Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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ANATOMIE. VIVISECTION.
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

J'ai toujours été révolté de voir dans les collèges un professeur qui, à la fin d'une année de physique, la couronne par une barbarie expérimentale : on cloue un chien vivant par les quatre pattes ; on lui enfonce le scalpel dans les chairs, malgré ses hurlements douloureux ; on lui ouvre les entrailles, et le professeur manie un cœur palpitant. La cruauté doit-elle accompagner la science ? Et les écoliers ne sauraient -ils apprendre un peu d'anatomie, sans être préalablement des bourreaux ? L'art des Winslow a des accessoires bien repoussants ; il faut que l'anatomiste s'associe avec des hommes de la lie du peuple, qu'il ouvre un marché avec des fossoyeurs ; c'est ainsi que l'on a des cadavres.

Les élèves, au défaut d'argent, escaladent la nuit les murs d'un cimetière, volent le corps déposé et enseveli la veille, et le dépouillent de son linceul. Après qu'on a brisé la bière et violé la sépulture des morts, on plie le cadavre en deux, on le porte dans une hotte chez l'anatomiste ; ensuite, quand le corps a été haché, disséqué, l'anatomiste ne sait plus comment le replacer au lieu où il l'a pris : il en jette et en disperse les morceaux où il peut, soit dans la rivière, soit dans les égouts, soit dans les latrines ; des os humains se trouvent mêlés avec les os des animaux qu'on a dévorés, et il n'est pas rare de trouver dans des tas de fumier, des débris de l'espèce humaine. Tous ceux qui manient le scalpel, aiment donc de préférence la capitale, à cause de l'extrême facilité qu'ils ont pour y suivre les études anatomiques.

Les cadavres y abondent et sont à bon marché ; en hiver on ne les paie qu'au rabais ; l'anatomiste en chef achète ces corps dix à douze francs, et les revend à ses élèves un louis ou dix écus. Il y a un commerce suivi entre les corbeaux des cimetières et les disciples des maîtres en chirurgie. En allant prendre une leçon gratuite d'anatomie, on pourrait (ce qui est horrible à penser) rencontrer sur le marbre noir son père, son frère, son ami, qu'on aurait enterré et pleuré la veille. Puisque la perfection de la médecine et de la chirurgie dépend de l'anatomie, le gouvernement n'aurait-il pas dû épargner aux gens de l'art ce trafic clandestin et honteux, et prévenir les scènes scandaleuses et dégoûtantes qui en résultent ? Qui croirait que les Winslow et les Ferreins sont, au terme de la loi, des profanateurs sacrilèges, des violateurs des tombeaux, et qu'ils ont encouru les peines les plus graves ?

Tout sera donc éternellement en contradiction, nos lois, nos mœurs et nos usages ! Si un ancien revenait au monde, de quel étonnement ne serait-il pas frappé dans l'amphithéâtre de l'académie royale, qu'aucune loi n'autorise à avoir des cadavres ! Un mort était pour les anciens un objet sacré, qu'on déposait avec respect sur un bûcher ; et celui-là était déclaré impur, qui osait y porter la main. Que dirait -il, en voyant ce corps horriblement coupé, mutilé ; et tous ces jeunes chirurgiens, les bras nus et ensanglantés, folâtrer et rire au milieu de ces épouvantables opérations ? L'hôtel-dieu refuse de livrer des cadavres ; on a recours à l'adresse ; on les vole à Clamart, ou bien on les achète de la Salpetrière et de Bicêtre. Les corps des vénériens qui sont morts dans les grands remèdes, servent ordinairement à la dissection publique dans les amphithéâtres. L'anatomie n'a fait aucun progrès depuis quarante ans, ni aucune découverte conséquente.

Le corps humain est aujourd'hui connu parfaitement dans toutes ses parties ; et il sera difficile d'ajouter à ce qu'on sait, tant les recherches ont été profondes. Mais l'anatomie n'est cependant encore qu'une vraie nomenclature, et rien de plus. Il reste à connaître le jeu de la machine, à apprécier ses rapports, et les principes des forces vitales. (...). La patience mécanique de l'anatomiste doit céder la place au génie qui généralise, qui scrute, qui se trompe en cherchant à deviner ; mais qui, à force de tourmenter plusieurs systèmes, découvrira peut-être une seule et importante vérité, d'où jailliront toutes les autres. L'académie royale de chirurgie est un monument d'architecture très remarquable. Louis Xv, qui préférait l'art de la chirurgie à toutes les autres sciences, a fait pour son école des dépenses que les autres arts ont enviées.


 

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