Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE PROVENCE
VIIIe, IXe arrondissements de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1860. La rue de Provence a ultérieurement prêté ses flancs au prolongement des rues Lafayette, Le Peletier et Drouot. Elle s'est grandie, en revanche, de l'ancienne rue Saint-Nicolas-d'Antin.

Le Moulin des Choux. – Le grand Égout. – Mme de la Moskowa. – MM. Périer. – Mme de Montesson. L'Ambassade d'Autriche. – Les Écuries d'Orléans. – Mme d'Archambal. – L'Hôtel Thélusson. – L'Hôtel de Tréneuc. – Mme de Mercy-d'Argenteau. – Hoffmann. – Garnier-Pagés.

Les fâcheux disent au figuré de tous les bals officiels qu'on y danse sur un volcan ; mais c'est au positif que la rue de Provence chemine sur un égout, outre qu'elle traverse le Paris qui peut le mieux passer pour un égout des voluptés du monde. Pour y voir autre chose que le conduit d'eaux et d'immondices dont elle est encore la couverture, il faut remonter à l'époque où le moulin des Choux y courait sur lui-même après le vent. Les choux et autres plantes potagères se renouvelèrent plus longtemps que ne se remplumèrent les ailes du moulin, dont Claude Fernand, jardinier, cultivait l'emplacement sous Louis XIV. Son demi arpent de marais, clos de haies, touchait une terre à Pierre Legay et une aux religieux mathurins, entre le mur de la Grange-Batelière et l'égout de la ville.

Les propriétaires riverains de l'égout, entre le faubourg Montmartre et la Chaussée-d'Antin, étaient en 1738 :

M. Jean-Joseph de Laborde, secrétaire des finances, subvint aux frais du pavage primitif de la rue de Provence, ainsi que de la rue d'Artois, maintenant Laffitte ces rues, portant les noms de deux des petits-fils de Louis XV, s'ouvraient en vertu d'une autorisation obtenue en 1770 par ledit financier, propriétaire de terrains rue d'Artois, et encore plus rue de Provence, mais à charge de couvrir le grand égout qui passait dans celle-ci.

L'hôtel de ce Laborde, devenu banquier de Joseph II et comte du Saint-Empire, subsiste à l'anglé des deux rues ; il appartient à Mme la princesse de la Môskowa, née Laffitte, qui entretient fort peu ce petit palais, dont une souscription nationale a doté son père en1830. Quel exemple peu encourageant ! C'est quêter une indemnité, pour cause d'expropriation, que d'abandonner à ce point une des belles demeures de Paris, et il est vrai que la rue Lafayette prolongée doit passer par-là ; mais elle pourrait faire un détour et ne s'en prendre qu'au petit hôtel qui, rue de Provence, est donné en location par M de la Moskowa, et d'ailleurs le projet actuel de l'édilité parisienne ne menace, en réalité, que la cour du grand, qui aspire à descendre, comme dirait Corneille. Pendant le Directoire, c'était du moins un magnifique hôtel garni : le régime révolutionnaire ne s'en était pas adjugé la propriété dans le dessein d'en faite hommage à un bon citoyen, il avait enlevé à Laborde plus encore que tous ses biens.

A côté du petit hôtel sus indiqué, un immeuble qui appartient à M. de Rothschild servait, avant 89, de bureau à la compagnie des Eaux de Paris, et de logis à ses directeurs MM. Périer.

La compagnie Delaunay, en1829, a bâti la cité d'Antin, mais, du côté de la rue de Provence, une grande construction de l'autre siècle se retrouve dans cette cité, bien que tous les livres sur Paris donnent la plus ancienne des deux comme ayant fait place nette à la seconde. Trois ou quatre immeubles de la rue de Provence, où sont percées deux portes de la cité, ont fait assurément partie de l’hôtel Montessori, dessiné par Brongniard, qui n'avait qu'une de ses portes sur la rue de la Chaussée-d'Antin. Le mariage morganatique du duc d'Orléans, grand-père du roi Louis-Philippe, avec Mlle de Montessori, eut lieu le 24 août 1773, avec le moins d'éclat possible ; mais ce n'était pas sans le consentement du roi. La bienfaisance princière de cette dame était un secret moins facile encore à garder que celui de ses secondes noces ; on lui reconnaissait, d'ailleurs, autant de grâces que d'esprit. Il y avait vis-à-vis de chez elle, dans la rue de Provence, un théâtre de société tellement à sa disposition qu'un public de son choix l'y applaudissait et comme actrice et comme auteur les représentations y cessèrent à la mort du prince.

Le fournisseur Ouvrard et le banquier Michel habitèrent l'hôtel Montesson, avant le prince de Schwartzemberg, ambassadeur d'Autriche, qui voulut y donner une tête splendide à l'occasion du second mariage de Napoléon.

Une salle de bal avait été ébauchée en bois, sur le jardin, pour faire suite aux appartements, insuffisants dans cette circonstance. Mais quand l'empereur et Marie-Louise furent entrés chez M. de Schwartzemberg, il arriva que le feu prit à un rideau, qui le communiqua en peu de minutes au plafond de l'édifice postiche. Un lustre tombait avec fracas, et les invités effrayés, en se précipitant sur une porte, tous à la fois, s'étouffaient les uns les autres, le parquet de la salle ne pouvant résister à cette surcharge, s'ouvrit. Nombreuses furent lès victimes, et parmi elles une princesse, belle-sœur de l'ambassadeur, qui était parvenue à se sauver, mais que son inquiétude sur le sort d'un de ses enfants ramena au milieu des flammes, qui ne la laissèrent plus sortir. Une ambulance venait de s'improviser en face, chez le comte Regnault de Saint-Jean-d'Angély, et l'empereur y faisait prodiguer des secours à tous les blessés. Des familles vinrent, le lendemain, y reconnaître y réclamer des morts.

Cet autre hôtel, antérieurement de Thun et des Écuries-d'Orléans, avait été construit sur le plan de Boullée, architecte du roi. Mais Brongniard y était l'auteur de la salle de spectacle, dont Mme de Montesson fit les honneurs dès l'année 1770, et qui avait une salle de concert pour pendant : l'une devait comme l'autre à une verdoyante décoration de ressembler à une éclaircie de bois, dans le lieu de plaisance qui rehaussait alors les écuries du prince. Philippe-Égalité y eut pour locataire, en l'année 1790, le sieur Boileau, moyennant 13, 500 francs, puis pour acquéreur un riche marchand de chevaux, nommé Lechaire.

Les deux belles propriétés dont se compose l'ancien hôtel des Écuries étaient déjà distinctes quand Regnault en habitait une, que composaient les n° 68 et 70 le sénateur Lejeas, père de la duchesse de Bassano, et Mlle Contat, devenue Mm de Parny par son mariage avec le neveu du poète, occupaient le 72. M. Florentin, baron de Seillière, acheta en 1816 la maison, de Regnault de Saint-Jean-d'Angély, qui avait perdu la raison depuis la chute de l'Empire. M. Répond, qui était Suisse, avait alors l'immeuble d'à côté, et l'ancien hôtel. Montesson servait de résidence au commandant de la garde nationale, c'est-à-dire au général Dessaules, dont le successeur fut le maréchal Oudinot, duc de Reggio.

Chez le général d'Archambal était reçu Napoléon, qui avait distingué sa femme n° 50, rue de Provence. N'était-ce pas l'ancienne maison Chenot, construite par Bruneau en 1790 ? Légation de Saxe sous la Restauration.

Une compagnie d'assurances remplace la veuve du comte Germain, au n° 40, et si nous ne découvrions pas que le 34, d'une architecture identique, appartenait à M. Meunier du temps de la comtesse précitée, nous croirions que ces deux immeubles ont dépendu, comme pavillons, d'un ancien hôtel bien connu, où Mme Thélusson, qui recevait la meilleure compagnie, a eu pour successeurs le comte de Saint-Pons-Saint-Maurice, le prince Murat et l'ambassadeur de Russie Ledoux avait donné pour entrée à l'hôtel Thélusson une arcade rocaille, style Médicis, dont la forme nous est rappelée par la plus large porte des maisons de la rue Duphot. La rue d'Artois s'est prolongée entre celles de Provence et Chantereine (de la Victoire), sur le terrain de ladite propriété.

Un autre petit monument de l'architecture domestique allait lui-même prématurément disparaître et priver la rue Le Peletier d'un agréable vis-à-vis, où la vue se repose des façades uniformes qu'offrent les maisons de revenu ; par bonheur il y a sursis à l'exécution d'un projet de percement comme il en fourmille à l'Hôtel de Ville, et l'immeuble se destine provisoirement à un cercle artistique, peut-être même à un théâtre (une salle de spectacle provisoire a été disposée dans cet hôtel pour le théâtre des Délassements-Comiques, chassé du boulevard du Temple par une première démolition et qui est retourné dans son ancien quartier lorsque la salle provisoire a fait place au prolongement de la rue Le Peletier). De telles transformations pouvaient-elles être prévues, sous l'ancien régime, par Rousseau, lorsqu'il eut à fournir le plan de cet hôtel à M. de Tréneuc ?

Le sybarite républicain Barras, la danseuse Fanny Essler et Mlle Duverger, du théâtre du Palais-Royal, eurent en divers temps cette jolie résidence. Il ne nous étonnerait même pas qu'elle eut été aussi l'hôtel Bainting maison de la rue de Provence qu'avait occupée un comte de Tamncy, avant milord Bainting ; qui portait le n°18 quand l'hôtel Thélusson, en ses dernières années, répondait au chiffre 28, et qu'Itasse avait décorée d'un magnifique salon en 1801. Fanny Essler établit, en tout cas, dans l'ancien hôtel de Tréneuc un petit théâtre, principalement, consacré à des exercices chorégraphiques.

Avant même que la proximité de l'Opéra mît notre rue eu quelque sorte sur le chemin de ronde de ce théâtre, Mlle Levasseur l'habitait : captatrice qui devint baronne du Saint-Empire, comtesse de Mercy-d'Argenteau.

Une jolie pièce, Le Roman d'une Heure, a été refaite bien souvent par des imitateurs d'Hoffmann, rédacteur des Débats, qui en était l'auteur. Il avait épousé la fille de Boullet, machiniste de l'Opéra ; de plus, il était membre du conseil littéraire de l'Académie-Royale-de-Musique. Le toit du n° 14, où demeurait Hoffmann dans le voisinage du théâtre, servit de troisième dessous, dans la soirée du 6 juillet 1819, à une descente, que malheureusement les machinistes de l'Opéra n'avaient pas eue à combiner l'aéronaute Mme Blanchard, précipitée avec violence, perdit la vie dans cette chute.

Un hôtel de Gouy-d'Arcy doit être nonagénaire, dans cette même rue nous le cherchons au 8 ou au 24. Le député Garnier-Pagès, dont le frère a été ultérieurement ministre, est mort au 6 ses obsèques ont servi de prétexte à une démontration populaire, hostile à un gouvernement qui avait laissé au défunt une si grande liberté de l'attaquer ! Un charpentier a édifié le 2, immeuble à-peu-près du même âge que le 1, où un épicier annonce que son établissement remonte à 1761.



 

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