Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE DES MARTYRS
IXe, XVIIIe arrondissements de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861. Historique : Cette voie est indiquée à l'état de chemin sur le plan de Jouvin de Rochefort (1672). Elle fut primitivement dénommée rue des Porcherons, puis rue des Martyrs et, de 1793 à 1806, rue du Champ de Repos. Après la construction de l'enceinte des Fermiers Généraux, la partie située au-delà du boulevard fut appelée chaussée des Martyrs ; elle fut de nouveau réunie à la rue des Martyrs par arrêté préfectoral du 2 avril 1868. Origine du nom : Conduit vers Montmartre ou mont des Martyrs.

Les Guinguettes. – La Brasserie. – Les Petites-Maisons. – La Maîtresse du Duc d'Orléans. – M. de Malesherbes.

La rue des Martyrs n'a pas toujours été distinguée de la rue du Faubourg Montmartre, qu'on a été jusqu'à confondre elle-même avec la rue Montmartre. Qui plus est, le chemin des Martyrs, dénomination collective d'un âge plus reculé, commençait près la rue du Jour à la fin du XIIe siècle ; il n'a reculé que par étapes, et il n'a battu en retraite qu'en laissant son nom à une rue, située, comme on disait alors, aux Porcherons.

Des guinguettes s'étaient groupées autour de la chapelle des Porcherons, remplacée en 1646 par une église Notre Dame de Lorette, voisine de l'église actuelle. Le lieu s'appelait des Porcherons. Mais le souvenir des supplices dont les buttes Montmartre avaient été le théâtre à l'époque des persécutions du christianisme, ce souvenir ne fut pas consacré sans variante par le nom du chemin ou de la rue des Martyrs, que le plan de Lacaille qualifiait chemin de Montmartre, en y marquant au bas la place des commis chargés de percevoir les droits d'entrée en ville. On essaya aussi d'une désignation exclusivement sépulcrale, de 1793 à 1806, en disant : rue et barrière du Champ-dur Repos.

Comment ton ombre, ô Ramponneau, n'en aurait-elle, pas frémi ? La plus éhontée des guinguettes aurait-elle pu tenir sous cette enseigne ? Tous les buveurs n'y regardent pas de si près ; il en est de philosophes, qui veulent des cabarets à la porte du cimetière et qui aiment à y prendre, le verre en main, l'air du bureau de l'autre monde. Mais il n'y a pas de fille, pas de femme qui choisisse, pour jeter son bonnet par-dessus les moulins de Montmartre, l'avenue dans laquelle les fournisseurs de pierres et d'ornements tumulaires exposent obstinément leur marchandise. Il est vrai que les Ramponneau de l'ancien régime avaient fait de meilleures affaires à la Courtille qu'aux Porcherons, petits ou grands, où ils n'étaient venus qu'après. La rue des Martyrs a vu naître et mourir des établissements, moins connus, mais rivaux de ceux des Ramponneau.

Les charmilles du Bœuf Rouge sont rappelées par un jardin, derrière le n° 12, construction moderne qui remplace une maisonnette : M. Hittorf, le savant architecte, chez lequel on arrive par la rue Lamartine, ici et là succède à son beau-père M. Lepère, également architecte, l'un des auteurs de la colonne Vendôme (M. Hittorff n'est plus, ni sa demeure, qui fait place, à la rue nouvelle Hippolyte Lebas, du côté de celle des Martyrs). Le Lion d'Argent était au n° 96. Riccoli a versé à boire et fait danser dans les salles rapetissées d'un restaurant, dit du Faisan Doré depuis 1843.

Autant d'établissements pareils s'échelonnaient aux Porcherons, où la bonne fortune souriait lestement au plus mince commis ; autant les crémeries se suivent de nos jours, dans les mêmes parages, et l'on y fait directement crédit aux danseuses qui brillent dans d'autres bals publics. Les gaietés de Paris ne se contentaient pas là d'un lieu de rendez-vous ; elles fondaient le quartier des Martyrs, bien avant l'annexe Bréda, où la moindre grisette s'est érigée en femme entretenue, avec entreteneur ou sans.

La foire Saint-Germain, la foire Saint-Laurent, la Courtille, la Rapée, le Vauxhall et le Colisée ont-ils jamais fait aux Porcherons une concurrence bien dangereuse ? Nulle part les plaisirs n'étaient pris toute l'année avec le même entrain, dans le siècle où l'on s'amusait le plus, le XVIIIe.

Notre brasserie de la rue des Martyrs, que fréquentent surtout des peintres et des gens de lettres, passe pour un refuge agréable, pour un abri contre le décorum, pour le cercle de la bohême, moins soucieux que tous les autres cercles, et l'esprit satirique y daube, en général, l'ancien régime ; mais cet eldorado de la jeunesse en belle humeur, en verve et en déshabillé, il eût paru infiniment moins gai quand florissaient les Porcherons : telle devait être la réunion des gens du guet, lorsqu'on venait de les rosser. La bière elle-même en ce temps-là moussait, en envoyant des bouchons au plafond, une excitation au cerveau ; maintenant c'est une eau dormante, plus ou moins jaune, une potion dont on se gorge, un lavement dont en abuse, et qui n'aspire qu'à descendre.

Il y avait aussi rue des Martyrs ce qu'on appelait alors des petites-maisons. Nous en reconnaissons deux toutes petites, au n° 77. Plusieurs autres formaient groupe entre les n°s 21 et 29, vaste propriété divisée par Mme Hélène vers 1830. Une de ces maisons pourvues de jardins a été habitée par le poète Béranger et son ami, le député Manuel, puis par M. de Lawoestine, avant que M. Gaillard, Jugé au tribunal de commerce, y substituât les remises de son hôtel.

Dans cette rue précisément le duc de la Trémoille, sous le règne de Louis XV, avait un pied-à-terre pour ses galanteries ; le 28 décembre 1162, il y donnait à souper à MM. de Froulay, d'Étampes, de Vieuville et de Valençay, ainsi qu'aux De Lozanges, Saint-Martin, Ledoux et Buart, figurantes à l'Opéra.

Au même corps de ballet appartenait la Dlle Marquise, à demeure rue des Martyrs deux ans auparavant. Elle avait déjà des relations avec le duc d'Orléans, père de Philippe Égalité, et elle mit au monde un garçon, qu'il fut question de légitimer. Les avis du conseil que le prince assembla à deux reprises, pour en délibérer, furent partagés : l'abbé de Breteuil, chancelier de sa maison, était favorable au projet ; mais le prince de Conti parlait contre avec énergie. Aussi bien le duc d'Orléans n'était pas sûr que l'enfant ne ressemblât pas au jeune marquis de Villeroi.

Mais au commencement du mois de mars suivant, il annonça à toute sa cour la seconde grossesse de sa maîtresse. Marquise fut surprise à Bagnolet, pendant l'été, par les douleurs de l'enfantement ; elle accoucha de deux enfants, différents par le sexe, mais tous deux assez délicats pour qu'on jugeât prudent, de les baptiser sur-le-champ, en l'absence du prince. M. le curé de Bagnolet demanda quel était le père au parrain et à la marraine, qui n'osèrent pas le nommer, et le baptême fut retardé. Quant aux deux enfants ils vécurent ; l’un est la souche d'une famille peu estimable, mais assez haut placée.

Que l'auréole d'un souvenir différent couronne la notice qui va finir ! Guillaume de Lamoignon-Malesherbes, ministre d'État, qui avait réuni auprès de lui un curieux cabinet d'histoire naturelle, a habité la rue dont il s'agit : ce courageux défenseur de Louis XVI a subi le même sort que le roi, peu de temps après. Son hôtel reste, dans une cité Malesherbes, qui ouvre sur la rue des Martyrs, et une maison qui vient après dépendait de la propriété.



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