Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE BABYLONE,
VIIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. La partie la plus ancienne de la voie a porté primitivement le nom de rue de La Fresnaie. Au milieu du XVe siècle, elle était dénommée chemin de la Maladerie ; au milieu du XVIIe siècle, elle était appelée chemin de Guarnelles ou rue du Vieux chemin de Garnelles. En 1670, c'était la petite rue de Grenelle ; elle figure au plan de Verniquet sous le nom de rue de Babylone. Une partie a été ouverte sur l'emplacement de l'hospice des Petits-Ménages. Origine du nom : Bernard de Sainte-Thérèse, évêque de Babylone, y possédait plusieurs maisons.

Ouverture. Un Mariage ducal :
Tout porte les chroniqueurs à attribuer le nom de cette voie publique à un évêque de Babylone in partibus, Bernard de Sainte-Thérèse. Elle s'appelait d'abord la rue de la Fresnaye, puis rue de Grenelle ou de la Maladrerie jusqu'en 1669. En 1714 on n'y comptait que deux maisons et point de lanterne ; le reste était le Cours de la ville, puis la barrière et la plaine de Grenelle. Des lettres patentes du 18 février 1720 ordonnèrent qu'elle fût continuée jusqu'au nouveau rempart ; quarante-cinq ans plus tard, ses constructions étaient bornées par la rue du Bac, d'un côté, et par la rue Vanneau, de l'autre. Le comte de Provence acquit un terrain à la suite, et la caserne Babylone y fut bâtie, vers l'année 1780, pour les gardes-françaises. La rue de Babylone, en 1810, figurait parmi celles dont les numéros étaient rouges, et Saint-Victor venait d'y rapporter, dans son Tableau de Paris, les hôtels de Damas, de Châtillon, de Barbançon et de la Queueille. La Tynna, dans le Dictionnaire des Rues de Paris, publié peu d'années après, parle de l'hôtel Barbançon, et il ajoute : « Actuellement hôtel de Garaman, au n°18. »

Les Caraman et les Chimay descendent du célèbre Riquet, fondateur du canal du Midi. Mme Tallien, qui joua un si grand rôle sous le Directoire, a épousé en secondes noces le prince de Chimay ; le duc de Caraman, président du cercle des Échecs et auteur de livres de philosophie, a obtenu plus récemment la main de la fille du duc de Crillon. Le jour où la signature du contrat préludait à cette union, a révélé que le beau-père de M. de Caraman se souvient un peu trop du noble écusson qui a été encore rehaussé par un illustre vers :

Pends-toi, brave Crillon, l'on a vaincu sans toi.

M. de Crillon n'a voulu recevoir les deux notaires que comme ces tabellions du temps passé qui frayaient avec les baillis. Il n'en est pas moins vrai que ces officiers ministériels, confesseurs de toutes les fortunes, sont devenus conséquemment des personnages importants et de véritables directeurs de conscience, depuis que le mérite sans la richesse n'est presque rien et que MM. les abbés ne dictent plus les testaments. Vous tombez de Charybde en Scylla, diront a cela les rétrogrades ; mais après celle des notaires, quelle est donc bientôt l'influence qui dominera moralement dans la société française ? probablement le tour viendra des changeurs du Palais-Royal. Les notaires des familles Crillon et Caraman, disions-nous, furent accueillis sans qu'il leur fût avancé deux fauteuils. – Mais il est difficile d'écrire debout, risqua timidement le plus hardi... On leur fit donc passer deux tabourets. Ce diminutif leur suffit, et ils s'en consolaient peut-être en ruminant le succulent parfum de truffes qu'avaient exhalé les cuisines à leur passage dans la cour. Or, quand le contrat fut signé, et que la mort de chacun des assistants eut été bien prévue, et pour ainsi dire préparée, M. le duc de Crillon salua les deux notaires, et la famille alliée passa, avec la sienne, dans un grand salon à manger, pour le déjeuner du contrat. On avait fait dresser à part un couvert pour les officiers ministériels, contrairement à l'usage moderne. Ces derniers n'en fêtèrent que mieux, réflexion faite, la cave et la cuisine du duc, en songeant que la petite table coûterait à la grande, distraction faite du menu, 8,000 fr. pour les deux familles.

Les Hôtels Chatillon et Damas. Notre-Dame-de-la-Paix. Les Missions-Etrangères. M. de Cassini. Hôtel Caffarelli. Garnerin. M. de Cosse-Brissac. L'Abbé Michon :
L
'hôtel Châtillon, plus connu sous la dénomination de La Vallière, donnait principalement rue du Bac. Ce qui n'empêche pas d'en avoir dépendu le 5, qu'on dit ancien couvent, mais qui n'a dit recevoir, comme le grand et le petit hôtel contigus, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul que sous la Restauration. Il faudrait avoir terriblement abusé de la lecture de Dulaure pour accuser ces dignes religieuses d'avoir fait des cachots de leurs caves. Aussi bien les anneaux de prison qu'on y retrouve et les sculptures de la voussure sont antérieurs à la fondation même du séminaire apostolique d'en face. Ne doit-on pas croire que l'ancienne maladrerie avait été là ? Le duc de Châtillon, dernier rejeton d'une famille alliée aux rois, et de laquelle était sorti un pape, avait épousé en 1756 Adrienne-Emilie de la Vallière, et était mort à six années de là ; sa veuve et ses deux filles, la duchesse d'Uzès et la duchesse de la Trémoille, furent mieux les contemporaines de Saint-Victor et de La Tynna.

L'un et l'autre de ces historiographes durent aussi connaître M. Charles de Damas, rentré en France sous l'Empire, après avoir servi dans l'armée de Condé. C'est lui qui habita, dit-on, la rue de Babylone, mais à quelle époque de sa vie ? Il avait commencé par assurer fort mal la retraite de Louis XVI, arrêté à Varennes ; mais il avait réussi pour son l'avait pris. Louis XVIII, à son retour, fit Damas lieutenant général, commandeur de Saint-Louis, pair de France, puis duc, et ce grand dignitaire n'expira à Paris qu'en 1829, peu de mois avant la prise de la caserne Babylone par les ouvriers des faubourgs et les bourgeois. Les Suisses défendirent ce poste avec un courage digne d'un meilleur sort ; ils ne battirent en retraite que devant l'incendie et en assez bon ordre pour se replier sur le boulevard extérieur. Mais il n'est ni caserne, ni fort qui sache résister aux prodiges de valeur d'une révolution qui a pour elle les écrits, les discours et une bourgeoisie qui se fait peuple.

Malgré toutes nos guerres intestines, une Vierge dans sa niche, Notre-Dame-de-la-Paix, ne reste-t-elle pas incrustée dans la muraille des Missions-étrangères, rue de Babylone, près de la rue du Bac ? Cette madone semble aussi veiller sur un hôtel tout, proche, qui portait déjà plus de deux siècles quand le père Bernard de Sainte-Thérèse y demeurait et y présidait les premières assemblées de la maison religieuse des Missions, en 1663. Nous savons que ce n° 10 actuel était occupé par l'illustre famille Cassini au milieu du XVIIIe siècle. Seulement le troisième astronome du nom était encore très vivant en l'an 1772, et déjà Mgr Guiaud, nonce du pape, résidait dans ladite maison. Or, comme cet ambassadeur était archevêque de Damas, il se peut que l'hôtel ait pris le nom du diocèse, au lieu du nom de famille qu'on aurait eu tort de rattacher à la même rue.

Nous retrouvons au n° 24 (sous le premier empire n° 10) un hôtel bâti sous Louis XV pour le prince de Conti, probablement celui qui remporta en Piémont la victoire de Coni. Il n'a même pas dû passer directement de Son Altesse sérénissime au général Caffarelli du Falga. Ce républicain sans fureur, cet officier savant autant que brave fut le seul qui refusa d'admettre les décrets qui prononçaient la déchéance du roi Louis XVI ; il était alors attaché au corps du génie, armée du Rhin. Destitué, arrêté pendant quatorze mois, il réussit pourtant à rentrer dans les camps, grâce au 9 thermidor ; il perdit une jambe en Allemagne, il fut nommé membre de l'Institut, il fit l'expédition d'Égypte en qualité de général de division et de chef de son arme. Des services scientifiques et de hauts-faits d'armes ajoutèrent, sur ce grand théâtre, à l'amitié que lui avait déjà vouée Bonaparte, son chef militaire et son collègue à l'Institut. Caffarelli mourut devant Saint-Jean-d'Acré, et, le lendemain, l'ordre du jour disait : Il emporte au tombeau les regrets universels ; l'armée perd un de ses plus braves chefs, l'Égypte un de ses législateurs, la France un de ses meilleurs citoyens, les sciences un homme qui y remplissait un rôle célèbre.

De plus, le général en chef avait promis de veiller sur les frères et sœurs, au nombre de huit, dont le général était l'aîné, et auxquels il avait servi de père depuis qu'ils étaient orphelins. Parmi ces frères se trouvait un prêtre, ancien chanoine de Toul, qui avait partagé la captivité de l'aîné ; Napoléon le nomma préfet à trois reprises, puis il se retira dans le château du Falga, près Toulouse. Un petit-fils du général, le comte Caffarelli, habite encore l'hôtel.

Les numéros 28, 30, 32, 34 et 36 sont le derrière d'un hôtel de la rue de Varennes, au duc de Galiera ; de vieilles portes historiées et des constructions annexes du même âge, qui limitent les jardins, éveillent l'attention du curieux qui longe la rue de Babylone. Cet immeuble considérable a appartenu à S. A. R. Mme Adélaïde et s'appelait Matignon au milieu du siècle dernier. On distinguait même le grand hôtel Matignon, dont nous revoyons le jardin et la grille, du petit hôtel du même nom, ouvrant sur notre rue plus particulièrement.

Le 33, de son côté, est une ouverture condamnée de l'immense propriété des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul ; il date au moins du règne de François Ier. Le 35 fut à la baronne de Védrille, avec des jardins qui s'étendaient jusqu'à la rue Oudinot. L'aéronaute Garnerin habita aussi la maison, et à la même époque il fut chargé de contribuer aux fêtes du couronnement de l'empereur par l'enlèvement d'un splendide ballon. Le départ fut superbe ; mais un vent déchaîné pendant toute la nuit poussa en Italie l'aérostat, qui le lendemain toucha terre sur le tombeau même de Néron ; le bruit s'en répandit si vite que le vent de la péninsule rapporta bientôt, en échange, la disgrâce de l'aéronaute. Garnerin succomba, en 1823, aux suites d'une blessure qu'il s'était faite dans l'exercice de son art au jardin Beaujon. Cette habitation, au surplus, est d'un accroissement récent ; M. Moisy, tapissier, y a ses ateliers et il y succède à son père ou à son aïeul, qui avait été jardinier du maréchal de Biron, colonel des gardes-françaises.

Passons maintenant au 43, qui fut bâti pour M. Méry, avocat, sur un terrain marécageux acquis révolutionnairement. Le sol avait appartenu, ainsi que bien des terrains environnants, au duc de Cossé-Brissac, pair et grand panetier de France, gouverneur de Paris, comme son aïeul l'avait été sous les Valois, et capitaine colonel des cent-Suisses. Décrété d'accusation par Quinette, ce grand seigneur fut entraîné à Orléans, puis à Versailles, où les septembriseurs vinrent à lui ; il résista d'abord à ces bourreaux, qui le criblèrent de blessures avant qu'un coup de sabre l'abattît. Sa mort a inspiré des vers à Delille, dans le poème de la Pitié. Le 57 paraît plus que son âge, puisqu'il n'a bien que cinquante ans : c'est à peine la majorité pour un hôtel ! Sur cette maison déteint probablement l'air de maturité du bel hôtel voisin, le 53.

En face, mais dans une des maisons en état de minorité, loge l'Abbé Michon, qu'on distingue des autres prêtres qui se croisent clans la rue avec les fusiliers de la caserne, aux galoches dont il est chaussé comme en province. Ce prédicateur est connu comme publiciste de l'école gallicane ; il a eu son journal l'Européen, supprimé au commencement du présent règne ; son principal ouvrage est un Voyage Religieux en Orient.


 

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