Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE BOUTEBRIE
Vème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. La rue Boutebrie venait de perdre un quadrille d'immeubles aux angles de la rue du Foin, que remplace pour elle un tronçon du boulevard Saint-Germain. Les maisons qui survivent du côté des numéros pairs sont plus que séculaires. Mais l'élargissement de la rue fait des impairs les étiquettes d'un étalage neuf, principalement composé des façades d'une maison de secours et d'une école de filles au service du Ve arrondissement.

Que de rois et reines, déchus, captifs, exilés ou décapités, ont eu l'honneur de laisser derrière eux, glorieuse exception à coup sûr, des courtisans de leur malheur ! La flatterie, en général, ne survit pas à la fortune des grands ; toute fidélité posthume prend, en revanche, la proportion d'un culte. Les rues martyres, quand bien même un palais, en les prenant pour avenue, eût rendu leur chaussée auguste, n'ont vraiment pas pas à espérer cette suprême consolation des rois. La même décollation met un terme à leur vie et à leur majesté. Une rue royale peut devenir un marché sans que, personne se récrie ; une fois qu'elle a disparu, l'un regrette encore sa vieille maison qui n'est plus, l'autre en secret pleure sa défunte chambre, un troisième se rappelle avec attendrissement le bail de sa boutique humide ; mais de la voie publique, quand bien même le char triomphal de César l'eût inaugurée, plus un mot. Dire que les grands se plaignent si fort d'être oubliés après leur vie ! Si les rues supprimées parlaient, elles auraient bien, je crois, d'autres griefs contre les nouveaux boulevards, où leur ancienne place n'est pas même indiquée par un ormeau ou par une borne.

La rue Boutebrie, quant à elle, n'était pas condamnée à mort ; seulement on a fait choir sa couronne dans le macadam, en plein boulevard Saint-Germain. Le chef branlant de ladite rue, née dès le XIIIe siècle, portait tout dernièrement encore, comme un diadème, la maison de la reine Blanche. C'était l'ancien hôtel d'Henri de Marie ; une reine l'avait habité, peut-être même la mère de saint Louis. Tant de pignons et de tourelles, il est vrai, ont passé pour ancien séjour de la reine Blanche, qu'on a été heureux de découvrir la probabilité de quelque équivoque historique. Toutes les reines, une fois veuves, étaient ainsi nommées dans le principe, parce qu'elles portaient le deuil en blanc. Aime de Bretagne fut la première à le porter en noir, quand elle perdit Charles VIII.

En face de l'ancien séjour de la reine se trouvait naguère une caserne ; on avait du moins affecté à cet usage, en l'an XIII de la République, les bâtiments du ci-devant collège de Maître-Gervais. Ce nid, où des boursiers étaient cléricalement couvés pour éclore prêtres et pédagogues, avait été formé en 1370 de cinq brins de maisons, dont trois rue Boutebrie et les deux autres rue du Foin-Saint-Jacques, où donnait la maîtresse-porte de l'institution. La fondation de ce collège sans exercice était due à Gervais Chrétien, chanoine de Paris, et ladite pédagogie, quelle que fût sa modestie, jouissait de droits seigneuriaux : une maison de la rue Mondétour, entre les rues de la Chanvrerie et du Cygne, était dans la censive du collège de Maître-Gervais, laquelle y faisait face à celle du franc-fief de Joigny.

Cet établissement n'avait pas lieu de se croire aussi vieux que la rue, qui était partiellement construite dès l'anée 1250 et qui ne se raccourut, en somme, que bien longtemps après sa première dénomination. Boutebrie est une contraction d'Erembourg-de-Brie. Au XVIesiècle on a essayé de dire : rue des Enlumineurs. Cette qualification n'a sans doute eu que la durée d'un bail passé à ce corps de métier, pour son bureau, ou a des maîtres en vue. Bien des industries, il est vrai, se disputaient alors ce quartier, d'autant plus vivant qu'il s'y trouvait la grande Poste.

Le collège Louis-le-Grand était propriétaire, dans la rue Boutebrie, de quatre maisons se faisant suite : la maison du sieur Genoux y attenait, sous la Régence, au Nord, et la rue du Foin au Midi. De l'autre côté, le même collège en avait une plus méridionale que celles de M. de Silvy et de M. Lizardu-Cormier, qui la suivaient. L'huile de la Ville alimentait alors 4 lanternes dans cette rue, sur laquelle 19 toits épanchaient l'eau du ciel.

M. Rousseau, que la pluie y surprit au fort des recherches à faire de porte en porte qui sont souvent sa part de collaborationà notre livre, ne se plaignait pas ce jour-là des plombs modernes : ils remplacent bourgeoisement, pour les maisons particulières, les gargouilles élevées qui lancent encore, du haut des palais, des trombes d'eau crevant les parapluies. Mais il est rare que la pluie tombe en ligne perpendiculaire, ce qui donne un grand avantage, pour les piétons, aux rues étroites sur les larges boulevards. Une averse, quand le vent se met de la partie, ménage, soit à gauche, soit à droite, la moitié de la rue Boutebrie. Pour n'en pas recevoir une goutte, le prudent M. Rousseau nonseulement choisit son côté, mais encore y reste sous une porte où un 7, nombre de la pléiade, n'est visible que du côté où il pleut le plus fort.

L'abrité en reçoit pourtant comme une éclaboussure en plein visage ; il y porte la main, qui en est aussi arrosée : un mince filet d'eau, mais à jet continu, le poursuit horizontalement dans ses retranchements. Comment ne pas croire qu'un gamin, adroitement caché, braque d'en face un petit modèle de l'arme des apothicaires ? Mais, en proférant de vaines menaces, l'innocente victime s'aperçoit qu'un tuyau engorgé, où l'eau se fait jour, est l'unique mystificateur. Pour passer sa mauvaise humeur et se sécher, M. Rousseau de rentrer dans le rôle d'éclaireur historiographique, auquel il a fait diversion par envie de guetter au passage maints bas blancs qui se décollettent ; pour préserver maintes jupes de mouches de crotte ne demandant elles-mêmes qu'à monter.

On lui indique la chambre qu'habite au troisième étage un vieillard, ayant accoutumé de représenter en tout un propriétaire invisible. Les diverses questions d'usage sur l'âge et l'origine de la propriété sont adressées poliment à cet homme, dont le visage exprime la méfiance, et l'intérieur une vraie médiocrité, que ne dore pas la moindre poésie ; mais, avant d'y répondre, celui-ci veut savoir dans quel intérêt on les pose. Force est donc à notre envoyé de refaire, pour la millième fois, le prospectus de la publication ; cependant, au lieu d'étudier, sur la rustique figure de l'interlocuteur ; l'effet que produit son discours, il copie sans en avoir l'air, sur son carnet, des noms, dates et inscriptions, que la décrépitude du badigeon rend déchiffrables, sur un mur sans papier :

Simon, Claude et Marie Mahu, enlumineurs, 1572. – Germain, illuminé. – Sylvain aime Gloriette à toujours. – Pamiendo, né à Lisbonne le 26 mai 1630. - Oratio, jejunium, senectus, oes tripler. – Loyson, commis aux aides. - Naissance de Régulus Thomas le 2 prairial an III et de Phocion-Decius Thomas le 14 frimaire an V: signé le citoyen Thomas, employé chez le citoyen Saugrain aux réverbères. - Mort à Bailly ! vive Robespierre a vive Cavaignac ! - Gagné un Terne le 10 janvier 1821. – Jean Pruneau ; 2me de médecine. - Atala. - Adèle Crujot. - Clara Fontaine. - Vive la Charte ! Boquilloa et Souton, élèves en pharmacie. – Jules Clopin, homme de lettres. – Indiana Soufflard, coloriste. – A bas Cavaignac ! Vive Barbès !

– Monsieur, finit par dire le vieillard au propagateur mal compris, je ne lis pas dans ces livres-là ; si mon fils n'était pas huissier à Beaugency, il donnerait son avis là-dessus ; mais moi !... J'étais encore fruitier rue de Rohan, il y a cinq ans ; par malheur mon bail allait finir, je n'ai presque pas eu d'indemnité.

– Alors, lui dit M. Rousseau ; il était superflu, mon brave, de me faire d'autres objections. Heureusement la muraille, parlait, j'ai écouté. Votre maison, qu'on a replâtrée il y a un ou deux siècles, est du temps de Charles IX.

– Diable soit des démolisseurs ! reprend le vieillard, qui croit enfin deviner de quoi il retourne. – Bonhomme, rassurez-vous. Au lieu d'abattre, je compte ce qu'on nous a encore fait la grâce d'épargner.

– Oh ! que nenni, continue l'autre. Sans les démolitions, Monsieur, savez-vous que j'aurais mené une vie très-heureuse ? J'ai eu deux avantages qui manquent à bien d'autres, une femme très sage et un fils homme d'esprit.

– L'un de vos deux bonheurs, Monsieur, semble en effet très peu compatible avec l'autre. Mais la pluie a cessé mes renseignements sont pris je vous offre mes salutations.


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