Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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De l'habit noir. Les aigrefins. Batteur de pavé. Pays latin.
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

De l'habit noir.
Avec un habit noir on est vêtu, on est dispensé de suivre les modes, et d'avoir des habits de couleur : on est sensé être en deuil ; et quoique ce deuil soit éternel, on passe partout avec cet habillement. Il annonce, il est vrai, peu d'aisance ; et par-là même il est affecté aux solliciteurs, aux officiers réformés, aux rentiers sans accroissement, aux auteurs, etc. Ceux-ci le portent quelquefois pour intéresser en leur faveur, se faire remarquer, et demander des pensions. Ce stratagème a réussi à quelques-uns : il serait très incivil d'en faire tout haut la remarque. Les deuils de cour, qui surviennent assez fréquemment, épargnent de l'argent aux bons parisiens : ces deuils mettent dans la société le plus grand nombre fort à son aise ; et l'on dirait alors que les fortunes sont égales. La chute des têtes couronnées n'est donc pas désagréable à Paris.

Ces morts-là arrangent tout le monde ; car l'habit noir s'accorde merveilleusement avec les boues, l'intempérie des saisons, l'économie, et la répugnance à faire une longue toilette. J'hérite de tel roi, s'écriait un poète de ma connaissance. – comment ? – comment ! Il m'en eût coûté ce printemps, pour un habit, vingt pistoles que je remets en poche ; et je porterai volontiers le deuil de sa majesté bienfaisante. Il est assez plaisant de voir un bijoutier porter le deuil d'une tête couronnée, dont il estropie le nom ; mais l'usage a prévalu, et ce n'est plus un ridicule pour les classes les plus humbles de la société. Lorsque le petit deuil arrive, ceux qui ne sont pas riches, ou qui ne savent pas se mettre, trahissent leur état ; et les gens du monde reparaissent brillants, et se moquent de l'indigence, qui ne sait que se mettre tout en noir des pieds à la tête. Le coup d'œil le plus brillant au spectacle, est dans ces jours de petit deuil : c'est alors que les femmes et leurs diamants paraissent dans tout leur éclat.

Les aigrefins.
Des jeunes gens qui arrivent des bords de la Garonne, des fils de tailleurs, d'aubergistes, etc. prennent un nom aux barrières, arborent le plumet, se qualifient gentilshommes, et avec un peu d'esprit et beaucoup de front, mentent aux bons parisiens de la manière la plus hardie : ils prennent à crédit de tous côtés, en attendant les revenus de leurs terres. Le marchand à Paris aime mieux perdre que de ne point se défaire de sa marchandise. On laisse ces jeunes gens prendre le nom de chevaliers, de comtes, de marquis, etc. Ces marquis, ces comtes, ces chevaliers sont en chambres garnies : tant qu'ils ne sont que fats et avantageux, qu'ils se contentent de mettre à contribution quelques femmes extravagantes, quelques vieilles douairières, la police ne s'en inquiète pas, on les tolère encore ; mais à la moindre friponnerie, on les démarquise au château de Bicêtre. Le moindre gentilhomme se qualifie, dans le plus petit contrat, de haut et puissant seigneur : le garde note écrit tout ce qu'on lui dicte ; de là l'incroyable facilité de se donner des noms et des titres usurpés.

Les hommes nouveaux cherchent de leur côté à grimper sur un gradin un peu plus élevé ; ils tâchent de faire oublier leur origine, et on les voit tous possédés de la fureur de faire ériger leurs terres en marquisat. Cette excessive vanité tourne une infinité de têtes : ce qui fait qu'on s'accoutume aujourd'hui à ne regarder comme vraie noblesse que quatre ou cinq maisons : et l'on fait très sagement ; car si, de tous les préjugés qui nous rendent stupides, le plus déraisonnable et le plus insolent est celui de la noblesse (l'éducation et les lumières ayant rangé presque tous les hommes bien nés sur la même ligne), il est juste qu'on frappe de ridicule cette foule d'hommes qui voudraient, au nom de leurs aïeux vrais ou faux, se séparer de leurs concitoyens, plus honnêtes, plus utiles et plus recommandables que ces nobles, gentilshommes ou gentillâtres, quelques noms qu'ils prennent, ou qu'ils usurpent, ou qu'ils aient reçus par le hasard de la naissance.

Batteur de pavé.
C'est ordinairement un gascon qui mange ses cent pistoles de rente, tant qu'elles peuvent s'étendre ; qui dîne à la gargote, soupe avec une bavaroise, et plein de vanité, se carre aux promenades, comme s'il avait dix mille écus de rente : il sort dès le matin de sa chambre garnie, et le voilà errant dans tous les quartiers jusqu'à onze heures du soir. Il entre dans toutes les églises sans dévotion ; fait des visites à des personnes qui ne se soucient point de lui ; est assidu aux tribunaux, sans avoir de procès. Il voit tout ce qui se passe dans la ville, assiste à toutes les cérémonies publiques, ne manque rien de ce qui fait spectacle, et use plus de souliers qu'un espion ou qu'un agent de change. Quand un de ces batteurs de pavé décède, on pourrait lui mettre pour épitaphe : (...). Une loi du grand Amafis, roi d'Égypte, prescrivait à chaque particulier de rendre compte tous les ans à un magistrat de la manière dont il subsistait. Si cette loi était en vigueur parmi nous, il y aurait beaucoup de gens fort embarrassés à répondre.

Pays latin.
On nomme pays latin le quartier de la rue Saint-Jacques, de la montagne sainte-Genevieve et de la rue de la harpe : là sont les collèges de l'université, et l'on y voit monter et descendre une nuée de sorbonistes en soutane, de précepteurs en rabat, d'écoliers en droit, et d'étudiants en chirurgie et en médecine : leur indigence nécessite leur vocation. Quand la comédie Française était dans le pays latin, le parterre était beaucoup mieux composé qu'il ne l'est aujourd'hui : ce parterre savait former des acteurs ; ceux-ci, privés de l'utile censure que les étudiants exerçaient, se pervertissent devant un parterre grossier, parce qu'on n'y voit plus que les courtauts de boutique de la rue saint-Honoré, ou les petits commis de la douane et des fermes. Ainsi la perfection d'un art tient à des rapports presque insensibles et rarement aperçus.


 

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