Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE BEAUREGARD,
IIe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Cette rue existait au commencement du XVIe siècle et a toujours porté le même nom. Origine du nom : Voie située sur une hauteur appelée autrefois Butte aux Gravois.

L'exécuteur des Hautes-œuvres et ses principaux voisins. Prix d'un terrain en 1622. Surtaxe de ce terrain en 1702. L'Hôtel Varignon :
Nous avons connu des vieillards qui persistaient à dire quand ils se rendaient rue Beauregard : – Je m'en vais à la Ville-Neuve. Cette rue n'était pourtant neuve, en réalité, qu'au siècle XVIe.

Colomb s'y était établi maître de pension vers 1750 ; mais il aurait eu beaucoup plus d'élèves si de nombreux parents n'avaient pas craint de passer et repasser incessamment, en tenant leurs enfants par la main, devant une maison trop peu distante, dont la tranquillité faisait contraste avec la turbulence des récréations du pensionnat, mais qui laissait une impression sinistre. C'était la demeure de Sanson, exécuteur des hautes-œuvres. M. de Lally, avant de s'embarquer pour Pondichéry, dont il était nommé le gouverneur, vint voir chez ce bourreau, par curiosité, son cabinet d'histoire naturelle, qui n'était autre que l'arsenal de sa profession. La corde et le gibet, la hache et le billot, prêts à sortir, n'attendaient plus qu'un ordre. L'attention du visiteur s'étant portée sur la lame d'acier finement trempée d'un couperet, Sanson dit en saluant : Ce damas est pour la noblesse. L'infortuné Lally, à son retour, reconnut l'instrument lorsqu'une sentence injuste de la grande chambre l'eut condamné à la peine capitale.

Des boites transparentes, au nombre de 5, dans lesquelles on mettait de la lumière, composaient l'éclairage des 44 maisons que l'année 1714 énumérait, dans la rue dont nous vous entretenons. Presque tous ces pignons, jadis la bordure et la fleur de la construction parisienne, assistent de nos jours à ce renouvellement de la grande ville qui prend un caractère définitif, on peut le croire, au peu d'envie qu'il donne de recommencer.

M. Peytel est propriétaire, rue Beauregard, des deux maisons du côté pair qui donnent le plus près de la porte Saint-Denis et qui s'ouvrent aussi sur la rue de Cléry. L'un de ces bâtiments, dont les quatre étages carrés reposent sur deux berceaux de caves, occupe 12 toisés 1/2 de terrain qu'ont vendues les religieuses du couvent des Filles-Dieu, par acte du 28 août 1622, à Richard Champion, maître maçon. II n'en coûtait à l'acquéreur d'alors que 48 livres tournois, qu'il paya devant les notaires, principalement en pièces de 46 sols, c'est-à-dire un peu moins de 4 livres par toise ; seulement il s'obligeait à bâtir dans l'année une maison qui a tenu parole, sur le terrain qui lui était cédé, et à payer 12 sols tournois par année aux Filles-Dieu, comme redevance seigneuriale. Au contrat signaient la plupart des religieuses professes de la Communauté ; voici leurs noms :

Soeurs Denise Chavenas, mère prieure, Catherine Broing, mère du cloître. Marie Le Masson, Louise Rapponet, Éléonore de Hacqueille, Hélène Boucher, mère antique, Anne Bellet, Perrette Robert, Marguerite Le Conte, Geneviève des Bernages, dépositaire, Anne Quin, Claude Le Feuve, Marie Brullart, Madeleine Hotman, François Cofart, boursière, Catherine Berthélemy, Marse ou Marie Prévost, Anne Séanier, Denise Thierrot, Marie Monduit, Marie Regnard, Jacqueline Le Feuve, plus tard prieure, Louise de La Croix, Geneviève Le Tellier, Marie Grosset, Louise Troussom, Marie Le Feuve, Marie Mourry et Aline Violes.

Plusieurs Parisiens d'aujourd'hui, retrouveront, comme nous, des parentes parmi les signataires de l'acte.

Certes, un pareil contrat est en bonne forme ; toutefois, vu l'état des finances royales, une ordonnance émane de Louis XIV, au mois de novembre 1675, pour légaliser le prélèvement d'un sixième de la valeur des biens ecclésiastiques aliénés, et ledit prélèvement aux dépens de ceux qui les détiennent. Champion, rendons-lui cette justice, s'empresse de contribuer aux nouvelles charges de l'État, en acquittant la taxe de 8 livres. Mais en époque de la guerre de succession d'Espagne les finances du royaume se trouvent encore plus obérées, et le receveur du sixième, dont les bureaux sont place des Victoires, se ravise, en dépit des quatre-vingts ans écoulés depuis vente consentie par nos tantes, les dames des Filles-Dieu ; il réclame à Gallyot, successeur de Champion, 225 livres de plus, pour parfaire le sixième de la valeur réelle des 12 toises de sol où s'élève sa maison. Le sieur Etienne Gallyot n'est pourtant pas de ceux qu'on berne ; ses titres et qualités n'en font rien moins qu'un conseiller du roi et de la Ville, commissaire au Châtelet. Ce fonctionnaire résiste, on saisit les loyers de sa propriété, qui s'élèvent par an à plus de 250, force lui est, par conséquent, d'en envoyer 225 au bureau de la place des Victoires. Au reste Etienne Gallyot, un peu plus tard, a pour héritier Pierre Gallyot, également conseiller du roi, commissaire enquêteur et examinateur au Châtelet. Chapelle, entrepreneur des bâtiments du roi, se trouve postérieurement propriétaire au même endroit.

Non loin de là, se trouve le 33, vieille édifice à six étages, dont quatre tout au moins, datent de l'ouverture de la rue, ses fenêtres sont pourvues de ferrures bien conservées. Au demeurant, le courant de la rue Beauregard, compte des maisons bourgeoises sur ses deux rives, près de son embouchure sur le boulevard et sur la rue de Cléry, et il en est de même du coté de sa source, prise rue Poissonnière ; mais dans le milieu du parcours, c'est-à-dire sur les derrières de l'église Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, l'aspect diffère sensiblement ses bords ne sont plus semés des fleurs modestes, mais sereines, de la maison bourgeoise ; là, au contraire, végètent les ronces du galetas et les épines du logement par chambrées. Ces bâtiments tout récemment blanchis pour la première fois depuis leur fondation, semblent avoir perdu en quelque chose leur centre de gravité ; le tassement du sol et de la pierre a fait presque partout descendre un pan de leur premier étage au rez-de-chaussée, et celui de second au premier ; on les prendrait pour des portefaix ivres, dont les jambes se sont alourdies avec la tête. Après tout, ces vieilles constructions à petites allées sont encore moins bossues que la rue, qui monte et descend tour à tour. Le 46, en ce qui le concerne, a progresser au lieu de reculer depuis le règne de Henri III ; il a religieusement gardé les deux fenêtres à coulisses qui en font une par étage ; mais on lui impose des gouttières, qui reçoivent les eaux du ciel, et puis des plombs en saillie sur la rue, parachute quotidien des pluies, d'un autre genre ; sur son escalier, bien qu'étroit, le conseille de Salubrité, a exigé qu'on ajoutât une petite pièce, qui est devenue indispensable, mais dont ce bouge manquait, sans s'en apercevoir, depuis la Ligue.

On remarque aussi au n° 32, qui appartient depuis longtemps à la famille d'un médecin de campagne, une petite niche garnie d'une Vierge ; c'est l'une des deux maisons qui se suivaient portant la même enseigne et qui appartenaient sur la fin du XVIIe siècle, la première à Toulmont, la suivante, à Moreau. Aux religieux de Saint-Lazare revenaient les loyers de deux propriétés, sises vers le n° 36. Le 12 ou le 14, qui tient encore bon, malgré son apparence titubante, a conservé de l'époque de la Fronde un escalier à balustres de bois avec ses marches traditionnelles en briques.

Et comment mieux finir qu'en parlant du n° 6 ? Quel malheur qu'une désignation toute commerciale, inscrite sur un grand tableau, masque la tête sculptée et les consoles coiffant artistement sa porte, qui fut d'abord de bonne maison, sous le règne de Louis XIV ! Les mêmes sculptures, il est vrai, se retrouvent dans la cour, surmontées d'un balcon en fer, digne de l'attention des connaisseurs ; le style, très élégant de cette saillie se rapporte à celui de la rampe du grand escalier. On a dernièrement découvert des écussons à demi effacés dans la corniche du plafond, au premier. Cet hôtel deux foin centenaire eut pour fondateur et premier occupant Varignon, architecte du roi, qui tenait de près au géomètre du même nom, membre de l'Académie des sciences, professeur de mathématiques à Mazarin, auteur d'une Statique et d'autres ouvrages savants. Son voisin du côté de la rue Poissonnière s'appelait Percheron et avait deux maisons ; celui de l'autre côté, à l'image des Trois-Torches, avait pour nom Messager et était secrétaire du roi. On à confisqué à la Révolution, sur la comtesse Longneau de Launay, émigrée, l'ancien hôtel Varignon et une maison adjacente, qui seule a été vendue à la criée, comme bien national ; l'hôtel lui-même, quoiqu'il fût confisqué, a échappé au même sort en devenant un siège de la Justice de paix. Restitué depuis lors à qui de droit, il est de nos jours à la disposition de M. de Gars de Courcelles, dont la famille s'était alliée à celle de Launay.


 

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