Rues et places de Paris
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LES GALERIES DU PALAIS ROYAL
Ier arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861.

Précis historique des Transformations du Jardin, des Galeries, des Spectacles, des Restaurants et des Maisons de Jeu du Palais-Royal.

L'hôtel de Rambouillet, qui avait appartenu au connétable d'Armagnac, et l'hôtel de Mercœur furent démolis pour faire place au palais élevé par le cardinal de Richelieu, qui supprima également les murailles et les fossés de l'enceinte de Charles V traversant diagonalement l'emplacement du jardin du palais. Cet emplacement, qui relevait de trois seigneuries différentes, était du fief Popin, pour la plus grande partie ; du fief du chapitre Saint-Honoré, dit les Treize-Arpents, pour la plus petite, et dans la censive de l'archevêché, pour le reste.

Une borne fut plantée, un an avant la mort du cardinal, et en présence de son fondé de pouvoirs, pour marquer le point de contact des censives de Saint- Honoré et de l'archevêché : là se trouve braqué de nos jours le petit canon sur les bordées duquel se règlent tant de montres et tant d'horloges ! Toutefois le terrain garda d'abord des inégalités, dans ce jardin où il y avait un mail, et un manège, et deux bassins. Le testament du cardinal fit hommage au roi du palais, qu'Anne d'Autriche habita, puis la reine d'Angleterre, veuve de Charles Ier, et dont Louis XIV constitua la propriété en apanage à son frère, le duc d'Orléans.

Les académies de peinture et de sculpture y tinrent néanmoins leurs séances, mais dans le palais Brion, pavillon détaché du grand palais sur la rue Richelieu. Le régent fit ensuite du jardin du Palais-Royal, en y donnant plus facilement accès, la promenade de la bonne compagnie. Le fils du régent ordonna de le retracer entièrement ; alors des statues, des charmilles taillées en portiques, quatre allées d'ormes et des quinconces de tilleuls furent disposés autour des deux bassins et à l'ombre de quelques-uns des grands marronniers dont Richelieu avait planté l'allée.

La promenade n'était pas absolument publique, et pourtant le jardin des Princes, dont le Théâtre-Français occupe en partie la place, était le seul dont la maison princière réservât la jouissance à ses familiers. Les habitants de toutes les maisons qui formaient le pourtour du grand jardin, rue Richelieu, rue Neuve-des-Petits-Champs, rue Neuve-des-Bons-Enfants et rue des Bons-Enfants, avaient le droit de s'y promener jusqu'à une heure du matin ; mais les femmes en manteau de lit, ou autre déshabillé, et les hommes en veste, robe de chambre ou bonnet, n'avaient la permission de s'y montrer que dans la matinée, et encore sans s'y arrêter.

Les domestiques ne pouvaient traverser le jardin que jusqu'à une certaine heure, et s'y promener que le jour de la fête du roi, ainsi que le jour de la fête du prince. Le dimanche, l'affluence était considérable dans les allées de ce quadrilatère, deux fois plus étendu que de nos jours et disposé plus agréablement. Les belles soirées y attiraient surtout une foule élégante, à la sortie de l'Opéra, qui était situé près de la cour des Fontaines et fermait à dix heures. Les portiers des propriétés attenantes tiraient parti de leur clef de communication et ne recevaient pas d'autres gages, en général, que cette rétribution. Celui de la maison qui formait encoignure du côté de l'hôtel de Toulouse, maintenant la Banque, ouvrait aux heures indues, moyennant un écu, dans les premières années du règne de Louis XVI, et le portier du petit hôtel Radziwill apostait un commissionnaire, toute la nuit, pour introduire à son profit les couples, amis des ténèbres, qui se glissaient dans les bosquets.

Le lieutenant de police n'avait rien à y voir ; de son autorité ne relevait pas l'ancien inspecteur de police, chevalier de Saint-Louis, nommé Buot, chargé par le duc d'Orléans, avec un petit nombre de gardes sous ses ordres, de réprimer beaucoup trop d'infractions pour qu'il ne fermât pas les yeux sur quelques-unes.

En l'année 1780 la propriété du palais et de ses dépendances fut transmise à titre de donation par le duc d'Orléans à son fils Louis-Philippe-Joseph, duc de Chartres, qui avait formé le projet d'y élever aux dépens du jardin un entourage de portiques, surmontés de bâtiments divisés en appartements. Ce qui devait être une source de revenus en même temps qu'un embellissement. Car il ne faut pas oublier que les constructions environnantes n'étaient plus toutes d'un aspect fort décent, nous en pouvons encore juger. Comme celles-ci perdaient de leur valeur à être séparées du jardin, les propriétaires contestèrent au prince le droit de faire bâtir ; mais le parlement de Paris prononça contrairement à leurs prétentions.
Lesdits propriétaires se suivaient dans l'ordre suivant :

Le 17 juin 1781 furent signées les lettres patentes autorisant le duc de Chartres à aliéner 2,300 toises du jardin du Palais-Royal, à prendre dans son pourtour. Toutefois, sur les dessins de l'architecte Louis, auteur du théâtre de Bordeaux, étaient déjà commencés les travaux de la construction des galeries, dont Berthault fils avait l'entreprise générale, lorsque la salle de l'Opéra, déjà incendiée dix-huit années avant, brûla de nouveau le 8 juin 1781, après une représentation d'Orphée. Pour cette fois le Palais-Royal perdit tout à fait l'Opéra, qui fut rebâti près la porte Saint-Martin. En revanche, le prince jeta un peu plus tard les fondements d'une autre salle de spectacle sur une portion du jardin des Princes et de l'ancienne grande galerie, qui occupait un emplacement destiné par le cardinal de Richelieu à la construction d'un hôtel pour son petit-neveu. Ce théâtre ne fut ouvert que postérieurement encore, sous le nom de théâtre de la Nation.

Seulement Gaillard et d'Orfeuille, qui en furent les directeurs en vertu d'un bail arrêté d'avance, s'établissaient tout près de là, dans une salle provisoire en bois, dès le commencement de 1784, à la tête d'une troupe déjà très connue dans les foires, où l'avait protégé le lieutenant de police Lenoir, la troupe des Variétés amusantes. Divers genres étaient exploités ; mais ni la comédie à ariettes ni la tragédie ne se jouait audit théâtre des Variétés, où se créèrent les Jeannots et les Pointus, types comiques.

D'autres établissements ayant en vue l'amusement public, qui se groupèrent, au Palais-Royal après la construction des galeries, mais avant la Révolution, étaient ceux-ci :

– Le musée des Enfants, ouvert en octobre 1785, au-dessus d'un café et près des Variétés. Son directeur, qui avait nom Tessier, était probablement le même qui avait dirigé le théâtre des Elèves-de-l'Opéra, boulevard du Temple, de 1779 à 1784.

– Le spectacle des Pygmées-Français, qui dut faire concurrence au musée des Enfants et qui avoisinait le passage des Trois-Pavillons.

– Le cabinet de Curtius, peintre et sculpteur, qui ne dédaignait pas de fabriquer des figures de cire qu'on montrait pour 2 sols, proche le café Corazza,

– Le spectacle des Fantoccini, où l'Italien Castagna donnait deux représentations par jour. Les spectateurs y payaient 1 livre 16 sols dans les loges.

– Les Ombres-Chinoises, tenues par Séraphin. Ce spectacle mécanique, auquel on assistait moyennant 12 ou 24 sols, était recommandé à cause de sa moralité aux enfants, aux demoiselles et aux abbés par le crieur chargé d'annoncer aux passants chaque représentation, devant les n°s 119, 120 et 121 actuels.

– Le Concert-des-Aviateurs, salle construite en 1783 à-peu-près à l'extrémité de l'aile gauche des galeries. Les séances musicales de cette salle faisaient suite à de brillants concerts qui, pendant douze années, avaient presque rivalisé avec le Concert-Spirituel des Tuileries.

– Le théâtre Beaujolais, fondé dans le même temps et au bout de la même galerie. Le duc de Chartres en confia l'entreprise à Gardeur-Lebrun, après une série de représentations données à un public d'élite et auxquelles succédaient tout bonnement les exercices des petits comédiens ordinaires du comte de Beaujolais, le plus jeune des fils du prince. Ces petits comédiens étaient de grandes marionnettes, auxquelles se substituèrent des acteurs vivants, qui chantaient ; malheureusement l'Opéra s'en émut, le théâtre Beaujolais fut rappelé à l'ordre et ne mit plus en scène que des enfants, marionnettes sans ficelles, pour lesquelles on recommença à parler et à chanter dans la coulisse.

– Enfin le Cirque, construction à demi souterraine, dominée par une terrasse et présentant à l'intérieur une arène destinée à des exercices équestres, mais où l'on joua la comédie, où l'on donna des bals et de grands repas : cet amphithéâtre en sous-sol était pris à bail par Rose de Saint-Pierre, restaurateur. Pourtant le prince destinait originairement le Cirque à des fêtes et à des exercices particuliers à sa maison, comme l'annonçait une lettre élogieuse de Dulaure, publiée en 1787.

Un ou deux établissements de bains avaient été créés également par le prince ; on y prenait des bains dépilatoires et des douches. Il y avait jusqu'à une hôtellerie, dite l'hôtel des Bains-de-Son-Altesse-Sérénissime, faisant à-peu-près face au café Corazza. Sur plusieurs points des clubs s'étaient formés ; on appelait ainsi tous les cercles à cette époque, mais surtout un, dans le Palais-Royal, un qui ne portait pas d'autre nom et dans lequel on ne jouait pas. Le Salon-des-Arts s'était ouvert en novembre 1784 au-dessus du café du Caveau, et une assemblée Militaire, composée d'officiers supérieurs, près du Salon-des-Arts.

La société Olympique, dont tous les membres devaient être affiliés à quelque loge maçonnique, se trouvait encore plus voisine de la société des Colons, exclusivement composée d'Américains possesseurs de biens aux Antilles, et il y avait en outre à l'étage supérieur une loge maçonnique : le tout entre l'hôtel des Bains et les galeries de Bois. Le Salon-des-Échecs, installé au-dessus du café de Foy, était l'académie des joueurs d'échecs ; tout autre jeu était prohibé dans ce cercle ; un membre nouveau n'y pouvait être admis qu'à l'unanimité des voix.

Le café de Foy avait été fondé par un ancien officier de ce nom en 1749, dans une maison de la rue Richelieu répondant de nos jours au n° 46, et dont l'escalier donnant sur le jardin d'alors existe encore à l'état de passage entre cette rue et la rue Beaujolais. Jousserand fut successeur, de Foy ; sa femme obtint du duc d'Orléans, vers 1774, l'autorisation de vendre des glaces dans le jardin, sans y dresser de tables : la limonade et les glaces du café étaient servies sur des plateaux, qu'on plaçait seulement sur des chaises.

A la formation des galeries, Jousserand se rendit locataire des arcades situées en regard de son ancien café, qui n'eut qu'à traverser la nouvelle rue, et à cette location vint s'ajouter celle de quatre pavillons dans le jardin. A l'étage supérieur se donnaient des concerts, qui ne commençaient pas avant minuit, crainte de dérangerles parties engagées au Salon-des-Échecs.

Aussi bien le Palais-Royal n'était-il pas le lieu du monde où l'on faisait alors le plus de musique ? Autant de cercles, autant de salles, de concerts. Le baron de Pudinée, résidant à l'entrée de la galerie Montpensier, recevait les chanteurs et chanteuses en vogue, qu'il accompagnait au clavecin. Parfois un duo conjugal enchantait la même, galerie, où Chéron, basse-taille, et Mlle Chéron habitaient celle des arcades du Palais qui répondait au n° 29. Or Chéron ne quitta le théâtre qu'en 1808 ; mais sa femme, née Dozon, qui avait débuté à l'Opéra dans l'emploi de Mlle Saint-Huberti, malgré ce chef d'emploi, émigra au bras de son amant, un gentilhomme.

Les gluckistes et les piccinistes se donnaient rendez-vous au café du Caveau, et le soir, après le spectacle, quand on avait fermé les volets derrière lesquels ces habitués s'échauffaient clans la querelle d'école à école, il ne fallait rien moins, pour les mettre un instant d'accord, qu'une romance que leur chantait Garat. Les célèbres Rameau, Boucher, Piron, Collé, Duclos, Fuzelier et Crébillon fils, avaient été au nombre des fondateurs de la société du Caveau, qui se réunissait chez Dubuisson, et l'établissement de ce dernier n'avait lui-même qu'à peine changé de place en s'avançant sous les arcades. A Dubuisson succéda Cuisinier, dont la femme, veuve en premières noces d'un médecin, ouvrit fructueusement au café du Caveau une souscription pour les pauvres, à l'occasion des rigueurs excessives de l'hiver de 1788.

Comme remontant à cette époque, citons encore : le restaurant Véry, le café de Chartres, le café de Valois et l'établissement que Beauvilliers, ancien chef de cuisine du prince de Condé, ouvrit primitivement vers le milieu de la galerie de Valois. Dans une loge de francs-maçons, au-dessus du café de Valois, se carrait une salle à manger de 60 à 80 couverts. L'origine du magasin de comestibles de Corcellet, autre célébrité gastronomique, n'est qu'à peine postérieure à la construction des arcades, et il en est de même pour celui de Chevet, qui s'établit dans les galeries de Bois. Ces galeries, au nombre de deux, avaient été élevées à peu de frais, en attendant la construction projetée d'une quatrième galerie. On les avait garnies d'échoppes en planches, sous-louées principalement à des libraires et à des marchandes de modes par Romain et Cie, qui en étaient fermiers.

Une sorte d'almanach de 1787 énumérait ainsi les arcades où l'industrie avait un caractère particulier à signaler :

Aussi bien l'exercice de toutes les professions n'était pas toléré sous l'ancien régime au Palais-Royal, et les vidangeurs, par exemple, n'en étaient pas moins exclus que les femmes galantes par état, qualifiées alors filles du monde. Un marchand et un artisan dépourvus de maîtrise s'y fussent mis à l'abri de poursuites, qu'aurait rendues impossibles leur séjour dans l'enclos de la résidence d'un prince du sang ; le règlement empêchait donc de les admettre à titre de locataires dans le pourtour privilégié.

Ce règlement, arrêté par le prince le 15 septembre 1782, confiait la police générale du palais et de ses dépendances à Gardeur-Lebrun le jeune, en portant au nombre de huit les gardes placés sous les ordres du nouvel inspecteur. Que si cette police, particulière n'avait pas été bientôt rattachée à la police générale par les rapports hebdomadaires de Ronesse, le successeur où le collègue de Gardeur-Lebrun, son action n'eût pas été grande. Mais nous trouvons la preuve d'un rapprochement amiable à cet égard dans une lettre écrite le 20 avril 1784 par le lieutenant de police à l'abbé Beaudeau, et que voici :

« Je ne puis que vous remercier, Monsieur, de la nouvelle assurance que vous voulez bien me donner des intentions de Monseigneur le Duc de Chartres. L'ordre du Prince pour maintenir dans les maisons de son palais le même ordre qui s'observe dans presque tout le surplus de la ville retiendra quelques locataires qui voulaient abuser de la faculté du privilège. J'accepte bien volontiers le parti que vous me proposez d'entendre toutes les semaines. M. Ronesse. J'en suis convenu avec lui, et vous me trouverez continuellement disposé à concilier tous les égards respectueux dus à Son Altesse Sérénissime avec l'exercice d'une police qui, pour être bien faite, doit suivre les règles de l'unité.

J'ai l’honneur d'être, avec autant d'estime que d'attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, LENOIR. »

La surveillance de l'inspecteur était facilitée le soir, dans les galeries, par le plus brillant éclairage dont on se fit l'idée en ce temps-là. Houdouin avait soumissionné l'illumination, à raison de 50 livres par an pour l'entretien de chaque réverbère allumé six heures par jour, et il y avait autant de réverbères que d'arcades, c'est-à-dire 180. S

Si les galeries du Palais-Royal avaient été tout de suite le réfectoire des gourmets et un bazar, une foire perpétuelle et une ruche de bureaux d'esprit, réunis au centre de Paris, elles firent un peu plus de façons pour s'en montrer le lupanar et le brelan. Les filles du monde y fréquentaient, dès le commencement, les promenades couvertes et découvertes ; mais leurs repaires ne formaient pas encore, sans solution de continuité, le couronnement des pilastres corinthiens séparant, les arcades. Avant de permettre qu'elles y fussent à demeure sous toutes les mansardes, il fallait bien souffrir, dans un lieu public, leur passage.

Le soir, ces chauves-souris de l'amour avaient déjà l'air d'être chez elles dans le jardin et les galeries ; mais leurs ailes membraneuses de mammifères carnassiers ne faisaient qu'y raser le sol, et il leur était interdit d'accrocher aux murailles, comme les hirondelles, leurs nids, qui promettaient trop souvent la couvée pour que tout n'y fût pas de leur part imposture. Il leur fallait pour s'élever, en passant, au-dessus du rez-de-chaussée, un galant qui ne craignît pas de leur donner le bras, dans l'escalier d'un hôtel, où cette contrebande ne passait que moyennant le péage d'un demi-louis par heure.

Il y avait même une galerie dans laquelle on faisait payer le même genre d'hospitalité deux fois plus cher au parti de l'opposition, dans une ou deux maisons qui restaient fermées au beau sexe. Proh ! pudor. Plusieurs permissions de jeu, accordées antérieurement par M. de Sartines à des femmes, qui restaient soumises au contrôle de la police, avaient bien été renouvelées ; mais on maintenait leurs tripots autant que possible dans l'ancien pourtour du jardin. On jouait chez le Comte de Thiard, écuyer du duc d'Orléans, et un autre tapis vert s'arrosait d'or au Palais même ; mais les ambassades étrangères, usant du même privilège que les maisons princières, donnaient pareillement à jouer sans permission.

Le Palais-Royal fut aussi le premier point de repère des agitations révolutionnaires. Camille Desmoulins y mérita, par ses discours, le surnom de premier apôtre de la liberté, et la prise de la Bastille fut décidée d'abord au café de Foy. Plus de clubs encore y avaient pris naissance que nous n'en avons cités ; toutes ces sociétés venaient d'être dissoutes par ordonnance, en 1789 N'y en avait-il pas assez pour jeter les industriels des galeries, en général, dans le parti du mouvement quand même ?

Le prince que la mort de son père avait fait, à son tour, duc d'Orléans était dès lors au nombre des malcontents et n'attendait pas pour se mettre ouvertement de leur parti qu'ils fussent victorieux ; il allait se faire peuple sous le nom d'Egalité, en démocratisant par l'application du même titre un palais que spontanément il avait fait bourgeois, dix ans plus tôt.

Au Cirque eurent lieu les premières réunions des Amis-de-la-Constitution, et Bonneville y fonda le Club-Social, dont l'orateur principal fut Fauchet. Par malheur les conquêtes de la liberté n'arrêtaient pas celles de la licence, qui installait partout des filles de joie, voire même au Cirque, avec un jeu de passe-dix. Artaud, censeur royal, écrivait contre le pouvoir des libelles sans signature ; qu'il dénonçait lui-même une fois lancés : il réunissait pour dîner des beaux esprits, tels que Chamfort, qui était son voisin, l'abbé Delille et Rivarol, dans un ancien salon du cercle des Échecs, ou au-dessus, puis il donnait à jouer à de plus riches invités, dans ses réunions du soir.

Au Perron et aux alentours on se contentait d'agioter, en plein jour. C'était la Bourse. Il parait que les coulissiers de l'époque n'avaient pas l'élégance de ceux qui, de nos jours, perdraient tous leurs clients s'ils n'avaient pas au moins l'air d'être riches. Mercier, dans son Nouveau Paris, parlait des agioteurs du Palais-Royal en ces termes : « Leur costume est assez uniforme : c'est q’un bonnet à poil à queue de renard….. Ils sont en veste, ont des bottes sales, des cheveux gras….. Ils se tiennent près, des tavernes, leurs repaires, à la porte des théâtres. »

Le directeur du théâtre Beaujolais, ayant fait de mauvaises affaires, passa avec sa troupe au boulevard du Temple, dans l'ancienne salle de Tessier, qu'il appela le théâtre des Variétés-Amusantes, et il n'y réussit pas mieux. Mlle Marguerite Briant de Montansier, directrice des spectacles de Versailles, de Saint-CIoud et de Fontainebleau, fit agrandir la salle Beaujolais, et, l'ouverture du théâtre de la Montansier y eut lieu, le 12 avril 1790. Il s'y donna des opéras-comiques, des comédies, des tragédies, et parmi les acteurs qui débutèrent sur cette scène, auparavant qu'elle s'appelât théâtre du Péristyle-du-Jardin-Égalité, furent : Baptiste Cadet, que signala surtout la création du Désespoir de Jocrisse, Damas, Mlle Sainval et jusqu'à Mlle Mars. La directrice de ce spectacle avait épousé l'acteur Bourdon-Neuville ; elle habitait le second étage au-dessus du de Chartres, et cet appartement qu'elle conserva jusqu’à la fin de sa longue vie, agitée constamment par les intrigues, les dettes, les procès ou les persécutions, communiquait par un couloir avec son théâtre.

Le foyer en fut pendant dix ans l’un des refuges de la gaieté française et de I'esprit de conversation ; mais le salon particulier de Mlle Montansier acquit de son côté, dès les premières années de la Révolution, une importance historique. M. Girault de Saint-Fargeau en parle comme du véritable pandémonium de l’époque. On y a vu rassemblés, dit-il, dans une même soirée Dugazon et Barras, le père Duchêne et le duc de Lauzun, Robespierre et Mlle Maillard, Saint-Georges et Danton, Martainville et le marquis de Chauvelin, Lays et Marat, Volange et le duc d'Orléans.

Toutes les combinaisons de l'intrigue ont trouvé place dans ce salon, depuis les intrigues amoureuses jusqu'aux intrigues politiques ; on y donnait la même importance à une nuit de plaisirs qu'à une journée de parti ; on s'y occupait aussi sérieusement des succès de la petite Mars que des événements du 34 mai ; la belle Mlle Lillier faisait autant d'impression que les discours de Vergniaud. Au bout du même canapé de damas bleu ciel, usé, fané et déchiré sur lequel la Montansier arrangeait son spectacle de la semaine avec Verteuil, son régisseur, le comédien Grammont organisait, à l'autre bout, avec Hébert, l'émeute du lendemain aux Cordeliers. Dans un coin du salon, Desforges perdait contre Saint-Georges à l'impériale, l'argent qu'il empruntait à la Montansier sur ses droits d'auteur de la pièce en répétition. Une bruyante table de quinze rassemblait joyeusement après le spectacle les actrices du théâtre, qui délassaient par leurs saillies de coulisses tous les coryphées de la Convention.

Mlle Montansier et son mari avaient acheté la salle de spectacle et la maison où ils demeuraient, le Ier octobre 1790. La presque totalité des trois, galeries avait été aliénée dès la même année. La plupart des industriels y occupant de grands locaux avaient été poussés à se rendre acquéreurs par la crainte que leurs arcades ne tombassent entre les mains d'un acquéreur peu disposé à consentir un bail aux mêmes conditions qu'avant : les premiers locataires n'avaient eu à payer par an et par arcade, y compris les étages supérieurs, que 1, 200 livres. Nous allons donner un tableau des propriétaires des arcades en 1791 et, rappeler leur prix d'acquisition, en suivant le même ordre que les numéros d'à présent :

Les deux tiers des nouveaux acquéreurs se trouvaient encore redevables en 1791, d'une portion du prix d'acquisition, et quelques-uns de ces débiteurs étaient même en arrière pour le service des intérêts. A la charge des propriétaires incombait leur quote-part dans les frais d'illumination et environ 12 francs par arcade de redevance annuelle pour le cens.

 


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