissait sa réputation de beauté, se présenta au château, sous prétexte de visiter le donjon, et fut accueilli de la meilleure façon. On lui offrit à dîner, ce qu'il accepta, puis la dame de Carrouges, sans défiance, le mena elle-même au donjon afin qu'il le put visiter tout à l'aise, mais à peine y étaient-ils entrés l'un et l'autre que Le Gris en referma la porte et fit à la dame un aveu du plus tendre sentiment qu'il éprouvait pour elle. La dame toute surprise, se récria et voulut ressortir, mais Jacques Le Gris se saisit d'elle et lui fit subir le dernier outrage, puis, sortant du donjon, il sauta sur son cheval et disparut.

Lorsque le sire de Carrouges revint en sa demeure, sa femme lui raconta ce qui s'était passé et il se promit d'en tirer vengeance ; il écrivit au comte d'Alençon, son suzerain et celui de Le Gris pour se plaindre du fait ; le comte fit comparaître le mari, sa femme et Le Gris ; la dame de Carrrouges formula nettement son accusation, mais Le Gris s'en défendit, en alléguant un alibi. Le comte renvoya les parties à se pouvoir au parlement de Paris. Le procès dura dix-huit mois, et enfin, le parlement décida que la dame ne pouvant rien prouver contre Jacques Le Gris « que champ de bataille jusqu'à outrance s'en ferait ».

Le roi était alors à l'Écluse et se disposait à passer avec ses barons en Angleterre, mais lorsqu'il connut l'arrêt du parlement, il revint à Paris pour assister au duel ainsi que le duc de Berry, le duc de Bourgogne, le duc de Bourbon, et plusieurs autres seigneurs « qui aussi grand désir avaient de le voir ». La lice se trouvait place Sainte-Catherine derrière le Temple ; le roi et toute sa cour s'y trouvèrent et tout ce qui restait en place hors du champ, fut occupé par le peuple qui y vint en foule. On avait élevé des estrades, afin que les seigneurs pussent ne rien perdre du combat. Les deux adversaires furent armés de toutes pièces ; Carrouges s'avança vers sa femme vêtue de deuil et qui se tenait sur un char drapé de noir.

— Dame, lui dit-il, sur votre information, je vais aventurer ma vie et combattre Jacques Le Gris. Vous savez si ma querelle est juste et loyale.

— Monseigneur, répondit celle-ci, il est ainsi et vous combattez sûrement, car la querelle est bonne.

— Au nom de Dieu, soit ! reprit le chevalier. Puis, embrassant sa femme, il lui prit la main, se signa et entra dans la lice. La dame demeura agenouillée sur son char noir, priant Dieu.

Les deux hommes jurèrent l'un de la vérité de son accusation, l'autre de son innocence ; après quoi ils se rendirent chacun à l'une des extrémités de la lice, montèrent à cheval et le juge donna le signal. Ils partirent au pas de leurs chevaux et s'attaquèrent à coups d'épée. Jean de Carrouges fut le premier blessé d'un coup dans la cuisse qui lui fit perdre tant de sang, que les assistants commencèrent à craindre pour lui, mais ranimant son courage à la vue de son sang, il attaqua vivement Jacques Le Gris et ayant trouvé moyen de le joindre, il le saisit par son casque et le jeta tout armé à terre où le tenant sous lui et tâtant de l'épée le défaut de la cuirasse, il voulut le forcer par la crainte de la mort à l'aveu de son crime.

Le Gris persista à dire qu'il était innocent, mais comme il avait été mené à outrance, il fut jugé coupable par le succès de son adversaire et Carrouges lui enfonça son épée dans le corps puis, il demanda à l'assistance s'il avait bien fait son devoir. — Oui ! lui fut-il répondu. Il alla alors s'agenouiller devant le roi, qui le fit relever et lui fit donner mille francs, puis l'attacha à sa chambre, avec deux cents livres de pension annuelle. Jean de Carrouges remercia le roi et les seigneurs et se dirigea vers sa femme qu'il embrassa et tous deux se rendirent à l'église Notre-Dame, où ils firent leur offrande, puis ils retournèrent à leur hôtel.

Le corps de Le Gris fut donné au bourreau qui le traîna sur une claie jusqu'au gibet de Mont-faucon, où il fut pendu. Le 9février 1396, un arrêt du parlement accorda à Carrouges six mille livres à prendre sur les biens de Jacques Le Gris.

Quelque temps après, un malheureux, condamné à mort pour d'autres crimes, s'accusa volontairement de l'attentat commis sur la dame de Carrouges. Le Gris était innocent ; l'autre avait pris son nom et profité d'une vague ressemblance avec lui pour se présenter au château d'Argenteuil. La dame de Carrouges, songeant à la légèreté avec laquelle elle avait accusé un innocent, se retira dans un couvent après la mort de son mari, et fit voeu de chasteté perpétuelle.

A côté de cette femme poursuivant si obstinément la réparation de l'outrage fait à son honneur, il faut croire qu'il en existait trop à Paris qui n'avaient nul souci du leur, car le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, avait reçu du roi, dès le commencement de son règne, ordre de faire défense à tous propriétaires des maisons situées dans les rues Beaubourg, Geoffroy-l'Angevin, des Jongleurs, Simon-le-Franc, de la fontaine Maubuée et aux environs de Saint-Denis-de-la-Châtre, de les louer à des femmes de mauvaise vie. En 1388, le successeur d'Hugues Aubriot étendit la défense aux propriétés de la rue de Baillehoé (près Saint-Merri et la rue de la Verrerie). Il en chassa les femmes et fit murer les portes.

Mais les propriétaires de ces maisons réclamèrent ; on plaida et le parlement, considérant que depuis saint Louis les mauvais lieux étaient tolérés rue de Glatigny (supprimée en 1867), rue Robert-de-Paris et rue de Baillehoé, et sans s'arrêter à l'opposition du chefcier de Saint-Merri qui faisait valoir le fâcheux effet de ces mauvais lieux avoisinant une église, il maintint par son arrêt du 21 janvier 1387 les femmes dans leur droit d'habiter la rue de Baillehoé.

Non loin de là, dans la Cité, était une rue tirant son nom de l'hôtel des Marmousets, bâti vers la fin du XIIe siècle et qui prit le nom de rue des Marmousets. On prétend qu'il s'y passa, en 1387, une aventure qui est rapportée par divers historiens, mais dont l'authenticité n'est nullement établie ; nous ne la mentionnons donc qu'à titre de racontar, aucun des chroniqueurs d'autrefois ne s'accordant sur sa véritable date.


On avait vu entrer chez le barbier un écolier
qui venait d'Allemagne.
V
oici le fait : Un barbier et un pâtissier tenaient boutique à côté l'un de l'autre et la cave du barbier était attenante à celle du pâtissier dont on estimait fort les pâtés qu'il préparait lui-même, car, malgré la vogue qu'il avait su acquérir, il n'avait qu'un seul apprenti pour manipuler la pâte, sous prétexte de cacher le secret de l'assaisonnement des viandes.

Son voisin le barbier-baigneur-étuviste méritait sans doute aussi la faveur du public, car, bien qu'on vît peu de monde entrer chez lui, il paraissait avoir de nombreux clients pour la saignée ; souvent on pouvait remarquer devant sa porte un ruisseau de sang, contrairement aux ordonnances qui enjoignaient aux barbiers de jeter ce sang à la rivière. Un soir, des cris perçants sortirent de la boutique du barbier, chez lequel on avait vu entrer un écolier qui venait d'Allemagne. Soudain cet écolier reparut, se traînant avec peine sur le seuil, tout sanglant, le cou sillonné par de larges blessures.

On entoura le blessé, on l'interrogea et il raconta comment le barbier, après l'avoir fait asseoir pour le raser, lui avait tout à coup donné un coup de rasoir qui lui entama la chair. Il avait crié, s'était débattu, et à grand'peine il était parvenu à détourner les coups de la lame tranchante, à saisir son ennemi à la gorge et à le précipiter dans une trappe ouverte à côté de lui.

La foule, frémissant d'horreur à ce récit, pénétra dans l'ouvroir du barbier et ne vit rien que du sang à terre, la trappe étant refermée ; mais alors on descendit dans la cave et on trouva le pâtissier voisin, occupé à dépecer le corps du barbier. Cet homme avoua que c'était lui qui avait eu la pensée de s'associer avec le barbier pour assassiner les gens : lorsque quelqu'un venait se faire raser, le barbier le plaçait sur la trappe, lui portait un coup de rasoir à la gorge et le poussait dans la cave, où il n'attendait qu'un signal pour accourir aussitôt et se jeter sur la victime qu'il achevait à l'aide d'un couteau et qu'il dépeçait au plus vite pour faire des pâtés avec sa chair, après l'avoir dépouillé de ses vêtements et de son argent qu'il partageait avec le barbier.

Lorsqu'il avait entendu tomber celui-ci, il s'était hâté de se livrer à sa besogne habituelle, n'ayant pas reconnu son complice. « C'est ainsi qu'il composait ses pâtés meilleurs que les autres, dit le P. Dubreul, d'autant plus que la chair de l'homme est plus délicate, à cause de la nourriture. » La maison fut abattue et l'on éleva à sa place une pyramide expiatoire, en mémoire de cet horrible forfait.

Encore une fois, nous considérons cette légende comme une fable ; les registres du parlement de Paris sont muets à cet égard et nous n'avons trouvé nulle part trace officielle de l'événement.

Quoi qu'il en soit, une pyramide élevée au centre d'une petite place carrée existait, et ce lieu appartenait à Pierre Belut, conseiller au parlement en 1535, car il adressa en cette année une requête au roi qui, au mois de janvier 1536, donna des lettres patentes qui lui permirent d'y faire bâtir et réédifier une maison pour être habitée ainsi que les autres maisons de Paris, « nonobstant, ajoutent-elles, ledit prétendu arrêt, sentence du prévôt de Paris, condamnation de l'hôtel de notre dite ville et autres quelconques qui sur ce, pourraient être intervenues ; auxquels arrêts, sentence de condamnation, avions de notre autorité dérogé et dérogeons par les présentes, et sur ce, imposons silence perpétuel a autre procureur présent et à venir. »

Piganiol de La Force, qui rapporte aussi le fait, tout en le mettant en doute, ajoute : « Quoiqu'on ne trouve nulle part ni information ni arrêt qui parlent de ce prétendu crime, il ne s'ensuit nullement qu'il soit faux, car dans les crimes atroces et extraordinaires il a été toujours d'usage, et il l'est encore aujourd'hui (1765), d'en jeter au feu les informations et la procédure, pour ne point les rendre croyables. »

Ce qui est certain, c'est que cette histoire, vraie ou non, a de fortes racines dans la croyance populaire et, dit à son tour le bibliophile Jacob, « il ne fallut pas moins de la formule royale : car tel est notre bon plaisir, pour que les murmures du peuple ne se changeassent pas en voies de fait contre l'oeuvre des maçons, quoique la rue des Marmousets fût grandement transformée par cette place vide et cette pyramide en ruines ».

La rue des Marmousets ne portait autrefois ce nom que jusqu'à la rue de la Licorne ; le bout donnant dans la rue de la Cité faisait partie de la rue des Oublieurs. Elle fut supprimée en 1867 pour la construction du nouvel Hôtel-Dieu. On lit, à propos de cette rue, dans le traité de la police, qu'au commencement du règne de Louis XIV les rues de Paris étaient encore tellement fangeuses que l'air en était infecté.

« Le sieur Courtois, médecin, qui demeurait rue des Marmousets, a fait cette expérience par laquelle on jugera du reste : il avait dans sa salle sur la rue de gros chenets à pommes de cuivre et il a dit plusieurs fois aux magistrats ses amis que tous les matins il les trouvait couverts d'une teinture de vert-de-gris assez épaisse, qu'il faisait nettoyer pour faire l'expérience le jour suivant, et que, depuis l'année 1663 que la police du nettoiement des rues a été établie, ces taches n'avaient plus paru. »

S'il en était ainsi à cette époque, en quel état les rues pouvaient-elles être trois siècles auparavant ? Cela n'empêchait pas que, les jours de fête, elles fussent ornées et tapissées, comme eussent pu l'être des voies dallées de marbre.

Ce fut surtout à l'occasion de l'entrée à Paris de la reine Isabeau de Bavière que les rues dans lesquelles passa le cortège royal furent parées.

Le roi avait épousé cette princesse le 18 juillet 1385. Mais elle habitait d'ordinaire avec lui le château de Beauté ; c'était là qu'elle était accouchée en 1386 du dauphin Charles ; en 1388, d'une fille qui mourut dix-huit mois plus tard, et qu'en 1389 elle était devenue enceinte d'une autre princesse qui fut reine d'Angleterre et duchesse d'Orléans.

Charles VI voulut que le couronnement et l'entrée solennelle de sa femme à Paris fussent marqués par une fête extraordinaire, et pour cela il fit publier partout, non seulement dans le royaume, mais encore en Angleterre et en Allemagne, qu'un sauf-conduit de quatre mois était accordé à tous les bannis et criminels qui voudraient venir à Paris afin d'assister à cette fête magnifique, qui eut lieu le dimanche 22 août 1389 et qui mérite une description particulière.

L'historien Froissard, qui vint à Paris pour y prendre part, dit qu'il y avait tant de peuple à Paris et dehors que c'était merveille de le voir.

La reine attendait dans l'abbaye de Saint-Denis, entourée des dames de sa cour qui devaient l'accompagner, que le cortège se mît en marche. Les bourgeois de Paris avaient reçu l'ordre de tapisser toutes les rues par lesquelles il devait passer et douze cents d'entre eux, à cheval, tous habillés de robes d'une sorte de drap appelé baudequin, vert et rouge, formaient la haie au sortir de l'église.
La cérémonie commença.

La reine Jeanne ouvrit la marche dans une litière couverte, avec la duchesse d'Orléans, sa fille, et une grande suite de seigneurs, vêtus avec un luxe extraordinaire. Elles passèrent par la grande rue de Saint-Denis, et se rendirent au palais où les attendait le roi. Ce n'était que le prélude, ces deux princesses étant chargées de recevoir la reine à son arrivée.

Isabeau de Bavière partit de Saint-Denis, avec les duchesses de ferry, de Bourgogne, de Touraine et de Bar, la comtesse de Nevers, la dame de Coucy et nombre d'autres. Les duchesses de Berry et de Touraine étaient à cheval ; la reine et toutes les autres dames, en litière. Celle de la reine était découverte ; en tête se tenaient le duc de Bourbon et le duc de Touraine ; de chaque côté, les ducs de Berry et de Bourgogne ; derrière, Pierre de Navarre et le comte d'Ostrevant.

Suivaient : la duchesse de Berry, sur un cheval magnifiquement harnaché, accompagnée par Jacques de Bourbon et Philippe d'Artois ; la duchesse de Touraine, conduite par les comtes de la Marche et de Nevers. Ensuite, dans une litière découverte, étaient la duchesse de Bar et sa fille, conduites par Charles d'Albret et le seigneur de Coucy. Les autres dames suivaient sur des chariots couverts ou à cheval. Les sergents d'armes et les officiers du roi avaient grand'peine à faire faire place. « La foule était si grande, dit un historien, qu'on eût dit que tout le royaume se fût assemblé pour voir cette cérémonie. »

Les princes et les gentilshommes qui conduisaient les dames étaient tous à pied et toutes les princesses portaient au front des couronnes d'or et de pierreries. On avait préparé différents spectacles aux portes de la ville, aux fontaines, aux carrefours, aux églises qui se trouvaient sur le parcours de la reine.

A la première porte qu'on franchissait pour entrer dans Paris, venant de Saint-Denis, et qu'on désignait sous le nom de la Bastide-Saint-Denis, on avait représenté un ciel tout étoilé, et, « dans ce ciel, de jeunes enfants appareillés et mis en ordonnnances d'anges, lesquels enfants chantaient moult mélodieusement et doulcement. Et, avec tout ce, il y avait une image de Nostre-Dame, qui tenait par figure un petit enfant, lequel enfant s'ébattait par soi à un moulinet fait d'une grosse noix et était haut le ciel et armoyé très-richement des armes de France et de Bavière, à un soleil d'or resplendissant et donnant ses rais. Et cil soleil d'or rayant était la devise du roi, et pour la fête des joutes. Lesquelles choses la reine de France et les dames, en passant entre et dessous la porte, virent moult volontiers et aussi firent toutes gens qui par là passèrent. »

En d'autres termes, la décoration représentait le ciel étoilé, rempli d'anges chantant et, au mi-lieu, la Vierge, tenant dans ses bras le petit Jésus jouant avec un petit moulin.

Après avoir passé cette bastide Saint-Denis, la reine et sa suite arrivèrent devant la fontaine de la rue Saint-Denis, qui était tapissée de drap bleu de ciel, sur lequel se détachaient des fleurs de lis d'or, et, aux piliers environnant cette fontaine étaient suspendus les écus aux armes des princes et des hauts barons du royaume. Des jeunes filles très richement parées se tenaient autour de la fontaine, d'où coulait du vin, et chantaient « très mélodieusement » en tenant à la main des coupes et des hanaps d'or, qu'elles emplissaient et offraient à tous ceux qui voulaient boire.

Arrivé au monastère de la Trinité, le cortège s'arrêta devant un théâtre improvisé, sur lequel les bourgeois s'étaient imaginés de représenter la grande bataille du roi Richard contre Saladin et les Sarrasins, « et là étaient par personnages tous les seigneurs de nom, qui jadis au pas Saladin furent et armoyés de leurs armes, ainsi que pour le temps de adonc, ils s'armaient, et un petit en sus d'eux, était par personnage le roi de France, et, entour de lui, douze pairs de France et tous armoyés de leurs armes. »

La reine et les dames qui l'accompagnaient prirent grand plaisir à cette représentation qui dura une bonne heure. Après qu'elle fut terminée, elles vinrent à la seconde porte Saint-Denis, où on avait élevé une sorte de portique avec décor représentant le paradis ; là se tenaient Dieu le père, le Fils et le Saint-Esprit et de jeunes enfants de choeur qui chantaient. Lorsque Isabeau passa dessous, la porte du paradis s'ouvrit et deux anges en descendirent tenant entre leurs mains une très riche couronne d'or, garnie de pierres précieuses, qu'ils lui posèrent doucement sur la tête en chantant :

Dame enclose entre fleurs de lys,
Reine êtes-vous de Paris,
De France et de tout le pays,
Nous en relions en paradis.

Le cortège s'arrêta encore devant la chapelle Saint-Jacques, où sur un échafaud se tenait un homme qui jouait de l'orgue, puis, reprenant sa marche, il arriva à la porte du Châtelet où on avait bâti un château de bois surmonté d'un lit de justice magnifiquement tapissé, sur lequel était couchée une femme représentant sainte Anne.

Un homme armé de toutes pièces gardait chacun des créneaux. Ce château contenait dans son enceinte une garenne « et une grande foison de ramée », avec beaucoup de lièvres, lapins et oisillons. Du bois s'échappa, à l'approche de la reine, un grand cerf blanc, mis en mouvement par un homme caché à l'intérieur et qui portait au cou les armes du roi (d'azur à trois fleurs de lis d'or). Il se sauva vers le lit de justice, poursuivi par un lion et par un aigle, mais une douzaine de jeunes filles tenant en mains des épées nues se précipitèrent devant le lion et l'aigle, pour protéger le cerf qui alla s'agenouiller devant la sainte.


Le roi et Savoisy, ayant voulu forcer la consigne,
furent houspillés d'importance.
O
r, tandis que tout ceci se passait, le roi, qui était dans son palais, était inquiet de savoir si les choses marchaient bien et si le programme s'exécutait sans accroc ; il s'intéressait surtout à la représentation du Châtelet et, ne pouvant plus longtemps contenir son impatience, il imagina d'y assister, mais comme il ne convenait pas qu'il y allât officiellement il proposa à Charles de Savoisy, son chevalier d'honneur, de se déguiser l'un et l'autre et de se mêler à la foule des curieux.

Savoisy fit ce qu'il put pour détourner le roi de ce projet, mais celui-ci tenait à être obéi, et il exigea que le gentilhomme, une fois déguisé, montât à cheval et le prit en croupe. Savoisy fit ce qui lui était commandé. Il choisit un fort cheval, prit le roi derrière lui et le promena ainsi à travers la foule, afin de lui faire voir ce qu'il y avait de plus curieux. Mais le plus difficile était d'arriver jusqu'au Châtelet. Le château de bois était gardé par des sergents qui, pour empêcher l'irruption de la populace, étaient armés de baguettes en bois de bouleau et frappaient à tour de bras sur les gens qui s'approchaient de trop près.

Le roi et Savoisy, ayant voulu forcer quelque peu la consigne, furent houspillés d'importance, Savoisy tourna bride au plus vite, mais comme le roi se trouvait placé derrière lui, ce fut sur ses épaules que les coups de baguette tombèrent dru comme grêle. Il regagna vite son palais, charmé de voir que les précautions étaient si bien prises pour éloigner les gens trop curieux.

La reine et sa suite s'approchèrent enfin du grand pont qui était couvert et tendu de taffetas bleu à fleurs de lis d'or. Là un spectacle plus surprenant que tous les autres allait frapper ses regards. Un Génevois, qui avait disposé une corde allant de l'une des tours Notre-Dame au haut de la première maison du pont (rive droite), descendit sur cette corde, une couronne de la main droite, un flambeau allumé dans l'autre ; et au moment où la reine allait s'engager sur le pont il lui déposa sa couronne de fleurs sur la tête et s'en retourna sur sa corde avec son flambeau allumé pour dissiper l'obscurité naissante. Un cri unanime d'admiration salua ce danseur de corde émérite.

Les villageois des environs de Paris qui aperçurent, dit-on, à trois ou quatre lieues à la ronde cette illumination mouvante, pensèrent qu'un ange était descendu du paradis tout exprès pour saluer la reine à son entrée dans sa bonne ville. Les plus sceptiques durent croire tout au moins à une étoile filante, à quelque lumineux météore, complice de la joie universelle ou présage d'un grand événement public.

Parvenue sur la place du parvis Notre-Dame, où se tenait l'évêque de Paris entouré de son clergé, la reine mit pied à terre ainsi que les princesses, et tout le monde entra dans la cathédrale. Isabeau de Bavière, après avoir prié, fit présent à la trésorerie de quatre beaux draps d'or et de la couronne que les anges lui avaient mise sur la tête à la porte Saint-Denis. Jean de La Rivière et Jean Le Mercier lui en offrirent une plus magnifique encore et ce fut l'évêque de Paris et les quatre ducs qui l'avaient accompagnée depuis Saint-Denis qui mirent sur la tête de la reine ce nouveau symbole de la souveraineté.

Sur ces entrefaites, la nuit était venue et cinq cents cierges furent allumés sur le chemin qui séparait la cathédrale du palais, où le roi attendait sa femme, en compagnie de la reine Jeanne et de la duchesse d'Orléans. Un repas superbe suivit cette cérémonie, qui se termina par un bal. Le lendemain Isabeau fut conduite à la Sainte-Chapelle par les quatre ducs et y fut sacrée et couronnée par Jean de Vienne, archevêque de Rouen. Après la messe, on entra dans la grande salle de la table de marbre (table qu'on avait pour la circonstance renforcée d'une épaisse planche de chêne), où se trouvait servi le dîner.

En face de la grande table, contre un des piliers, se trouvait le dressoir du roi, couvert de vaisselle d'or et d'argent. A la grande table de marbre s'assirent les évêques de Langres et de Noyon, l'archevêque de Rouen, le roi couronne d'or en tête, la reine aussi couronnée, le roi d'Arménie, les duchesses de Berry, de Touraine et de Bourgogne, et les dames de Nevers, de Bar, de Coucy, d'Harcourt et de La Trémouille. Il y avait à deux autres tables plus de cinq cents dames.

On avait préparé sur trois plates-formes roulantes la représentation dramatique du siège de Troie qui devait être donnée pendant le dîner, pour divertir les convives, mais la foule était si gravide qu'on dut y renoncer. Le peuple s'était rué par toutes les issues dans la salle du festin, et la presse était si forte que plusieurs personnes furent étouffées par la chaleur.

Froissard raconte qu'on se poussait tellement pour voir une table placée près de la porte du parlement, « où grand foison de dames et damoiselles étaient assises », qu'à un moment donné la table, tout ce qui était dessus et les dames et les demoiselles qui y dînaient furent renversés ; il s'ensuivit un pêle-mêle abominable. La reine elle-même était si mal à son aise qu'on fut obligé d'abattre une cloison derrière elle pour lui donner de l'air. La dame de Coucy faillit aussi étouffer. Enfin le roi donna l'ordre de se lever et d'abattre soudainement les tables, puis il sortit avec sa femme et quelques dames et s'en alla à l'hôtel Saint-Paul, escorté de plus de mille cavaliers. Si on avait mal dîné au palais, on soupa mieux à l'hôtel Saint-Paul et toute la nuit se passa à danser.

Quant à la reine, indisposée par la chaleur, elle était rentrée dans sa chambre d'où elle ne sortit pas. Le lendemain mardi, les bourgeois de Paris, au nombre de quarante, choisis parmi les plus notables et tous vêtus de la même façon, se rendirent à l'hôtel Saint-Paul avec les présents de la ville portés par deux

Entrée d'Isabeau de Bavière à Paris, le 22 août 1389.
hommes sur un brancard surmonté d'un ciel et entouré de rideaux de soie si légère qu'on pouvait distinguer à travers ce qui était sur le brancard. Les bourgeois furent conduits à la chambre du roi où on les attendait. Ils firent poser le brancard sur deux tréteaux et, s'étant mis à genoux devant le roi, ils lui dirent :

— Très cher sire et noble roi, vos bourgeois de la ville de Paris vous présentent, au joyeux avènement de votre règne, tous les joyaux qui sont sur cette litière.

Le roi répondit :

— Grand merci, bonnes gens ; ils sont beaux et riches.

Et les bourgeois s'en allèrent. Lorsqu'ils furent partis, le roi dit à messire Guillaume des Bordes et à Montagu qui étaient près de lui :

— Allons voir de plus près ce que sont ces présents.

Ils s'approchèrent et, écartant les rideaux, le roi examina ce qu'on venait de lui offrir. Il trouva quatre pots, six trempoirs et six plats d'or.

Or, tandis qu'il examinait le travail et le poids (150 marcs) de ces cadeaux, un autre groupe de bourgeois de Paris conduisait à la chambre de la reine un brancard porté par deux hommes costumés l'un en ours, l'autre en licorne, et sur ce brancard il y avait une nef, deux grands flacons, deux drageoirs, deux salières, six pots et six trempoirs d'or, douze lampes et deux bassins d'argent (en tout 300 marcs d'or et d'argent).

Ce n'est pas tout : Douze bourgeois conduisirent chez la duchesse de Touraine deux hommes vêtus en Mores et lui portant une nef, un grand pot, deux drageoirs, deux grands plats et deux salières d'or, avec six pots, vingt-quatre petits plats ou saucières et autant de tasses d'argent, le tout du poids de 200 marcs.

Trois tournois succédèrent à la remise de ces présents ; ils eurent lieu trois jours de suite à la culture Sainte-Catherine, où les lices avaient été préparées avec des estrades tout autour pour la reine, les princesses et les dames de la cour. La devise du roi était un soleil d'or et les tenants s'appelaient les chevaliers du roi du soleil d'or. Dans le premier de ces tournois luttèrent les chevaliers, le second fut réservé aux écuyers et dans le troisième les uns et les autres purent combattre.

Le premier jour mardi, le tournoi commença à trois heures après midi, mais la poussière incommoda fort les spectateurs et les combattants, parmi lesquels le roi en personne lutta et gagna le prix. Ce jour-là la reine fut reconduite à l'hôtel Saint-Paul, où le souper fut suivi de danses et de divertissements jusqu'au lever du soleil.

Le mercredi, deux cents porteurs d'eau arrosèrent les lices et le plaisir fut doublé par l'arrivée du comte de Saint-Paul qui apporta la nouvelle qu'une trêve était conclue avec l'Angleterre. Le tournoi se prolongea jusqu'à la nuit.

Enfin, le troisième jour, le roi donna à dîner aux dames, et, sur la fin du repas, on vit entrer dans la salle du festin deux chevaliers montés et armés de toutes pièces, la lance au poing ; c'était Renaud de Roye et le jeune Boucicaut. Ils joutèrent vigoureusement et à eux se joignirent quelques autres chevaliers qui donnèrent pendant deux heures au roi et aux dames le passe-temps du combat. Ce fut la clôture des divertissements.

L'année 1390 n'est signalée par aucun événement saillant, mais nous trouvons plusieurs condamnations qui méritent d'être notées : Gillette Large, accusée d'avoir enlevé des cuillers d'argent au préjudice de Jehan de Maulmes, son maître, fut condamnée, le 7 juillet 1390, attendu, dit la sentence, que c'était le premier larcin qu'elle commettait, à être exposée au pilori, à avoir l'oreille droite coupée et à être bannie de la ville de Paris, sous peine d'être enterrée vive.

Le 9 août, Margot de La Barre fut brûlée au marché aux Pourceaux, comme sorcière.

Le 7 septembre, Regnault de Poilly fut décapité et pendu pour avoir empoisonné des puits et des fontaines.

Le 21 du même mois, Jehan de La Ramée fut pendu les mains liées devant, pour homicide.

Le 3 octobre, Jehan Jouye fut bouilli dans une chaudière pour crime de fausse monnaie.

Le 6 du même mois, Berthault Lestalon eut l'oreille droite coupée pour avoir volé « pour la première fois ».

On voit avec quelle sévérité les crimes étaient punis à cette époque, et ces pénalités étant appliquées publiquement, les assistants, loin de les trouver excessives, regardaient curieusement ces tortures, sans donner le moindre signe de commisération. On était familiarisé avec la vue des férocités.

Le 6 février 1392, Paris fut de nouveau en fête ; on sonna les cloches, on alluma des flambeaux aux fenêtres pendant la nuit, on fit partout des feux de joie, on dressa sur les places des tables chargées de confitures et de vin « pour régaler les passants », à l'occasion de la naissance du prince royal Charles. « Chacun se mit à chanter et à danser à l'envi l'un de l'autre » : en un mot, toutes les rues retentirent du bruit des concerts et des instruments. Le jeudi suivant, on porta le petit prince en grande pompe à l'église Saint-Paul, où il reçut le baptême des mains de l'archevêque de Sens, assisté de dix autres prélats en habits pontificaux.

 


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