Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI

RUE TOURNEFORT, naguère Neuve-Sainte-Genneviève,
Ve arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1864, avant que la rue ne fût placée sous l'invocation du botaniste Pitton de Tournefort, auteur d'une classification méthodique des plantes qui porte son nom depuis le règne de Louis XIV. Précédemment, rue Neuve Sainte-Geneviève ; plus anciennement ruelle Chartière. Elle est tracée sur le plan de Gomboust (1652). Avant 1927, la rue Tournefort finissait rue Lhomond : à cette époque, on a donné le nom de place Lucien Herr au carrefour formé par les rues Lhomond, Tournefort, Vauquelin et Pierre Brossolette. Origine du nom :
Joseph de Tournefort (1656-1708), botaniste français ; voisinage du Jardin des Plantes.

Le Tripot des 11,000 Diables :
C
onnaissez-vous beaucoup de rues aussi calmes, à population égale, que celle-ci ? On y faisait pourtant un bruit d'enfer, sous le règne de François Ier, au tripot des, 11,000 Diables. Or on ne se gênait pas pour traiter de braques et de tripots les Jeux de paumes qui dégénéraient souvent en maisons de jeu et pis encore ; on en fit plus tard des théâtres, et puis des clubs pour en finir. Ces Diables de la rue Neuve-Saint-Geneviève ne s'appelèrent-ils pas le Grand-Braque-Latin du côté de la rue des Postes (rue Lhomond) ? De pareilles maisons dos à dos ne répugnent pas longtemps à l'escalade : plus on est de fous, plus on rit ! Toujours il y a qu'un jeu de paume à l'enseigne de Sainte-Barbe et de la Mort-qui-Trompe, portait ensuite celle de la Grande-Roche en 1663, et qu'il appartenait alors à Réné d'Ivri, puis en 1734 à Le Ménestrel, chevalier, seigneur de Saint German, rue Neuve-Sainte-Geneviève, à droite, avant la rue du Puits-qui-Parle (rue Aymot).

D'autres propriétaires étaient : – pour le 22 actuel, Lagau, écuyer, commandeur de l'ordre de Saint-Lazare, à l'image de Saint-Claude ; en 1755 ; – pour le 24, Boyléve de Chambellan, à la Rivière, 1760, et Pélisson, maître de pension, 1777.

Gérault, bourgeois de Paris, disposait d'une propriété du même côté, vers le bout. Même situation, sur l'autre ligne, pour la maison du Petit-Écu, que Mmes, et Mlles d'Arnouville tenaient de Claude Boutin et transportèrent à la famille Moinery. Boucher, conseiller au parlement, occupa le 29, qu'une maison de santé pour aliénés exploitait il y a quinze ans. Est-ce là que, sous Louis-Philippe, la congrégation des dames de la Miséricorde tenait son pensionnat de demoiselles ? En tout cas, il s'en faut de peu. Calippe, jardinier, à la Maison-Rouge, Baillet, marchand de vin, Ferrand, charcutier, à la Sphère, puis aux Cyprès, et les frères Stallin, l'un graveur, l'autre orfèvre, se suivaient dans cette rue, comme propriétaires, vers le 19, consacré de nos jours à une œuvre évangélique protestante.

Le Jeu de Paume de la Grande-Roche. La Maison de Santé. Les Dames du Saint-Sacrement. La Communauté de Sainte-Aure :
Il y eut en face une ruelle de la Sphère et un jeu de paume ; nous retrouvons par-là une encoignure de la rue du Pot-de-Fer qui appartenait dans le milieu du dernier siècle à Pierre d'Haristoy, contrôleur ordinaire des guerres, et se donnait encore pour Croix-Blanche. L'encoignure qui fait pendant à cette maison, sur la même ligne, fut Rose-Blanche et d'abord à Pierre Lavisé ; une propriété adjacente y fut ajoutée, après la mort de Louis XIV, par la marquise de Vaugremont, qui eut pour successeurs : Etienne Le Ménestrel de Hauguel de Hutteaux, maréchal de camp, en 1737 ; l'abbé Grisel, en 1753 ; la communauté de Sainte-Aure, en 1765. Depuis un demi siècle environ, dans ladite propriété sont établies. les religieuses du Saint-Sacrement, qui, avant la Révolution, se vouaient déjà avec succès à l'éducation des jeunes personnes dans l'ancien hôtel de Turenne, rue Saint-Louis (rue Turenne). Ces dames n'ont donc aucun rapport traditionnel avec l'ancienne. communauté de Sainte-Aure, qui occupait le même local et dont nous allons vous parler.

M. Gardeau, curé de Sainte-Étienne-du-Mont, avait fondé dans la rue des Poules la communauté des filles de Sainte ou de Saint-Théodore, dont les recrues s'arrachaient à un libertinage précoce par l'enrôlement du repentir. A cet établissement religieux, M. de Harlay, l'archevêque, donna ensuite pour directeur l'abbé Nicolas Lefèvre. De même ecclésiastique se contentèrent, pour sous-précepteur, trois petits-fils de Louis XIV ; mais les filles de Sainte-Théodore, se montrant moins accommodantes que le futur roi d'Espagne et que les ducs de Bourgogne et de Berri, brûlèrent la politesse, au nouveau directeur, qui resta seul dans la communauté. Quelques transfuges à grand, peine furent ramenées au bercail, qu'on transféra rue Neuve-Sainte-Geneviève, sous l'invocation de sainte Aure. Un nouveau curé de Sainte-Etienne-du-Mont, M. Dautecour, avait favorisé ce rétablissement au moyen de donations ; il bénit, en l'année 1700, une chapelle de Sainte-Aure, qui, peu d'années après, fut agrandie et refaite. Aussi bien la communauté reçut, en 1705, les constitutions du cardinal de Noailles, archevêque de Paris ; mais elle n'était, encore qu'à titré de locataire entre les rues du Puits-qui-Parle et du Potde-Fer.

Les Abbés Grisel et Verron. Le Confesseur à la Bastille. La Comédie au Couvent. Jeanne Vaubernier :
L
'institution de nouveau languissait alors que le dauphin, père de Louis XVI, la releva, en y introduisant la règle de saint Augustin, sous la direction de l'abbé Grisel. Cette refonte spirituelle et la mise en clôture étaient contemporaines de réparations dans les bâtiments, qui s'étendaient jusqu'à la rue des Postes. Les filles de Sainte dure, qui, depuis leur réforme, se qualifiaient aussi adoratrices du Sacré-Coeur-de-Jésus, s'habillaient, de blanc avec scapulaire écarlate et manteau noir ; elles portaient un cœur en médaillon sur la poitrine. Pour chaque pensionnaire on payait de 450 à 5OO livres par an. M. Joseph Grisel était né en 1703, il mourut à Versailles, âgé de 84 ans. Son ami, le père Verron, le remplaça au couvent de Sainte-Aure ; les septembriseurs immolèrent cet ancien jésuite au ci-devant séminaire de Saint-Firmin, et l'immeuble conventuel fut vendu, homme bien national, le 15 thermidor an IV.

Chronologiquement, tout est dit seulement l'histoire de Sainte-Aure ne mériterait-elle pas qu'on l'écrivît à part ? Grisel, vicaire perpétuer de Saint-Germain-l'Auxerrois, dont le chapitre était réuni à celui de Notre-Dame, compta parmi les supérieurs, parmi les confesseurs en d'autres communautés ; mais son œuvre de prédilection s'accomplissait rue Neuve-Sainte-Geneviève, et lorsqu'il y fut attaqué, les meilleurs dames du jansénisme ne demeurèrent pas au fourreau. Son libraire, disait-on, lui avait restitué presque intacte l'édition de son Année religieuse en huit volumes, que l'auteur distribuait lui-même pour 24 sols, à-peu-près le prix du brochage ; quant à son Chemin de l'Amour divin, il l'avait fait en collaboration avec la duchesse d'Aven, et les mauvaises langues ajoutaient à huis clos. Une accusation plus grave avait fait mettre Grisel à là Bastille, comme complice de l'infidèle gestion du trésorier des postes ; mais le prêtre qui, la veille encore, avait l'honneur de confesser l'archevêque de Paris, confessait le lendemain M. de Jumilhac, le gouverneur de la Bastille, et voilà tout ce qu'il y perdit. M. Muyart de Vouglans, membre du grand-conseil, passait pour le meilleur criminaliste ; il défendit Grisel et resta son ami, déposition permanente en faveur de l'innocence de son client. Canclaul, doyen du même conseil, ami intime de M. de Tourny, se fit enterrer à Sainte-Aure, en 1777. On y célébrait chaque année la fête de saint Joseph, patron du directeur, en jouant la comédie. Dans la Précieuse corrigée, comédie en prose mêlée d'ariettes, qu'on y représenta, figuraient comme personnages :

Mme Sincère, Mme, du Bouton, Mme Pincé. Nous remarquons dans le prologue ces vers en l'honneur de Grisel :

Au plus aimé de tous les pères
Présentons nos vœux, notre encens.
Il voit nos cœurs, ils sort sincères
Ils sont à lui, ces cœurs sincères.
Lui seul dirige nos accents.
Non, jamais ses enfants
Net seront inconstants
Et plus loin :
Si nos jeux ont su lui plaire,
Quels plaisirs plus ravissants !

Parmi les pensionnaires qui entonnaient ainsi l'éloge de l'abbé Grisel, s'était trouvée, dans sa jeunesse, la future Mme. Dubarry, Jeanne Vaubernier.

De l'autre côté de la même rue, on appelait encore hôtel de Bon-Air et hôtel d'Harcourt une maison avec jardin et sortie sur la rue Mouffetard, que Paul Pelletier, sieur de l'ouches, avait acquise de la famille de Ransant, pour y laisser Charlotte de Brancas, épouse de Charles de Lorraine, prince d'Harcourt, puis Dupin, écuyer, gouverneur de Coulommiers ; puis Bellanger, entrepreneur de bâtiments, avec Prudence Cardot, son épouse, et puis Jean-Baptiste Bellanger. Nous croyons que ledit époux de Françoise Cardot, né en 1744, devint architecte du comte d'Artois et épousa en secondes noces, pendant la République, Mlle Dervieux, dont nous nous permettrons de raconter les premières amours dans la notice de la rue de la Victoire.

Les Gardes françaises. Avertissement aux Contribuables de Sainte-Geneviève en 1789 :
Une caserne, de gardes-françaises, avent la Révolution, remplissait les n°s 7, 9 et 11 de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, a l'entrée de laquelle se trouvait, sur la même ligne, le magasin général d'habillements des soldats de la même arme.
Cette rue s'était ouverte originairement sur le clos Sainte-Geneviève. On y distribuait encore à domicile, en juin 1789, un avis émanant du bailliage de la seigneurie abbatiale de Sainte-Geneviève, et conçu en ces termes :

Vous êtes priés et avertis de venir payer au plûstard dans la huitaine ce que vous devez de Cens et Rentes à l'Abbaye de Sainte-Geneviève, à cause les Maisons et Héritages que vous possédez dans l'étendue de la Censive de ladite Abbaye, comme ; aussi d'apporter vos dernières Quittances desdits Cens et Rentes ; ensemble les titres et contrats en vertu desquels vous possédez lesdites Maisons et Héritages, et ceux de vos vendeurs et auteurs, afin de passer vos déclarations, si fait n'a été, sur le nouveau. Papier Terrier de ladite Abbaye ; sinon, et à faute de ce faire dans ledit tems, l'on sera obligé de vous y contraindre par les voies, de droit, ce qu'on vous prie d'éviter, en satisfaisant au présent Avertissement. Le Bureau de la Recette sera ouvert tous les jours depuis neuf heures du matin jusqu'à midi, et depuis trois heures de relevée jusqu'à six, excepté les Dimanches et Fêtes et le Samedi l'après-midi. Les locataires sont priés d'envoyer incessamment et sans délai le présent Avertissement à leurs propriétaires, pour leur éviter des frais. Vous rapporterez, s'il vous plaît, le présent Avertissement.


 

:: HAUT DE PAGE    :: ACCUEIL

magazine d'histoire, chroniques anciennes, le Paris d'antan, périodiques du passé
de la rubrique
Rues/Places
CLIQUEZ ICI