Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE BOUCHER
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875)

Notice écrite en 1858. La rue Boucher prenait alors sa source dans la rue de la Monnaie : on en a démoli les cinq ou six premières maisons lors de l'ouverture de la nouvelle rue du Pont-Neuf. Un décret du 24 février 1882 a supprimé une partie de la voie qui était comprise entre les rues de la Monnaie et du pont Neuf. Origine du nom : Boucher, échevin de 1773 à 1778.

Lorsque les échevins de Paris cédèrent au roi l'hôtel de Conti, pour y établir le nouvel hôtel des Monnaies, Sa Majesté leur donna en échange l'ancienne Monnaie avec ses dépendances, dont il ne reste plus de vestige dans la rue Boucher, ouverte en 1776 sur l'emplacement de cette usine royale.

Pierre-Richard Boucher, écuyer, conseiller du roi et de la Ville, était échevin depuis plusieurs années quand cet échange fut consenti, c'est-à-dire sous la prévôté de Jean-Baptiste-François de la Michodière, et il tint sur les fonts la rue nouvellement née. Tout Paris le prenait pour le moins étourdi des bourgeois parvenus aux honneurs de l'édilité, et pour le type de l'homme d'ordre.

Ayant perdu toutefois partie de sa fortune dans les affaires de la Compagnie des Indes, il faillit compromettre le reste, bien qu'il fit difficile de le placer plus loin. Par bonheur il avait une sœur, Dlle Madeleine Boucher, bourgeoise que l'échevinage n'avait pas anoblie, mais qui, restée marchande en ce qu'elle continuait à tenir parfaitement les livres, trouvait folles toutes les entreprises plus aléatoires que le commerce.

Boucher avait secrètement imaginé un dangereux moyen de combler son déficit, en jouant gros jeu, sans payer de sa personne, sur le tapis vert des ambassadeurs d'Angleterre et de Venise ; il s'était abouché avec un chevalier de Puisaye, expert au biribi, qui jouait pour lui, pendant qu'il soupait tranquillement avec Madeleine, ou chez un de ses collègues. Le pilier de brelans, fondé de pouvoir de l'échevin, démentait rue Boucher, dans une maison, pourvue d'arcades, qui porte actuellement le n° 2, et c'était encore, chose rare pour un chevalier de lansquenet, c'était un assez honnête homme.

Tant mieux pour la fortune, car elle ne se départ ordinairement de ses rigueurs qu'en faveur des fripons ! M. de Puisaye accusait chaque matin, au désespoir de son commanditaire, des pertes qu n'étaient que trop réelles, et le soir où la banque, faute de nouvel enjeu, fit charlemagne, le chevalier arriva si pâle et si chagrin, chez le décavé, et à une heure si indue, que le dernier bulletin de la campagne n'eut pas besoin d'être autrement donné.

Mlle Madeleine, bien que minuit eût sonné, n'était pas même coiffée de nuit ; elle se présenta à l'improviste dans la pièce ou M. Boucher embrassait, avec une solennelle froideur, le visiteur, qui venait de lui dire sur le ton d'un trappiste : – Mon frère, il faut mourir ! – Au contraire, dit Madeleine en remettant à l'un la somme entière que l'autre avait laissée sur le tapis. Mais il ne faudrait pas recommencer, mon frère. Ton homme de confiance m'ayant prévenu à temps de la commission que tu lui donnais, je n'ai pas consenti sans peine à te laisser faire une sottise, qui est sans excuse à ton âge ; mais j'ai aposté, sans rien dire nos amis pour jouer en sens inverse le même jeu absolument que monsieur, et de cette façon-là, chaque fois que tu perdais . dix louis, j'en gagnais dix.

Le bonhomme qui a su profiter de cette leçon n'était pas de la même famille que Charles Boucher, seigneur d'Orsay, conseiller d'État et prévot des marchands de 1700 à 1707.

Au reste, nul ne sait bien à quelle époque remonte l'établissement de la Monnaie sur le sol de la rue Boucher et des voies publiques attenantes. Le géographe Jaillot, dans ses Recherches critiques sur Paris, écrivait, en l'année 1776, qu'il avait vu antérieurement les bâtiments de cet hôtel, et que leur architecture se rapportait au règne de saint Louis ou de Philippe-le-Hardi. Louis XIII avait fait battre l'or, l'argent et le cuivre au Louvre momentanément, et il avait disposé, en 1619, du jardin annelé à la Monnaie en faveur du sieur Cottignon, qui s'y était bâti une maison.

Néanmoins, sous les règnes suivants, on en était revenu à battre monnaie près de la rue qui porte encore ce nom : un passage public, fermé seulement la nuit, traversait l'hôtel, sous Louis XV, et conduisait à la rue Thibautodé (commencement actuel de la rue des Bourdonnais).

La plupart des maisons de la rue sont à arcades et datent d'avant la fin de l'autre siècle ; on juge, d'après leur stature et les dispositions prises dans l'intérieur, que leurs premiers propriétaires n'avaient eu en vue que le rapport. Celle du n° 1, dont le beau balcon fait retour sur la rue de la Monnaie, appartient à M. Orsel, comme le 3 et l'oncle de M. Orsel a fait élever ladite maison, qui a peu de profondeur, mais beaucoup de façade.

La famille de Mme Mallat a acquis le n° 4 de M. Ducret, architecte, qui l'avait fait bâtir en belles pierres de taille pour lui-même, et l'on sait que les architectes, en pareil cas, sont consciencieux. A peu près à la date de l'ouverture de la rue remonte également le 8 ; item le 5, que tient Mme de Bitte des héritiers du général Dupont.

La Ville avait depuis trois années à sa disposition la plus grande partie du territoire de cette rue, quand M. Charles-Simon Trudon s'en était arrangé en 1776. L'acquéreur s'était associé avec M. Antoine-Jean Meslin, pour édifier le 12 et une autre maison de la rue Boucher ; Meslin a cédé le premier de ces immeubles, en 1812, à M. Petibeau, médecin.

Une seule maison, avec cour donnant sur la rue, paraît avoir été dans le principe un hôtel ; nous devons supposer que l'échevin Boucher l'a habitée avec sa soeur. Le 24 floréal an VIII, M. Roëls l'achetait du sieur Éloy Coulon et de Mme Saunier, sa femme ; Mlle Roëls la laissait, en 1823, à trois tantes, ses seules héritières, et deux de ces dames, nées Aubertot, avaient pour maris MM. Cheuvreux et Bourruet.

Il semble bien qu'à tous les titres ces deux beaux-frères, MM. Cheuvreux et Bouruet, étaient prédestinés de naissance à l'association qui a greffé leur nom sur celui d'Aubertot, non seulement par le mariage, mais encore en raison de commerce : ces notables marchands de nouveautés avaient reçu en naissant les mêmes prénoms, l'un François-Casimir, et l'autre Casimir-François. Leur hôtel a porté autrefois le n° 9. Aujourd'hui c'est le n° 6, et, sous le dernier règne, un avoué, ainsi qu'un banquier, qui avait nom Martin-Didier, y donnaient leur adresse.

Un jugement d'expropriation, en 1855, a fait passer ledit immeuble des mains de M. Demis entre celles de la Ville, qui y a établi, à titre provisoire, la mairie du IV arrondissement. Le nouvel édifice de la place du Louvre ne tardera pas à recevoir les bureaux de cette mairie, et la porte de l'hôtel de la rue Boucher échangera aussitôt son drapeau tricolore contre des écriteaux de location.


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