Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE BERRI,
VIIIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

La portion de la voie comprise entre l'avenue des Champs Elysées et la rue du Faubourg Saint-Honoré est indiquée sur le plan de Jouvin de Rochefort (1672) ; c'était la ruelle de l'Oratoire ou de Chaillot. Des lettres patentes du 4 avril 1778 en autorisèrent l'élargissement et la dénommèrent rue Neuve de Berry ; en 1849, elle fut appelée rue de la Fraternité. Origine du nom : Ouverte en partie par le comte d'Artois, sur les terrains de la Pépinière, cette voie porte le nom d'un des domaines les plus importants de l'apanage du second frère de Louis XVI.

Notice écrite en 1857. Depuis lors la rue de Berri, au lieu d'aboutir à la rue du Faubourg-Saint-Honoré, se prolonges jusqu'au nouveau boulevard Haussman.

Le Vicomte de Jailly. La Pension Lemoine. Mme de Genlis. Mme de Langeac :
P
auvre vicomte de Jailly ! N'a-t-on pas quelque peine, à croire que les splendeurs et la sérénité de l'autre monde l'empêchent de regretter parfois celui où il est mort, comme il avait vécu, sans perdre de vue son salut ! Il se flattait d'avoir connu Jean-Jacques, et pourtant il a survécu à la république de 1848, seconde tentative de pression exercée en France sur le gouvernement par les idées de l'immortel philosophe de Genève. Quoique septuagénaire tout au moins notre confrère Hector de Jailly rédigeait encore, vers la fin de l'existence du Corsaire, les meilleurs feuilletons dramatiques de ce journal, père de l'esprit actuel. L'école romantique avait pour adeptes la plupart des rédacteurs de cette feuille, bien que le compte-rendu périodique du Théâtre-Français le maintînt classique par la base. Le vicomte de Jailly avait ses coudées franches, une fois par semaine, dans le sous-sol de cet édifice fantaisiste, et son indépendance exceptionnelle lui tenait lieu d'émoluments ; en effet, malgré son esprit, malgré l'autorité de sa critique, il figurait encore parmi les amateurs, contempteurs de l'émargement, qui gâtent le métier de journaliste en écrivant gratis ce dont vivrait un autre.

Il est vrai que ce gentilhomme de la critique pouvait regarder comme une indemnité les visites assidues que lui rendaient, à l'entresol de la maison qui fait le coin de la rue de Berri et des Champs-Élysées, la plupart des actrices en vue dans son théâtre. Elles riaient au foyer, quand il n'était pas là, de ses leçons, de son âge et de sa bosse ; mais plus d'une, en particulier, passa sans doute par-dessus tout cela. Mlle Judith, actrice qui ne brillait pas dans l'ancien répertoire, n'en faisait que plus la cour au papa Jailly qui lui tint moins rigueur qu'au drame moderne ; toutefois Mme Allan finit par l'emporter. Celle-ci étant plus comédienne, mais moins jeune, et elle commençai par dire aux gens qui lui demandaient ce qu'elle faisait du vicomte : – Il est incapable de franchir les bornes de l'amour platonique !

La rivale à qui le propos fut rapporté dans les coulisses, ne manqua pas d'y contredire ainsi :– Avec elle, c'est déjà beaucoup ; moi, j'avais rajeuni Platon !

C'était le plus musqué des feuilletonistes dramatiques ; il saluait d'un baisemain les dames qu'il allait voir ou qui se cautionnaient de sa perruque et de sa bosse jusque dans le boudoir qu'il appelait son cabinet. La maison qu'il habitait avait été une guinguette, mais moins courue, moins éclairée, moins élégante que le jardin Mabille, dont il faisait aussi ses galeries. Le spectacle qu'il s'y donnait, a quelques pas de chez lui l'amusait franchement il n'avait nulle envie d'y mettre le holà ; comme à la première représentation des Bugraves : La gosse injure pour ce gentilhomme de lettres que d'être appelé le burgrave du Corsaire ! Délicat en toute choses, il avait toujours mis de l'eau dans son vin, bien qu'il ne bût que du vin fin ; son ordinaire au restaurant, était une demi bouteille de champagne, noyée dans quatre grands verres d'eau, et, malgré cet allongement, il ne lui fallait qu'une gorgée pour reconnaître la sorte, l'âge et la provenance du champagne.

J'avais lié connaissance avec M. de Jailly chez M. et Mme Ancelot ; mais je n'étais devenu son ami qu'avec le temps, sur la fin de sa carrière. Comme de juste, il avait été jeune, beaucoup avant que nous l'y aidassions. Lorsqu'il avait voulu, courtisan de l'exil, rendre une visite à Charles X déchu, sa famille l'avait mis dans une chaise de poste, mais en lui imposant un domestique de confiance, chargé de régler sur la route avec les hôteliers, avec les postillons ; sans cette précaution, la prodigalité du pèlerin l'eût empêché de pousser jusqu'à Prague.

Un déplacement plus facile ramène de temps à autre MM. de Barante, de Ségur, de Wagram, de Valmy, Tascher de la Pagerie et quelques autres dignitaires du sénat, du conseil d'État, au n° 5 de la rue de Berri. Cet hôtel pour eux est une ruche, où l'essaim des souvenirs d'enfance bourdonne toujours. Charles Aubert, architecte, y appropria un ci-devant hôtel, en l'an VI, aux besoins d'une institution polytechnique ; le chef de cet établissement ne tarda pas à y prendre pour associé le citoyen Lemoine, qui bientôt lui-même resta seul. On remarquait la pension Lemoine et-la pension Hix, plus tard fondues en une seule, parmi celles dont les élèves suivaient, sous le premier empire, les cours du lycée Bonaparte. Tous les ans, avant les vacances, le quartier était en émoi pour la distribution des prix ; elle avait lieu avec éclat dans une chapelle bâtie par M. Lemoine ; et qui s'est transformée depuis en brasserie dans la rue de l'Oratoire. L'immeuble principal appartient au beau-père de M. Houssaye, ancien élève lui-même de la pension qui n'est plus. Un peintre distingué, M. Lehmann, y travaille maintenant ; la comtesse de Bertrand y donnait de fort jolis bals, sous le règne de Louis-Philippe.

Nous ne voulons pas dire avec d'aucuns que M. de Genlis eut ses appartements au 12 de la même rue, et avec d'autres que ce fut au 22. Mais n'y aurait-il pas moyen de mettre d'accord ces deux traditions ? Le n° 22 actuel, qu'occupent le maréchale Gérard et MM. de l'Aigle, doit avoir répondu antérieurement au chiffre 12. Les maisons pouvaient-elles déjà être nombreuses, il y a une trentaine d'années, dans cette rue, où le pavé se bornait encore à durcir le lit du ruisseau ? Mme de Montesson, qui regarda comme ses petits-enfants, ceux du duc d'Orléans, avait obtenu pour sa propre nièce, la comtesse de Genlis, qu'elle fût chargée de les élever ; or celle-ci, ne pouvait mettre dans aucun quartier de Paris ses jeunes élèves en meilleur air, que dans l'ancienne pépinière du roi, à proximité du grand parc des Folies-de-Chartres (le Parc-Monceaux), qui appartenait a leur père.

Pour sûr elle aimait les jardins, et ce quartier n'en était qu'un. Avant que les ombrages du château de Saint-Leu ne vinssent à lui manquer pour toujours, elle s'en fut lestement passer une matinée dans le jardin naissant de Beaumarchais. Pour assister de là, et pour faire assister ses élèves déjà grands, au triomphe des vainqueurs de la Bastille, qui était prise de la veille. Quelle leçon dans ce spectacle pour les jeunes cousins du roi ! La comtesse, que le mariage même n'avait pas su rendre sédentaire dans ses habitudes, dans ses goûts, voyait surtout dans la Révolution un déménagement général. Elle aimait à déménager. Ses changements de domicile ne se présentaient déjà plus à sa mémoire, elle-même avec des dates certaines. Le galant M. d'Ormensenne, la rencontrant un jour aux Tuileries, lui avait demandé : – Chère comtesse, ou demeurez-vous cette semaine ? – Rue de Berri, avait-elle répondu, et elle ne se rappelait rien de plus.

Au n° 16 siège une des maisons d'éducation qui portent le nom d'Institution Sainte-Marie ; une chapelle russe est au n°12, dans la propriété de Mme veuve Hérold ; l'une et l'autre de ces maisons, assurément, sont antérieures au pavage de la voie.

Comme celle-ci conduisait à Chaillot et longeait le jardin des Oratoriens, on la traitait de ruelle de Chaillot ou de l'Oratoire ; elle s'était auparavant dite le chemin de Chaillot-au-Roule ; on l'appelait rue de la Fraternité en 1848. Le garde de la pépinière royale avait eu à l'entrée de ce chemin, son pavillon et son jardin. Le comte d'Artois étant devenu propriétaire de ladite ancienne pépinière, une ordonnance de Louis XVI donna le nom des deux fils de ce prince aux deux rues adjacentes, reliant parallèlement les Champs-Élysées au Roul : la rue d'Angoulême et la rue de Berri.

Déjà Saint-Florentin, duc de la Vrillière, avait remplacé la maison du garde par un charmant pavillon, pour le donner à Mme Sabatin. Cette maison qui s'est agrandie à l'angle de l'avenue des Champs-Élysées, n'a plus, en revanche, qu'un jardin rapetissé. Le ministre de Louis XV avait trop bien fait les choses pour ne pas ajouter un titre nobiliaire à ce cadeau. On lui trouva un vieux comte de Langeac assez rapé pour épouser d'emblée Mme Sabatin, en se reconnaissant le père de deux garçons, qui furent mis l'un et l'autre à la tête d'un régiment. Après la comtesse de Langeac, le comte d'Artois lui-même prit possession des lieux : une hôtellerie de plus pour ses amours !

Est-ce là que descendit à son tour l'Espagnol Godoy, duc d'Alcudia, prince de la Paix, dont l'intrigue défit et refit la fortune ? Il séjourna dans la rue de Berri, sous la République ou sous l'Empire, avec sa première femme, la princesse Tereza-Luisa de Bourbon, fille de l'infant don Louis.


 

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