Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DES BILLETTES, aujourd'hui rue des Archives,
IIIe et IVe arrondissement de Paris

(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. La rue des Billettes fut appelée rue des Jardins, à la fin du XIIIe siècle ; rue où Dieu Fut Bouilli et rue du Dieu Bouliz, au XVe siècle.

Le Sacrilège. Les Carmes-Billettes. Les Chanoines de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie. Les Crieurs jurés des Inhumations :
U
ne hostie consacrée, que Jonathas avait plongée dans l'eau bouillante, le jour de Pâques, 2 avril 1290, fit donner une dénomination rappelant ce sacrilége à un chemin qui, sous Philippe-Auguste, ne traversait encore que des jardins. Voici le nom : Rue-où-Dieu-fust-bouilli. Le peuple, avait saisi et brûlé Jonathas ; sa maison et son jardin avaient été donnés par Philippe-le-Bel, à un bourgeois de Paris, Réimer Flaming, lequel y avait fait construire une chapelle expiatoire. Des religieux hospitaliers de Notre-Dame quittèrent, ensuite Bacheraumont, du diocèse de Châlons, pour s'établir au même lieu. Comme ces pères s'en, allaient portant un scapulaire ou pièce d'armoirie appelé billette, la chapelle et la, rue furent dites des Billettes. Un acte du 24 juillet 1639 leur donna pour successeurs, en vertu d'une autorisation spéciale, les carmes de l'Obserante de Rennes, qui prirent possession, du prieuré, de l'église, du monastère et de tous meubles. L'église des Carmes-Billettes fut rebâtie sans changer de place, en 1754, et puis remise à neuf, vingt un ans plus tard, par le frère Claude, religieux dominicain et architecte : Les biens du même couvent furent vendus par l'État le 17 avril 1793 et le 29 ventôse an III ; mais la Ville racheta l'église, qui devint un temple luthérien, et où Mme la duchesse d'Orléans allait entendre les offices sous le règne de Louis-Philippe. Le petit cloître, qu'on retrouve, et si bien conservé, date d'avant l'installation des carmes ; c'est une bague au doigt pour la rue des Billettes, depuis qu'elle chemine en décrivant sa courbe de la rue de la Verrerie à celle Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie.

Un autre couvent, qui s'appelait comme cette dernière rue, occupait presque tout le carré que la rue Barre-du-Bec, devenue l'un des tronçons de notre rue Vieille-du-Temple, formait avec les rues. Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, de la Verrerie et des Billettes : figure dont les quatre angles se trouvaient à égale distance, ou peu s'en faut, du jardin monacal. L'entrée principale de ce monastère donnait, en face des Carmes, dans la rue des Billettes, par une sorte d'avenue, que nous
voyons estampillée en bleu passage Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie ; les deux couvents communiquaient l'un avec l'autre par des souterrains. Des squelettes d'enfants nouveaux nés ont été retrouvés, il y a peu d'années, tout près de ce passage secret, alors qu'on y établissait les conduits du gaz et de l'eau. La malignité populaire inférait de cette découverte, nomme si Dulaure avait alors passé par-là, que l'une des deux maisons religieuses avait été de carmélites et non de carmes ; mais cette hypothèse tombe devant l'identité historique de sexe des religieux de l'un et de l'autre couvent.

Les chanoines réguliers de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie devaient la fondation de leur église à saint Louis qui, en l'an 1258, leur avait octroyé l'emplacement de son ancien hôtel de la Monnaie, et plusieurs maisons contiguës, cédées à ce monarque par le savant Robert Sorbon. Nous apprenons par le sire de Joinville que « cette manière de frères, » qui le matin étaient mendiants, portaient urne croix sur la poitrine ; de là leur dénomination. Sous Sous leur église, il 'y avait seize caveaux servant de sépulture à différentes familles, et cette circonstance explique suffisamment que des enfants y aient reçu l'inhumation. Qui plus est, la communauté de Sainte-Croix a souvent eu des locataires laïques ; le dépôt des anciennes minutes du conseil privé du roi a été mis chez ces pères sous la garde du secrétaire-greffier des conseillers, et les jures-crieurs pour les inhumations y ont eu, qui plus est, leur lieu de réunion. Ces premiers organisateurs des pompes funèbres de Paris fournissaient les objets nécessaires aux enterrements, voire même des manteaux et robes de deuil, des lettres de faire part et une suite. Si l'un de ces crieurs-jurés venait à mourir, tous ses confrères le portaient en vêtus de robes et armés de clochettes, qu'ils faisaient retentir depuis la levée du corps jusqu'à ce qu'une première pelletée de terre eût été jetée sur le cercueil.

Les gens du quartier prenaient aussi pour Louis XIV le personnage principal d'un bas-relief qui fait encore honneur à l'ancienne porte des pères de Sainte-Croix, malgré ce qu'il y manque de netteté. La faute en est sans doute à la statue de la place des Victoires et à bien d'autres du même temps, qui ont habillé le grand roi absolument à la romaine. Le sujet de notre sculpture n'en remonte pas moins au IVe siècle. Constantin y est représenté au moment où ses armes, disputant l'empire à Maxence, sont dirigées contre le paganisme par l'apparition dans les airs du signe sacré de la religion chrétienne, jetant comme un éclair les mots : In hoc signo vinces. Ce portique monumental, inattendu dans un renfoncement, semble y avoir prévu de longue main dès nécessités d'alignement qui ne sont pas encore à échéance ; la rue peut doubler de largeur sans le rendre sujet à reculement ; il n'a même pas craint de se charger après coup de trois petits étages, sous lesquels on passe le front haut si peu qu'on entre dans l'ancienne cour conventuelle, sans les avoir vus de la rue.

Les n°s 1 et 3 du passage ne font qu'une propriété avec le 11 de la rue des Billettes. Ce quartier de l'ancien monastère est pourvu, audit n° 1, d'un escalier à rampe de fer qui date au moins du règne des Valois, et le 3 est l'ancienne église de Sainte-Croix, bâtie par le célèbre Pierre de Montreuil, que décorèrent des tableaux de Voüet et de Philippe de Champagne. En dépit de ses richesses, l'église était triste et humide ; on y voyait moins clair que dans le vaste réfectoire des chanoines, qui avait été décoré à ravir par l'architecte Servandoni et d'autres artistes, mais qui ne ressortissait pas du même lot que l'église lors de la vente au none de l'État. On retrouve-rait enfin, un peu plus bas, si l'on y tenait beaucoup, beaucoup, une fosse d'aisance parfaitement carrelée en porcelaine par les moines, et qui a fait l'objet d'un partage strictement toisé sous la première république.

Adjudication de Biens nationaux en 1793. Arbre généalogique d'un Bec de Gaz. Histoire d'une Borne :
L
e citoyen Gisors, estimateur des biens nationaux, avait évalué la totalité du premier lot dont nous parlons 205,500 et l'adjudication ne s'éleva qu'à 1,500 fr. de plus. Au reste, le 26 février 1793, c'est-à-dire deux mois avant que le procès-verbal de vente dudit immeuble fût dressé à la Commune de Paris, la commission de l'administration des biens de l'État avait mis à l'enchère et adjugé d'abord sa location par bail, dans la maison du Saint-Esprit, après quatre publications faites à la porte de l'église Saint- Berri, à l'issue de la messe paroissiale. Jouan, premier acquéreur, a revendu l'immeuble au citoyen Moullé, ancien marchand, le 16 germinal an II ; Namiant, dont la fortune s'était faite dans les chandelles, l'a racheté en 1825 ; Mme Aurion, fille de ce dernier, et qu'un second mariage a faite Mme Amyot, en a traité avec Mme Fontaine, un peu avant la révolution de 1848.

Mme Fontaine a pignon, disons-nous, et sur la rue et sur l'ancienne cour des religieux ; celle-ci lui est commune avec cinq, autres propriétaires, qui, sont MM. Durenne, notable marchand de fonte, acquéreur du baron Devaux ; Ménier, chocolatier, cessionnaire du banquier Drouilfard, et qui a dépensé deux millions, parfaitement frappés à la Monnaie actuelle, pour s'approprier un des quatre coins de la Monnaie du temps des Capétiens ; Lacroze, médecin ; Paillard de Ville-neuve, avocat et publiciste distingué, successeur là de M. Onfroy, son beau-frère ; enfin Mme Davaux, dont le père a été le prédécesseur. Chacun de ces propriétaires administre à son tour la cour, qui depuis plus de six siècles n'est plus pavé du roi, et qu'une grille ferme la nuit du côté de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonrterie, comme sa belle porte du côté de la rue des Billettes, et ils subviennent de concert aux dépenses relatives à l'entretien de leur communauté voyère.

Le Moniteur de l'Épicerie, dont le siège se trouve n° 11, dans ce passage, n'en est pas la seule lumière. La généalogie du bec de gaz qui éclaire la cour peut également se dresser. En 1668, date de l'établissement de l'éclairage dans les rues de Paris, le progrès, c'était la chandelle. Ce luminaire succédait à la cire, à la résine, au paquet de mèche croupissant en anneaux dans un godet d'huile ou de graisse. Lors de la dispersion des ordres religieux et de tous les corps de métier, la pièce de bois à laquelle per dait une pierre, lanterne en effigie peu transparente, avait cessé de jeter sa lueur, déjà tremblante, sur l'ancien séjour des chanoines ; c'était comme un fantôme de réverbère à conscience timorée, condamné à l'état de potence disponible, pour avoir éclairé peut-être certains désordres lors du relâchement des règles monastiques. Parfois un feu de joie éclatant menaçait d'incendie le poteau et les bâtiments, qui avaient froid, comme les tombes saccagées que les vieux murs avaient mal abritées ; mais le 9 vendémiaire, an VI, le citoyen Pierre-Tourtille Saugrain, entrepreneur de l'illumination de Paris, releva le boisseau sous lequel s'était à étouffée la lumière du ci-devant couvent de Sainte-Croix, et le 8 vendémiaire, trois ans plus tard, il réclamait judiciairement aux différents propriétaires, qu'il voulait rendre solidaires, une somme de 9,200 francs pour fourniture et entretien du réverbère à quatre becs, qui ne lui avait encore rien rapporté. Chacun des défendeurs fit des offres réelles à cet irrécusable créancier, en repoussant la solidarité, et le fait est que Saugrain avait porté tout droit leur facture chez l'huissier, avant de la leur présenter. Les propriétaires du passage étaient alors les ci-toyens : Drives, maître-maçon ; Ladreue, marchand-épicier ; Ladoubé, marchand de vins ; Davaux, rentier, Lemoine, épicier, représentant les héritiers Maullé, et puis la veuve Brébion, déjà nommée.

Autrefois les aveugles, qu'il y eût ou non des réverbères, cheminaient encore avec une certaine sécurité dans les rues de-la capitale, en comptant avec leur bâton toutes les bornes de pierre qui se trouvaient sur leur passage accoutumé. Ce voyage à tâtons n'est plus possible aux quinze-vingts que dans le petit nombre de rues qui ont conservé ces jalons, retranchement aussi du piéton contre les voitures. Le passage Sainte-Crois, ainsi qu'une moitié de la rue des Billettes, hésite à s'affranchir de ces tuteurs, dont souvent le corps dur tenait lieu d'oreiller moelleux aux ivrognes , et aux pauvres, quand il y en avait. Aujourd'hui, l'on supprime tout ce qui embarrasse, et cela a son bon côté. Mais la borne en avait deux bons ; pourrait-on dire. Il en a survécu dans la rue des Billettes une pour le moins, qu'un pauvre ou un ivrogne accroupi tenait em-brassée, l'été dernier, avant de répondre aux questions d'un sergent-de-ville, borne perfectionnée, intelligente, civilisée, et qui s'incline volontiers jusqu'à terre pour relever le passant qui tombe : – Voyez le fou ! s'écriaient les passants en s'attroupant devant cette curiosité. – Pas si fou ! répondit enfin le malheureux, d'un ton dolent qui excluait l'idée de plaisanter ; c'est là qu'un soir, il y aura bientôt cinquante ans, ma bonne femme de mère a accouché de moi, et voilà ma marraine. Je m'appelle Pierre, pour vous servir.

Cette matrone de granit est encore debout. O pauvre borne, puissent les agents voyers t'oublier près du cabaret où tu ne rends pas qu'un seul genre de services ! Le n° 19 est vis-à-vis du n° 24, et du même temps ; sa forte bâtarde à grosses têtes de clous arrondies, à marteau long et maigre comme un petit vendredi-saint, se brise à la façon d'un couvercle de tabatière, et ses charnières ne l'ouvrent qu'aux trois-quarts sur la rampe de chêne d'une maison déjà borgne du temps de Henri IV, et qui a toutefois gardé bon pied, bon œil. Le I7, à coup sûr, est centenaire ; mais il a pour aîné le 15, dont la porte cochère referma ses amples battants sur quelque conseiller au parlement. Du couvent des Billettes dépendaient le 20 et le 18, où l'école est fait actuellement. Par contre, les chanoines de Sainte-Croix disposaient du n° 7, dont le rez-de-chaussée est occupé par l'établi d'un menuisier depuis l'année où ces pères l'ont quitté. Des fenêtres a coulisses recommandent au même, titre le 4 et le 2 à nos égards. Ce n'est pas une échelle de soie, car elle a forme d'escalier, qui sert péniblement à l'ascension des locataires dudit n° 4, seulement sa raideur remarquable économise l'espace de manière à désespérer bien des architectes modernes. Un garçon n'y peut suivre une fille qu'en commettant une double indiscrétion, et encore moins l'y rencontrer sans la tenir étroitement embrassée avant de lui livrer passage. Pour en finir, déshabillons un peu, et les-tement, la maison restaurée qui porte le chiffre 1 ; sa robe, d'acquisition récente, couvre les broderies majuscules d'une rampe tordue dans le même métal que les armures de chevalier.


 

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