Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE BASSE-DU-REMPART, (Boulevard de la Madeleine)
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. L'année suivante a commencé la suppression de la rue Basse-du-Rempart dans celle des deux moitiés de son parcours où elle était bordée de constructions séculaires. L'autre moitié aurait-elle trouvé grâce ?

Gustave Planche :
M. Gustave Planche, le critique, est né dans la première maison de cette rue, il y a un demi-siècle ; le bâtiment n'existe plus, mais l'officine pharmaceutique fondée vers 1800 par M. Planche, qui a donné le jour à l'écrivain, n'a presque pas changé de place. Tel père, tel fils, dit un proverbe, et en effet la plume élégante et savante du rédacteur de la Revue des Deux-Mondes purifie activement les humeurs d'une littérature de transition, bon ou mal gré, tout comme la pharmacie du même nom purge un brillant quartier de Paris, où l'on meurt bien plus dégagé, si ce n'est plus tard, que dans les quartiers moins châtiés. Le codex littéraire et artistique de Gustave Planche a déjà agi puissamment sur le tempérament de notre époque, sans en faire un grand siècle ; seulement sa collection de formules à forte dose a donné lieu à la seconde manière de bien des écrivains et des artistes, dont les débuts plus libres avaient fait la réputation, avant que des correctifs leur fussent magistralement prescrits, impérieusement administrés par le pharmacopole éminent de la Revue des Deux-Mondes.

Le comte de Sommariva :
Heureux critique ! c'est à sa porte même que la statuaire et la peinture avaient réuni des chefs-d'œuvre, comme pour flatter et décider son goût naissant. La magnifique galerie du comte de Sommariva, qui devint publique à sa mort, jusqu'à ce que tout en fut vendu et réuni à d'autres galeries, était là, au n° 4, dans un hôtel qui appartient encore à sa veuve. Cet ancien président de la république de Florence, réunie ensuite à la France, acheta en 1807 la propriété dont il s'agit, ainsi que tout un quartier de la vallée de Montmorency, pour hôtel de campagne.

Avant lui l'écuyer Pierre-Eloi Doazan, conseiller secrétaire du roi et fermier général, avait installé ses pénates sous le même toit, rue Basse-du-Rempart, comme acquéreur de Bouret de Vézelay, écuyer, trésorier général de l'artillerie. Un autre financier encore, Jean Batailhe, de France, conseiller du roi, et sa sœur, Mlle Charlotte-Françoise de France, avaient acquis en 1772, ou plutôt pris à bail emphytéotiquement, du trésorier de l'artillerie, un terrain nu, à la condition d'y faire construire une maison de la valeur de 60 000 livres au moins, qui, au décès du survivant des deux acquéreurs, devait retourner au vendeur, et c'est ainsi qu'avait été bâti l'hôtel Sommariva. Que si vous voulez tout savoir, ce même terrain faisait encore partie en 1752 d'un grand marais appartenant au président Mallet, dont le fils, Mallet de Chanteloup, traita avec Bouret de Vézelay ; il se trouvait sous la censive des sieurs prieur et religieux de Saint-Denis-de-la-Chartre, et de plus il était chargé de dîmes, comme le reconnut un arrêt du parlement du 5 avril 1629, au profit des chanoines de l'église royale et collégiale de Saint-Germain-l'Auxerrois, réunis au chapitre de l'église de Paris.

Mlle Raucourt :
Planche, qui compte maintenant beaucoup d'ennemis, ceux-ci à cause de sa critique, et ceux-là, plus nombreux peut-être, parce qu'ils aspirent à l'honneur d'attirer son attention, qui commande l'attention publique ; Planche n'avait encore que des rivaux de classe au grand Concours et au collège Bourbon, lorsqu'un bruit formidable se fit entendre, également à sa porte. C'était sous la Restauration ; Mlle Raucourt, de la Comédie Française, venait de trépasser, n° 6, dans une maison qu'habite une autre dame, qui est née là avant la fin du siècle précédent. On prétend même que Mlle Raucourt, qui pendant les dernières années de sa vie avait fait des dons à l'Église, s'était préparée, comme les rois, à mourir avec dignité, en prononçant ces mots peu de temps avant l'agonie : Voici la dernière scène que je jouerai, je suis prête à bien jouer...

Le curé de Saint-Roch refusait d'enterrer la tragédienne, et toutes les fureurs qu'elle avait déchaînées avec art sur la scène étaient descendues dans la rue, par un écho posthume de la gratitude du public. Sans Louis XVIII, que la terreur n'avait jamais glacé, ni au théâtre, ni dans la vie, que ne fût-il pas advenu ! Le clergé, prenant à la lettre d'anciens canons, paganisait le Théâtre, et toute une jeunesse voltairienne lui tenait tête, attachant un prix imprévu aux dernières prières de l'Église, qui eût dû regarder cette réaction in extremis comme un bienfait miraculeux. Le roi eut plus d'esprit que l'un et l'autre adversaires, car il les mit d'accord, en dépêchant rue Basse-du-Rempart un de ses aumôniers ; la foule renaissant aussitôt au calme et au bon ordre, se contenta de suivre le convoi jusqu'au Père-Lachaise.

Les Concerts de l'hôtel d'Osmond :
Mais il s'agit bien d'agonie, de funérailles et d'émeutes, dans l'édifice qui vient après ! Ne sont-ils pas variés à l'infini, les accords qui y retentissent tous les soirs ? Les initiés savent bien à quoi s'en tenir, et l'affiche qu'ils consultent est bien moins à la porte que dans la salle même de Musard, sous la direction de deux vaudevillistes, MM. Dartois et de Besselièvre ! Quelques hommes blasés cherchent un fréquent refuge dans ce séjour de fête, dont leur présence fait l'éloge, qu'ils soient venus comme auditeurs ou seulement en spectateurs. Là aussi, bien des myopes se plaignent du petit nombre de cas où leur lorgnon, braqué de côté et d'autre, fait ses frais. Mais un joli visage enlaidit les visages voisins, dans tous ces lieux publics où chacun oublie trop qu'il est l'hôte de ceux qui l'entourent, et qu'il leur doit des égards à tout prix.

On peut même dire à tous les prix, pour flatter les tendances vénales qui dominent aujourd'hui jusque dans le temple des arts. Néanmoins, depuis Ovide, chaque siècle ajoute à l'art d'aimer son chapitre, empreint du caractère général de l'époque, et notre temps n'a pas été du tout le plagiaire des siècles primitifs lorsqu'il a inventé Mabille et ce Concert, dont le succès rend jalouses de Paris toutes les autres capitales. Les passants, les profanes n'y sont plus des bourgeois ; ce sont, au contraire, des artistes ; la naïveté a changé de côté, et je ne sais à présent rien de moins ingénu que la bourgeoisie parisienne.

Si vous rencontrez un badaud, soyez sûr qu'il est étranger au monde en vue dans cette ville, et voyez les grands yeux qu'il ouvre, comme si l'oiseau était rare, quand il parvient à reconnaître parmi les promeneurs qui passent un des heureux coquins du jour, ou une drôlesse à la mode ! Par bonheur les profanes trouvent encore au Concert-Musard une charmante musique, tour à tour tendre et puis qui saute, invitations changeantes à la valse, à la chasse, à la vie pastorale, à déboucher des bouteilles de champagne et à souper en joyeuse compagnie. Outre cette harmonie imitative, dont chaque intermède suit une œuvre de maître, et qui finit par sonner le couvre-feu de la sortie avec un carillon de baisers n'ayant absolument rien de platonique et pas grand'chose de l'amour, d'autres attraits sont particuliers à cette réunion publique de tous les soirs.

La conversation des sots y est souvent couverte par les voix prépondérantes de l'orchestre ; une vive lumière et des pénombres alternent avec art, sous des lambris dorés que relient des arcades improvisées en carton ou en toile, et il y a place encore pour des salons où l'on boit, où l'on fume, où l'on peut lire les journaux du lendemain, où s'exposent aussi des peintures, des lithographies et des portraits photographiques ; place enfin pour des jeux absolument nouveaux en ce qu'on y perd son argent sans la plus petite chance de gain.

Depuis que cette salle de concert anime la rue Basse-du-Rempart, on parle de démolir l'hôtel superbe qu'elle occupe, et le Crédit mobilier, qui en est le propriétaire, ne consent aux entrepreneurs qu'un bail de deux mois à renouveler : On dit aussi, et nous le souhaitons fort, que cette maison sera seulement restaurée et mise de niveau avec le boulevard. Chacun sait que c'est l'ancien hôtel d'Osmond.

Ah ! si la rue Basse-du-Rempart ne pouvait être condamnée que par un jugement, l'acquittement ne ferait pas doute. Cet ancien fossé ne rend-il pas de grands services à la circulation chaque fois que le boulevard s'encombre extraordinairement ? Les murs et les façades y reculent plutôt devant l'alignement qu'elles ne le dépassent, et l'aspect change à chaque porte. De grandes cours et des jardins se donnent la main d'une maison à l'autre, pour faire honte aux enfilades d'immeubles, sans cour et sans jardin, qui se ressemblent tout le long des rues neuves, ou nouvellement élargies. Depuis qu'on parle si fort d'améliorer cette rue Basse, il nous paraît malheureusement probable que c'est de la manière dont l'Empire a déjà pris en France deux fois la tâche d'améliorer la République.

M. des Tillières :
Les héritiers de la comtesse d'Osmond ont vendu cet hôtel le plus doré de Paris au Crédit mobilier. La comtesse était fille de M. des Tillières, et l'immensité de fortune de ce confident du prince de Talleyrand avait une double origine, à laquelle aujourd'hui il est moins indiscret de remonter que du vivant de son auteur. D'abord quand Telleyrand avait le portefeuille des relations extérieures, Des Tillières jouait à la Bourse pour le compte de ce diplomate, et aussi pour son propre compte sans le lui dire. Bien qu'ils suivissent le même jeu, avec un bonheur facilement explicable, le ministre se ruina, et l'issue de la partie fut toute différente pour son ami l'entremetteur. Talleyrand, qui recevait de première main bien des nouvelles, et que son département mettait à même d'en ralentir ou d'en accélérer la divulgation officielle, avait toujours des raisons excellentes pour manquer de confiance à long terme dans les gouvernement qu'il servait, et il plaçait ses fonds disponibles en Angleterre ; mais il n'avait pas tout prévu, et la guerre déclarée de nouveau aux Anglais autorisa ceux-ci à confisquer l'argent ennemi, pendant que Des Tillières, bien au contraire, réalisait, sans traverser la Manche, ce qu'il avait gagné sur place.

D'autre part, la réclamation d'une somme de dix-huit millions avait été faite en pure perte à Napoléon par les Suisses qui avaient fidèlement servi le roi Louis XVI ; Des Tillières et un autre capitaliste, profitant du découragement où se trouvaient ces créanciers, aux plaintes desquels on était sourd, achetèrent 200 000 fr. les titres réguliers de leur créance protestée. A la rentrée de Louis XVIII, toutes les dettes de l'ancienne cour furent payées intégralement, et notamment les millions dus aux Suisses, qui avaient livré aux alliés l'accès de la frontière française. Des Tillières et son associé centuplèrent ainsi la somme qu'ils avaient avancée.

La femme de cet heureux spéculateur avait une complexion trop délicate pour prendre longtemps part à cette rare opulence ; elle en mourut, au lieu d'en vivre, et comment ? pour avoir trop enrichi l'acajou de sa chambre à coucher d'un bronze de nouvelle invention. Le triple alliage du cuivre, du zinc et de l'étain exhalait des miasmes pernicieux dont l'influence, encore mal combattue, nuisait surtout à la santé des ouvriers qui le manipulaient ; mais on aurait eu tort d'en dire autant des nouveaux meubles faits de cet arbre innocemment rapporté d'Amérique par La Fayette avec la République. Empoisonnée par ces jouissances du luxe, des Tillières laissa une fille unique, dont une religieuse resta la gouvernante ; le fils du duc d'Osmond épousa en cette demoiselle la plus riche héritière de France et lui prêta, en revanche, le nom brillant que ses ancêtres avaient gagné au jeu des armes.

M. de Saint-Foix :
M. de Saint-Foix, trésorier de la marine, avait commandé en l'année 1775 au crayon de Brongniard ce palais d'Italie, que Sobre avait restauré et divisé, sous le Directoire, pour le même propriétaire, s'appelant alors le citoyen banquier Saint-Foix de Carenne, qui n'habitait plus que le devant, et pour un Hollandais, locataire par-derrière.

Le 12, le 16, le 18 :
Le 12 de la même rue était d'abord le retrait d'un jardinier, fermier d'un marais appartenant à Jean-Claude Taboureux, maître charpentier des bâtiments du roi, et attenant au marais des Mallet ; on en fit un hôtel au temps où le précité sortait lui-même de terre. Le marquis d'Orvilliers s'en rendit acquéreur trente ans plus tard, et ce pair de France de la Restauration fut au nombre des victimes du choléra en 1832.

Le 16 et le 18, dont l'un au moins nous semble avoir été construit pour Verbecht, sculpteur du roi, furent vendus révolutionnairement ; l'acquéreur du premier était le père de M. Théodore Davillier, qui y naquit et qui l'habite toujours. Le fumiste Mozzanino, père lui-même du propriétaire d'à côté, convoitait ce magnifique n° 16 ; mais, distancé par M. Davillier, il ne gagna que le second prix dans cette course aux enchères publiques, en atteignant au second tour la petite maison du chevalier de Crussol, qui est aujourd'hui surélevée et rebâtie, quoique le premier étage en soit demeuré intact. La spirituelle duchesse d'Abrantès et la comtesse Berthier ont été locataires de Mozzanino ; le baron Mackau, père de l'amiral, a rendu le dernier soupir dans la même maison, et le peintre Viardot l'habite de nos jours.

Le Jardinage et les Petits-soupers de la Chaussée-d'Antin, à ses débuts :
La crémaillère avait été pendue dans une propriété de ces parages par Pierre Ligné et sa femme, née Saulnier, fils et fille de jardiniers, à moins qu'ils n'y eussent fait leurs choux gras des petits-soupers d'un riche locataire, comme on se le permettait parfois dans la naissante Chaussée-d'Antin. Pour aider à reconnaître cette maison de Ligné, qui était l'aîné de Verbecht, ajoutons que M. Héron en disposait sous Louis XVIII.

La Psyché de Mme Récamier :
Le n° 20 fut aussi une petite maison de grand seigneur, avec un escalier dérobé, tout en glace, qui allait de la cave jusqu'au deuxième étage. Nous y avons revu un petit boudoir, miroir aussi tout de son long, dont la glace, où des fleurs sont peintes, garde pour ainsi dire l'empreinte des charmes de Mme Récamier, qui s'y regardait en pied sous le Directoire. Une baignoire, dissimulée par une trappe et un tapis, était incrustée dans le plancher de ce réduit, qui donne sur le boulevard, et au-dessus se tapit encore une soupente, comme pour servir de refuge en cas de surprise.

Maurice Meyer, joaillier de Louis-Philippe et de l'empereur, et dont le père fut le prédécesseur, de même que son fils est son successeur désigné, a ouvert près de ce boudoir des salons regorgeant de parures, où bien des élégantes, en ce temps-ci, s'exposent à l'embarras du choix. On en peut dire souvent autant des admirateurs de ces dames, lesquelles du moins peuvent entrer le front haut, avec leur mari pour tout de bon, dans cet ancien asile du mystère.

De même âge est évidemment la propriété qui fait suite, et dont dispose M. Lenoir, depuis qu'il ne tient plus le café Foy, au Palais-Royal. Puis c'est un autre hôtel, bâti comme ses voisins en rayonnement, par Le Doux, l'architecte des fermiers-généraux.

La Famille Odiot :
Le 26, dont le territoire n'est pas le seul qui ait dépendu autrefois du couvent des frères mathurins, est principalement occupé par la maison Odiot, qui a quitté le quartier Saint-Honoré en 1840. Le père du chef actuel de cette maison de commerce patriarcale, la devait à Jean-Baptiste Odiot, reçu orfèvre en 1785, lequel figure, comme colonel de la garde nationale, dans un fameux tableau d'Horace Vernet, auprès du maréchal Moncey, le défenseur de la barrière Clichy.

En remontant toujours, nous trouvons une lacune dans cette succession de père en fils qui fait remonter à l'époque de Colbert la fondation de la maison : l'Almanach des Arts et Métiers pour l'année 1769 ne cite pas d'Odiot qui fasse à cette date partie du corps de l'orfèvrerie. Mais le 27 mars 1756 Pierre Odiot, fils de Jean-Claude Odiot, avait été reçu maître par la corporation, et le jour même où Jean-Claude, en 1754, s'était pourvu de la maîtrise, son père, Jean-Baptiste-Gaspard, avait passé grand-garde, après quinze ans de grade comme garde ordinaire et trente-quatre de maîtrise. Celui-ci avait assisté, en qualité de garde en charge, à la pose de la première pierre de la Maison commune et bureau du Corps des marchands Orfèvres et Joailliers de la ville de Paris, et nous retrouverons cette maison en son lieu. Plus haut encore il faut chercher le chef de la dynastie qui, depuis l'année 1679, gouverne la même maison de commerce.

La Famille Sandrié et tous ses voisins :
Les n° 32, 34, 36, 40, 42 et 44 furent édifiés, sous le règne de Louis XV, par la famille du fondateur du passage Sandrié ; Charles Sandrié, maître-maçon, entrepreneur des bâtiments du roi, n'occupa que la dernière de ces maisons ; Brunet, son gendre, président à Versailles, habita l'avant-dernière.

Napoléon et Mlle Georges :
Une dame napolitaine, fort à la mode sous Louis-Philippe, Mme Giccioli, demeura aussi au 42, où s'est retirée depuis une tragédienne, Mlle Georges Weymer. MMlles Duchesnois et Georges, les deux rivales, avaient justement fait leurs débuts au moment où la vieillesse de MMlles Clairon et Dumesnil touchaient, dans la retraite, au terme fatal. C'est à Mlle Georges que revient l'honneur d'avoir vu l'empereur de plus près que Talma lui-même ne le vit. L'entrevue la rendit si fière qu'elle s'en crut le droit de demander séance tenante un portrait pour souvenir ; mais Napoléon dit froidement, en lui montrant le côté face d'une pièce de quarante francs : Vous l'avez là.

Les Bapst :
Aussi bien le premier-consul n'avait pas attendu l'Empire pour trouver le Louvre trop étroit. Des artistes étaient logés dans ce palais depuis François Ier ; mais de bonne heure Napoléon rompait avec cette tradition de royale hospitalité, en donnant leur congé au peintre Vernet, à l'orfèvre Bapst et à d'autres artistes, dont les ateliers s'y trouvaient. Bapst, dont l'emplacement au Louvre attiendrait au pavillon Mollien actuel, était l'élève de Boehmer, ce joaillier de Marie-Antoinette, innocemment mêlé à l'affaire du Collier ; c'était aussi le gendre et le successeur de Ménier. Les MM. Bapst de notre époque sont fils et petit-fils de celui dont nous venons de parler. Leur maison a quitté le quai de l'École en 1849, pour la rue que nous interrogeons présentement, où elle enrichit le 42. Les joailliers de cette famille ont été fournisseurs de la Couronne sous Louis XVI, Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe. Les sculptures qui décorent leurs salons sont un legs du président Brunet.

Passons l'ancienne demeure de Sandrié, voici derrière une grille et une charmille un petit restaurant, fréquenté à la fois par des gourmets, amateurs du confort qui ne met pas le désordre, dans leurs dépenses, et par de simples artisans. Le rudiment de cet immeuble, qui appartient au général tunisien Sidi-Mahmoud-Ben-Ayet, date aussi du règne de Louis XV ; une dame russe, la comtesse Bruce, y faisait les honneurs de ses salons il y a cinq lustres.

La Duthé :
Le reste de la rue Basse-du-Rempart est trop moderne pour que nous y retrouvions le ci-devant 68, maison où le compositeur Blangini avait succédé, comme locataire, à la Duthe. Cette Rosalie Duthé, courtisane célèbre, contemporaine de la Guimard, avait débuté à l'Opéra comme espalier ; elle avait tout juste le talent et l'esprit d'une figurante, mais elle était si belle que nulle ne l'effaçait dans les réunions de la petite maison de Soubise, cour galante de la rue de l'Arcade. Son luxe coûta cher au duc de Chartres, au comte d'Artois, et puis à des Anglais, quand elle eut émigré à temps. Le duc de Bourbon-Condé lui rendait encore des visites, comme ami, dans le dernier hôtel qu'elle habita, au boulevard des Italiens, vis-à-vis la rue de Choiseul ; elle y mourut l'année 1820.

L'Hôtel Chevilli :
Un hôtel plus ancien laisse encore moins de ses nouvelles à l'extrémité de la rue Basse, qui lui dut de s'appeler chemin de Chevilli avant de prendre le nom du rempart élevé sous Louis XIII entre la porte Saint-Honoré et la porte Saint-Denis. Déjà une fois, en l'année 1720, on essaya de supprimer ce chemin ; mais il fit tellement faute que bientôt on le rendit à la circulation. Comme il n'était permis d'avoir que des portes dérobées sur le boulevard, la rue Basse n'en venait que plus utilement en aide à cette voie plantée d'arbres, qui s'accommode si mal des portes cochères. Comment un dégagement, jugé indispensable sous la Régence deviendrait-il une superfluité, maintenant que l'ancienne promenade est sillonnée par mille fois plus de voitures et de baquets ?

La propriété foncière se divisait dans notre rue, d'après un petit plan tracé à la plume en 1726, de la façon suivante :
1° un serrurier, bâtiments et jardin (à la place de la pharmacie Planche) ; 2° un taillandier, bâtiments et jardin ; 3° un charron ; 4° chantier de Sandrié, charpentier ; 5° marais à Marie Ligné, maître jardinier ; 6° maison au même ; 7° maison et jardin à M. d'Olivet (à la place de la maison Odiot) ; 8° un charron ; 9° un charpentier ; 10° un menuisier ; 11° un renfoncement en demi-cercle devant une ouverture, qui nous paraît l'entrée du passage ; 12° grand marais à Baudin, jardinier ; 13° Leroy, jardinier ; 14° un autre jardinier ; 15° marais à M. Pinon de Quincy, s'étendant jusqu'à la rue de Suresnes.

M. d'Olivet :
Reste à savoir si le M. d'Olivet qui figure au tableau était ou n'était pas l'abbé Thoulier d'Olivet, grammairien et l'un des quarante.

Pierre Ligné et Marie-Anne Saulnier avaient acquis du nommé Silvois deux arpens de terre en marais le 5 février 1714. Une sentence de la grande voirie de Paris permettait, le 9 mai 1752, à Ligné, Verbecht, Sandrié l'aîné et autres propriétaires riverains du passage, Sandrié, de faire mettre des pieds-droits de porte charretière, pour la fermeture d'icelui.

Le Passage :
Une pension, dont les élèves suivaient les cours du lycée Bonaparte, collège Bourbon, marqua dans le passage Sandrié, ou elle fut successivement dirigée par MM. Savary, Vertut et Darragon. Il s'y trouve encore un jeu de paume, le dernier de Paris qui survive à tant d'autres ; mais il est de création moderne.


 

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