Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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Chambres garnies. Fiacres. Porteurs d'eau,
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

Un boyard vient habiter une mansarde sur le palais royal, et un moscovite se loge dans un entresol écrasé, à un prix exorbitant ; un staroste et un helvétien se partagent un même appartement. Les chambres garnies sont sales. Rien n'afflige plus un pauvre étranger, que de voir des lits malpropres, des fenêtres où sifflent tous les vents, des tapisseries à demi pourries, un escalier couvert d'ordures. En général le parisien vit dans la crasse : on n'a pas assez pourvu aux besoins des voyageurs, et cependant qui est-ce qui ne voyage pas ? Un anglais et un hollandais, qui se sont fait une jouissance de la propreté la plus délectable, se trouvent couchés dans un lit infecté d'animaux incommodes ; et tous les vents coulis entrent dans leur chambre.

Ils quittent le plus tôt possible une ville où tous les sens sont douloureusement affectés, et emportent l'argent qu'ils y auraient laissé. Les chambres garnies sont un auraient contre les créanciers : quiconque n'a pas fait des lettres de change qui contraignent par corps, et qui n'est pas marchand, arrête la voracité des huissiers : il sort de sa chambre garnie pour se promener sans risque, et dit comme Bias : omnia mecum porto. On ne paie point de capitation personnellement dans les chambres garnies ; mais celui qui vous les loue, paie et vous fait payer en conséquence : il faut donner son nom sur des registres qui vont à la police, et elle sait bien ce qu'elle en fait. L'enlèvement des particuliers se fait beaucoup plus facilement dans les chambres garnies qu'ailleurs, et l'on n'y regarde pas de si près.

Quand quelqu'un est arrêté par ordre du gouvernement, l'exempt crie à tous que c'est un voleur ; et comme la personne est non-domiciliée, on croit qu'elle a volé : on n'en parle plus le soir même, et sa mémoire est ensevelie pour jamais. Il y a eu des années où l'on a compté à Paris cent mille étrangers, tous en chambres garnies ; ce nombre est considérablement diminué. Le prix des chambres garnies est fort inégal : vous aurez un appartement de quatre pièces près du Luxembourg, qui vous coûtera six fois plus près du palais royal.

Ces malheureuses créatures, qui au sortir des spectacles vous arrêtent sur le pavé et vous poursuivent dans le ruisseau, sont en chambres garnies. Elles paient le double de ce que paierait une femme honnête ; de sorte que ce loyer renaissant les écrase. Elles ne peuvent sortir de la triste condition où elles sont plongées que par une aventure heureuse et rare. Il est défendu de louer à des femmes prostituées ; et sans elles néanmoins la moitié des appartements seraient vides : les perruquiers et les marchands de vin sont les principaux propriétaires de ces sales tripots ; ils en tirent beaucoup d'argent, se font payer d'avance, vexent ces déplorables créatures, et en sont encore les espions.

Fiacres.
Les misérables rosses qui traînent ces voitures délabrées, sortent des écuries royales, et ont appartenu à des princes du sang, enorgueillis de les posséder. Ces chevaux réformés avant leur vieillesse, passent sous le fouet des plus impitoyables oppresseurs. Ci-devant nobles quadrupèdes, impatiens du frein, traînant l'équipage superbe comme un fardeau léger ; maintenant malheureux animaux, tirant le nerf, humides de pluie, dégoûtants d'une sueur sale, fatigués, tourmentés pendant dix-huit heures par jour, sous le poids des courses que le public leur impose. Ces voitures hideuses, dont la marche obscure est si traînante, servent quelquefois d'auraient à la jeune fille échappée un instant à la vigilance de ses argus, et qui montant d'un pied agile et non aperçu, veut converser avec son amant sans être vue ni remarquée. Rien ne révolte l'étranger qui a vu les carrosses de Londres, d'Amsterdam, de Bruxelles, comme ces fiacres et leurs chevaux agonisants.

Quand les fiacres sont à jeun, ils sont assez dociles ; vers le midi ils sont plus difficiles ; le soir ils sont intraitables ; les rixes fréquentes qui s'élèvent sont jugées chez les commissaires ; ils inclinent toujours en faveur du cocher. Plus les cochers sont ivres, plus ils fouettent leurs chevaux ; et vous n'êtes jamais mieux mené que quand ils ont perdu la tête. Il s'agissait de je ne sais quelle réforme, il y a quelques années : les fiacres s'avisèrent d'aller tous, au nombre de presque dix-huit cents, voitures, chevaux et gens, à Choisy, où était alors le roi, pour lui présenter une requête.

La cour fut fort surprise de voir dix-huit cents fiacres vides qui couvraient au loin la plaine, et qui venaient apporter leurs humbles remontrances au pied du trône : cela donna une sorte d'inquiétude. On les congédia comme ils étaient venus : les quatre représentants de l'ordre furent mis en prison, et l'on envoya l'orateur à Bicêtre avec son papier et sa harangue. Rien de si commun que la soudaine rupture des soupentes ou des roues : vous avez le nez cassé ou une contusion au bras ; mais vous êtes dispensé de payer la course. Les fiacres ne peuvent aller jusqu'à Versailles, ni sur les routes où il y a des bureaux de voitures, qu'en payant une permission

Particulière.
Dès qu'ils sont hors des barrières, ils vous font la loi malgré les tarifs : les uns sont d'une complaisance extrême, les autres sont emportés, insolents ; il est plus tôt fait de les apaiser avec quelques sols de plus, que d'aller demander justice, ou de se la faire soi-même ; et c'est le parti que prennent tous les honnêtes gens. Si vous oubliez quelque chose dans la voiture, comme elle est numérotée, vous allez à un bureau en faire la réclamation, et l'objet vous est ordinairement rendu. La commodité et la sûreté publique exigeraient que les fiacres fussent moins sales, plus solides, mieux montés ; mais la rareté, la cherté des fourrages, et l'impôt considérable de vingt sols par jour, pour rouler sur le pavé, empêchent les réformes les plus désirables.

Porteurs d'eau.

On achète l'eau à Paris. Les fontaines publiques sont si rares et si mal entretenues, qu'on a recours à la rivière ; aucune maison bourgeoise n'est pourvue d'eau assez abondamment. Vingt mille porteurs d'eau, du matin au soir, montent deux seaux pleins, depuis le premier jusqu'au septième étage, et quelquefois par-delà : la voie d'eau coûte six liards ou deux sols. Quand le porteur d'eau est robuste, il fait environ trente voyages par jour. Quand la rivière est trouble, on boit l'eau trouble : on ne sait trop ce qu'on avale ; mais on boit toujours. L'eau de la Seine relâche l'estomac, pour quiconque n'y est pas accoutumé. Les étrangers ne manquent presque jamais l'incommodité d'une petite diarrhée ; mais ils l'éviteraient, s'ils avoient la précaution de mettre une cuillerée de bon vinaigre blanc dans chaque chopine d'eau. « l'on a vu, sous le costume pénible et laborieux d'un porteur d'eau,... etc. »


 

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