Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUES PIGALLE, LA ROCHEFOUCAULD, DE LA TOUR DES DAMES
IXème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861.Rue jean Baptiste Pigalle commençant rue Blanche, 18. Finissant place Pigalle, 9: Monument classé au n° 34 : petit salon avec son décor au rez-de-chaussée. Historique : Elle figure à l'état de chemin sur le plan de Jouvin de Rochefort (1672). Dénommée rue Royale (1772), rue de la République (1795), rue de l'An Huit (1800), rue Pigalle en (1803). Origine du nom : Jean-Baptiste Pigalle (Paris, 1714-Paris, 1785), sculpteur français qui avait son atelier dans cette rue.
Rue de La rochefoucauld, commençant rue Saint-lazare, 52. Finissant rue Jean-baptiste Pigalle, 52. Historique. Elle a été nommée rue de La Rochefoucauld en 1790. Précédemment c'était la ruelle ou rue de la Tour Des Dames (plan de Turgot). La partie entre les rues Saint-lazare et de la Tour des Dames est indiquée sur un plan de 1672 (Jouvin de Rochefort). Elle a été prolongée jusqu'à la rue Jean-baptiste Pigalle au commencement du XVIIIe siècle. Origine du nom : Catherine de La Rochefoucauld-Cousage, abbesse de Montmartre de 1737 à 1760 ; ancien territoire de l'abbaye.
Rue de la Tour des Dames, commençant : rue de La Rochefoucauld, 7. Finissant : rue Blanche, 12 et rue Pigalle, 2. Historique : Elle est tracée sur le plan de Lacaille (1714). Partie de la ruelle Baudin sur le plan de Deharme (1763) ; rue de la Tour des Dames sur le plan de Verniquet (1789). Origine du nom : Voisinage d'un ancien moulin appartenant aux dames de l'abbaye de Montmartre.

La Poste aux Chevaux. – Les Amis-Réunis. – Mlle Raucourt. – La Dlle Adeline. – Bellanger. – Mme Boursault. – Mme Scribe. - La Rue en Deuil. – Pigalle. – Volney. – M. de La Rochefoucauld. – L'Abbesse. – Picot. – M. de Laporte. – Fortia d'Urban. – Baudin. – M. de Sancy. – Le Prince de Wagram. – Mlle Mars. – Bougainville. – Le Moulin. – M. Baillot : – Mlle Duchesnois. – La Dlle Ozi. – Horace Vernet. – Paul Delaroche. – Talma. – Grisier.

Clic-clac ! voici la Poste aux Chevaux. Mais cette institution du roi Louis XI a perdu toute son importance depuis la création des chemins de fer. La Poste aux Chevaux fait des déménagements. ; ses postillons se cachent sous des blouses de roulier. Pourtant des chevaux de poste s'attellent encore à des voitures découvertes, les jours de course aux environs de Paris, ou de grandes eaux à Versailles, quelquefois même les jours de carnaval, et alors reparaît le costume traditionnel : chapeau de cuir, veste à parements rouges, plaque en cuivre sur la poitrine, boutons, blancs non moins astiqués, culotte verte ou jaune en peau, bottés, énormes et petit fouet à manche pomponné.

Clic-clac, clic clac ! Piétons, garde à vous : cet équipage a mené loin plus que n'ira jamais la vapeur ; il a franchi encore plus de montagnes que la mine n'en fera sauter, et quand il a versé des voyageurs, il est resté près d'eux jusqu'à la guérison des contusions et des blessures, au lieu de fuir comme une locomotive, qui ne s'arrête pas pour si peu.

Clic-clac ! Il vint un jour où l'aristocratie n'osait plus se poudrer les cheveux ; mais combien de fois le postillon, quand il entraînait ses berlines, lui montra-t-il encore avec orgueil la queue qui blanchissait son dos, en y battant la mesure du galop de sa monture ! Clic-clac !

La Poste aux Chevaux piaffait rue Contrescarpe Dauphine, avant la Révolution ; un bureau pour la délivrance des passeports y demeurait ouvert, même la nuit ; Lanchère de la Grandière, bisaïeul maternel de MM. Dailly frères, était déjà maître de poste, en vertu d'un brevet signé le, 16 août 1786. Or depuis le même temps le bureau de la direction générale des postes aux Chevaux du royaume était rue Neuve des Mathurins ; on y prenait également des passeports, mais seulement pendant la journée ; le duc de Polignac avait la charge de directeur général, dont la survivance était promise au marquis de Polignac. Le fils et successeur de Lanchère ne resta pas longtemps rue Contrescarpe ; il était place Saint-Germain-des-Prés lorsqu'il donna sa fille et son établissement, en 1814, à M. Dailly, père des maîtres de poste actuels.

C'est en août 1830 que M. Dailly s'installa rue Pigalle, dans un hôtel auquel il venait d'ajouter des constructions aux dépens d'un jardin. M. Schikler, vendeur, n'avait pas habité cette propriété, dans laquelle des bureaux déjà avaient été placés sous Louis XVI. Hersant-Destouches, intendant général de la maison et finances de la comtesse d'Artois, avait quitté la rue Saint-Marc, en 1787, pour établir en cet endroit son administration, sa résidence et sa galerie de tableaux flamands et hollandais, de porcelaines et de bronzes.

A cette époque la loge maçonnique des Amis-Réunis se trouvait du 34. De plus, une maison dont nous croyons revoir et le jardin et d'autres restes, à l'angle de la rue de Laval, servait d'habitation a Mlle Raucourt. Cinq ans avant, on avait joué Henriette, et l'auteur de cette comédie en trois actes était la belle et imposante tragédienne à laquelle Dorat s'adressait en ces termes :

Toi, la plus belle des Didons !

Adeline Ruggiéri, née à Venise, qui avait une sœur aînée, Colombe Ruggiéri, attachée comme elle à la Comédie Italienne, pendit la crémaillère en 1788 dans un petit hôtel de cette rue, élevé à son intention sur le dessin de Bellanger : on y remarquait un boudoir en stuc. Figurante et danseuse à l'Opéra dès l'âge le plus tendre, Adeline avait été mise dans ses premiers meubles par M. de Selle, conseiller honoraire au parlement, et elle avait vécu un certain temps avec ce protecteur d'un âge respectable.

La Dlle Bouscarel aînée avait été pourtant son chaperon et l'avait présentée au duc de Chartres, avec la protection de M. de Fitzjames ; puis toutes deux avaient suivi la cour en novembre à Fontainebleau, où la meilleure conquête d'Adeline lui avait attaché pour un mois le comte de Roze, avant qu'elle se retournât du côté de l'ancien magistrat. Des succès de ce genre avaient sans doute ralenti, au point de vue du talent, ses progrès, car elle n'avait cessé d'être considérée comme débutante, à son théâtre, qu'en 1779. Adeline est morte à Versailles en 1841.

Une autre maison avait été bâtie au même temps par le même Bellanger, né en 1744 et prénommé François-Joseph, qui l'habita. Il était premier architecte du comte d'Artois ; la Révolution ne le priva que de sa liberté, qui lui fut même rendue. Mais la captivité l'avait remis en rapport avec l'une des princesses de la galanterie qu'il avait eues pour clientes, Mlle Dervieu, comme lui prisonnière, et cette infortune partagée les avait rapprochés au point qu'il se mariaient en sortant. Peu de jours avant la mort de Louis XVII, un commissaire de la Commune dessinait le portrait du jeune martyr, dans la prison du Temple, et ce commissaire n'était autre que Bellanger, d'après lequel Beaumont fit du portrait un buste en marbre. Il prit l'initiative, en 1814, du rétablissement par souscription de la statue de Henri IV sur le Pont- Neuf. Le comte d'Artois avait refait Bellanger intendant de ses bâtiments.

Henri, confrère de Bellanger, édifia pour M. Vassal (et l'on nous dit aussi M. Vassate), en 1790, une maison de plus grande importance, qui nous a tout l'air de répondre aux n°s 19, 21 et 23. Mais, outre les immeubles qui nous rappellent Mlle Raucourt, les Amis-Réunis et le chevalier Destouches, il en est au moins cinq dont la création remonte à-peu-près à la même époque : deux seulement ont appartenu à Bellanger et à Adeline.

Le 27 a été laissé par Mme Boursault, veuve de l'ancien fermier des jeux, à sa fille, Mme de Rubempré.

Le 10 n'a que peu d'importance ; la veuve d'Eugène Scribe en dispose, ainsi que de l'hôtel moderne qui vient après, et dans lequel dernièrement le célèbre auteur dramatique a rendu le dernier soupir.

Le 17 peut passer pour la plus ancienne des maisons encore debout qui aient, été bâties dans le temps où la rue Pigalle s'appelait Royale, c'est-à-dire depuis l'année 1772 jusqu'à la République. On avait même qualifié cette rue chemin de Montmartre, tout comme la rue des Martyrs, et pendant que celle-ci broyait du noir, comme rue du Champ du Repos, celle-là, itérativement prise de l'esprit d'imitation, portait le même deuil, comme rue du Champ d'Asile, en attendant que l'an XI la fit Pigalle. D'aucuns rapportent qu'elle était habitée à cette époque par Mlles Pigalle, parentes de l'artiste mort sous l'ancien régime. Seulement le sculpteur illustre avait épousé à un âge avancé sa propre nièce, et aucun enfant n'était né de ce mariage. Si Pigalle avait demeuré personnellement rue Royale, comme on le lit dans plusieurs livres, c'était probablement au 17.

On croit aussi que la rue Larochefoucauld se dédia à l'auteur des Maximes, vers le même temps que l'autre à Pigalle ; mais tout le monde n'abonde pas dans ce sens. Paris chez Soi, en cherchant à son tour quel fut le parrain de cette rue, penche pour un vieux M. de Larochefoucauld, qui y demeurait à une époque encore moins, éloignée. La rue se mêle en effet, depuis lors, d'être sentencieuse et de faire la personne de bon sens. A l'intérieur du n° 25, dont la façade, quoique peu grandiose, est ornée d'une statue et de deux lustres, on lit :

« L'an 1802, le voyageur Volney, devenu sénateur, peu confiant en la fortune, a bâti cette petite maison, plus grande que ses désirs. »

Chassebœuf de Volney, constituant, avait dédié à l'Assemblée son ouvrage, Les Ruines, sans qu'il y eût intention ironique de sa part ; il n'eût pourtant quitté, sans le 9 Thermidor, la prison que pour l'échafaud. Sa participation au succès du 18 Brumaire l'a fait ensuite sénateur et comte de l'Empire. Mais n'ayons pas trop l'air de croire qu'il se soit toujours contenté de son habitation de la rue Larochefoucauld : il a donné plus tard la préférence à un grand hôtel de la rue de Vaugirard. Mort pair de France en 1820, il avait épousé dix ans plus tôt sa cousine, Mlle de Chassehauf.

Faut-il penser, décidément, que l'histoire des rues de Paris est plus malaisée à écrire que la biographie des grands hommes ? Je suis, Dieu me pardonne, le premier qui publie que la rue Larochefoucauld se forma sur le domaine de l'abbaye de Montmartre, Mme Catherine de Larochefoucauld-Cousage étant abbesse. Le monastère de Saint-Jean-Baptiste-de-Buxo, près Orléans, l'avait pour abbesse quand elle fut nommée en l'année 1737 à Montmartre, où elle gouverna vingt-cinq ans. La pierre tombale sous laquelle reposait cette supérieure fut enlevée et sciée en deux au moment de la Révolution ; elle sert aujourd'hui de degré collatéral à chacun des angles du maître-autel, dans l'église paroissiale de Montmartre. Le bas de la rue qui nous rappelle cette abbesse n'était, avant elle, qu'une ruelle de la Tour-des-Dames.

Une maison décorée de bas-reliefs, qui fait pendant à celle de Volney depuis au moins trente ans, a été bâtie pour Picot ; l'éminent peintre y est toujours.

Arnaud de Laporte, intendant général de la marine, avait été ministre ; il vivait, auparavant de passer en Espagne, dans cette rue alors qu'y donnait l'une des portes de l'ancien château des Porcherons, consacré à des amusements pyrotechniques par l'artificier Ruggiéri. Louis XVI a rappelé M. de Laporte, pour le faire intendant de la liste civile en 1790, et deux années après l'éprouvé confident payait de la vie son dévouement à une cause perdue. La résidence de M. de Laporte n'est plus reconnaissable au n° 23, hôtel neuf remplaçant un hôtel délabré ; pas beaucoup plus au n° 19, bien que l'ancien ministre en ait joui.

Aussi bien un hôtel de la rue Larouchefoucauld se trouve porté à l'avoir de la rue d'Aumale, depuis le percement de cette dernière rue ; il appartient à M. le comte François Clary, cousin de l'empereur. Le marquis de Fortia d'Urban, membre de l'Institut, y a cessé de vivre dans sa quatre-vingt-huitième année, le 4 août 1843. Parmi les écrits innombrables de cet auteur figure une brochure, que nous avons vainement cherché à consulter, et dont voici le titre : Recueil des titres de propriété d'une maison et terrain situés au faubourg Montmartre. (In-12, avec plan, 1809.)

Un autre, littérateur, le marquis de Custine, se rendait acquéreur en 1834 du n° 12, où la maréchale Ney avait passé quelques années, et qu'avait fait construire la famille de Nicolas Baudin, marin et botaniste ; mort en 1803. Certaine avenue Baudin a relié la rue à une avenue Saint-Georges, donnant rue Saint-Lazare. Le n° 6 fut acheté sous la Restauration par la mère de M. de Sancy, propriétaire actuel.

Vis-à-vis se montre l'hôtel du prince de Wagram, précédemment à Mlle Mars et d'abord à Bougainville, propriété qui ouvre sur chacune des rues qu'embrasse cette notice ternaire. Celle des trois rues qui sert de trait d'union aux deux autres, a été Bougainville ; mais à cette désignation momentanée a succédé celle de la Tour-des-Dames, qui prenait racine plus avant dans les traditions locales.

Dès le XVe siècle le moulin à vent de, ce nom appartenait aux dames de Montmartre, ayant pour abbesse Agnès Desjardins. Claude de Beauvillier, sous Henri IV, portait la crosse au même monastère quand le nommé Martin Levignard, de la paroisse Saint-Laurent, devint meunier de la Tour-des-Dames en vertu d'un nouveau bail. Mais l'abbesse Mme de Bellefond n'affermait plus, en l'année 1717, à Pierre Langlois, marchand de chevaux, que la tour et la maison où le moulin avait joué des ailes. La tour n'a été détruite qu'en 1822, et dans ses murs épais on a trouvé une petite provision de vin, mis en bouteilles du temps de Henri IV : trop de vieillesse l'avait décomposé. Un chemin faisait cercle autour du moulin seigneurial, dont on retrouverait la place dans un hôtel primitivement destiné au prince Paul de Wurtemberg, mais achevé pour M. Baillot, pair de France, ayant pour fille Mme de Béhague, et maintenant à M. Lestapis.

Ne s'étonne-t-on pas qu'une rue aussi courte et aussi peu passante regorge déjà de souvenirs ? Nous les trouvons, quant à nous, trop modernes, comme s'ils vieillissaient plus lentement que nous : qu'ils n'aillent pourtant pas se perdre ! Si le n° 4 n'a pas su bien garder les diamants de Mlle Mars, c'est que les rues tranquilles attirent les voleurs ; mais à quelque chose il est bon que la police y soit mal faite, puisque Mlle Duchesnois a caché au n° 3, pendant et après les Cent-Jours, des victimes désignées tour à tour, aux vengeances de l'un et de l'autre parti. Cette rivale de Mlle Georges a retiré chez elle la mère de Lavalette ; elle a tenté de sauver Labedoyère. Le même toit, trente ans plus tard, abritait la Dlle Ozi, femme de théâtre.

Immédiatement après viennent deux maisons habitées par Horace Vernet, puis par son gendre, Paul Delaroche, lequel y a fermé les yeux. Un autre, grand artiste s'est éteint au n° 9 en 1826 : Talma. Enfin celui de tous les maîtres d’armes dont on aura le plus parlé, Grisier, demeurait au n° 12 sous Louis-Philippe.



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