Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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BOULEVARDS PARISIENS. NOS GRAND-MERES
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

Un coup d'œil très agréable encore est celui qu'offre le jardin des tuileries, ou plutôt les Champs-Élysées, dans un beau jour de printemps. Les deux rangs de jolies femmes qui bordent la grande allée, serrées les unes contre les autres sur une longue file de chaises, regardant avec autant de liberté qu'on les regarde, ressemblent à un parterre animé de plusieurs couleurs. La diversité des physionomies et des atours, la joie qu'elles ont d'être vues et de voir, l'espèce d'assaut qu'elles font lorsque sur leurs visages brille l'envie de s'éclipser ; tout ajoute à ce tableau diversifié qui attache les regards et fait naître mille idées sur ce que les modes enlèvent ou ajoutent à la beauté, sur l'art et la coquetterie des femmes, sur ce désir inné de plaire, qui fait leur bonheur et le nôtre.

Les vertugadins de nos mères, leurs étoffes tailladées de falbalas, leurs épaulettes ridicules, leurs enceintes de cerceaux, cette multitude de mouches, dont quelques-unes ressemblaient à de véritables emplâtres, tout cela est disparu, excepté la hauteur démesurée de leurs coiffures : le ridicule n'a pu corriger ce dernier usage ; mais ce défaut est tempéré par le goût et la grâce qui président à la structure de l'élégant édifice. Les femmes, à tout prendre, sont mieux mises aujourd'hui qu'elles ne l'ont jamais été : leur ajustement réunit la légèreté, la décence, la fraîcheur et les grâces. Ces robes d'une étoffe légère se renouvellent plus souvent que ces robes où brillaient l'or et l'argent ; elles suivent, pour ainsi dire, les nuances des fleurs des diverses saisons.

Il n'y a que la main de nos marchandes de modes, pour métamorphoser avec une si prodigieuse diversité la gaze, le linon et les rubans. Si les femmes pouvaient quitter ce choquant enduit de blanc et de rouge trop prononcé, elles auraient détruit le mauvais goût de leurs mères, et jouiraient de tous les avantages que la nature a versés sur elles : elles n'ont pas besoin de diamants et de parure, affiches du luxe et de l'opulence ; les diamants partagent l'attention que l'on doit à leur beauté réelle, et le charme le plus piquant d'une belle est d'ignorer qu'elle le soit.

Boulevards.
C'est une promenade vaste, magnifique, commode, qui ceint pour ainsi dire la ville : elle est de plus ouverte à tous les états, et infiniment peuplée de tout ce qui peut la rendre agréable et récréative : on s'y promène à pied, à cheval, en cabriolet ; et l'on peut placer les boulevards à côté de tout ce qu'il y a de plus beau à Paris. Le boulevard du côté du midi est le moins fréquenté ; c'est néanmoins le plus salubre : on ne peut se lasser de l'admirer ; il est orné de quatre rangs d'arbres, avec une chaussée d'encaissement, (de cailloux ou de pavés) de vingt-quatre pieds de largeur, qui règne dans un contour de six mille quatre-vingt-trois toises. On ne voit de ces travaux superbement prolongés et utiles que dans une immense et riche capitale. Cette espèce d'écharpe ou de ceinture est admirable ; mais elle renferme des objets pauvres, désagréables et mesquins.

Nos grand-mères.
Nos grand-mères n'étaient pas si bien vêtues que nos femmes ; mais elles aperçoivent d'un coup d'œil tout ce qui pouvait intéresser le bien-être de la famille : elles n'étaient pas aussi répandues ; on ne les voyait pas incessamment hors de leurs maisons : contentes d'une royauté domestique, elles regardaient comme très importantes toutes les parties de cette administration. Telle était la source de leurs plaisirs, et le fondement de leur gloire : elles entretenaient le bon ordre et l'harmonie dans leur empire, fixaient le bonheur dans leurs foyers, tandis que leurs filles abusées vont le chercher vainement dans le tumulte du monde. Les détails de la table, du logement, de l'entretien, exerçaient leurs facultés ; l'économie soutenait les maisons les plus opulentes, qui s'écroulent aujourd'hui. La femme paraissait s'acquitter d'une tâche égale aux travaux du mari, en embrassant cette infinité de soins qui regardent l'intérieur.

Leurs filles, formées de bonne heure, concouraient à faire régner dans les maisons les charmes doux et paisibles de la vie privée ; et l'homme à marier ne craignait plus de choisir celle qui, née pour imiter sa mère, devait perpétuer la race des femmes soigneuses et attentives. Que nous sommes loin de ces devoirs si simples, si attachants ! Une conduite réglée et uniforme ferait le tourment de nos femmes ; il leur faut une dissipation perpétuelle, des liaisons à l'infini, tous les dehors de la représentation et de la vanité. Elles ne sont jamais bien dans toutes ces courses, parce qu'elles veulent être absolument où la nature ne veut pas qu'elles soient ; et tant qu'elles auront perdu le gouvernement de la famille, elles ne jouiront jamais d'un autre empire. Autre observation : les domestiques faisaient alors partie de la famille ; on les traitait moins poliment, mais avec plus d'affection ; ils le voyaient et devenaient sensibles et reconnaissants.

Les maîtres étaient mieux servis, et pourvoient compter sur une fidélité bien rare aujourd'hui. On les empêchait à la fois d'être infortunés et vicieux ; et pour l'obéissance, on leur accordait en échange bienveillance et protection. Aujourd'hui, les domestiques passent de maison en maison, indifférents à quels maîtres ils appartiennent, rencontrant celui qu'ils ont quitté sans la moindre émotion. Ils ne se rassemblent que pour révéler les secrets qu'ils ont pu découvrir : ils sont espions ; et comme on les paie bien, qu'on les habille bien, qu'on les nourrit bien, mais qu'on les méprise, ils le sentent, et sont devenus nos plus grands ennemis. Autrefois leur vie était laborieuse, dure et frugale ; mais on les comptait pour quelque chose, et le domestique mourait de vieillesse à côté de son maître.


 

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