Monuments, édifices de Paris
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HÔTEL DE SALM
Palais et musée de la Légion d'honneur
(D'après Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)


Hôtel de Salm, rue de Lille.
Gravé par Née pour le « Voyage pittoresque de la France », Paris, chez Lamy, 1781-1796

L'hôtel de Salm fut édifié entre 1782 et 1787 par l'architecte Pierre Rousseau pour un prince allemand, le prince Frédéric III de Salm-Kyrbourg. Classé bien national sous la Révolution, il devint, le 13 mai 1804, le siège de la Légion d'honneur. Incendié sous la Commune en 1871, il fut reconstruit grâce à une souscription lancée parmi les légionnaires et les médaillés militaires.

C'est une Altesse allemande, Frédéric IIII, rhingrave de Salm-Kyrbourg, qui fit bâtir, peu de temps avant la Révolution, l'hôtel tout à la fois élégant et prétentieux, qui devint palais en quand la grande chancellerie de la Légion d'honneur y fut installée, et dont vous voyez d'ici la porte en arc triomphal, toute grande ouverte sur la rue de Lille, et la jolie terrasse égayant le quai d'Orsay, aux abords du pont de Solférino.

Ce principicule de Salm avait tous les goûts et se permettait toutes les folies. S'ennuyant dans ses États, dont une heure de galop de ses équipages lui faisait atteindre l'extrême frontière, il était venu les manger à Paris. « Le Salm est ici, cherchant à tout vendre et à piaffer, écrivait la marquise de Créqui en août 1786, à Senac de Meilhan ; le baron de Breteuil soutient qu'il n'en a pas pour deux ans, et que l'hôpital sera sa fin », ( Lettres inédites de la marquise de Créqui, p. 59-61).

L'hôpital ! le dénouement était cruel, Mais probable toutefois ; en attendant, M. de Salm voulut se donner un bel hôtel, et il fit bâtir celui dont je vous parle ici. C'était une dernière fantaisie, une dernière vanité, que notre rhingrave se passait, moins pour le plaisir d'habiter le nouveau palais que pour celui de le construire, car il savait bien qu'a-vant qu'il fût achevé il ne lui resterait guère que la ressource de le vendre.

Il avait d'ailleurs la prétention d'être un peu artiste, et il voulait le prouver. C'est l'architecte Rousseau, dit Lagrand, qui dirigeait les travaux ; mais si vous consultiez le secrétaire du prince ou ses valets, ils vous disaient en confidence que Rousseau n'avait rien fait que d'après les dessins de Son Altesse (Ed. et J. de Goncourt, Hist. de la société franç. rendant le Directoire, Paris, F. Dentu, in-8 p. 21). Le concierge de l'hôtel l'assurait encore longtemps après que le pauvre rhingrave n'était plus là ni ailleurs, ce qui donnerait à croire que c'était un peu vrai. M. de Salm, pour couvrir cette dépense, n'avait guère à compter sur ses États. Il les avait déjà dévorés deux fois pour le moins. Cette pauvre petite principauté, dont l'armée, lisait-on dans la Petite histoire de France, pamphlet du temps, ne s'élevait pas à la moitié du quart de deux mille mâles, ne pouvait plus même être hypothéquée.

Comment faire ? Le rhingrave se souvint qu'il possédait trois ou quatre villages perdus dans un ravin des Vosges. Il les fit mettre aux enchères, et les sommes qu'il reçut s'allèrent engloutir dans la bâtisse du quai d'Orsay : Son dernier louis servit polir la dorure de quelque feston dans cette vaniteuse bonbonnière. Il n'eut guère que le temps d'y pendre la crémaillère, dans une fête qui fut une cohue. La moitié de Paris accourut y étouffer l'autre. Tilly, qui vint comme tout le monde, en parle ainsi : « Il y avait tant de gens que le prince lui-même ne connaissait pas, qu'il me dit plaisamment : « Beaucoup de personnes qui sont ici peuvent aussi me croire invité au bal » (Mémoires du comte Alex. de Tilly, 1830,

69 quai d'Orsay. Palais et musée de la Légion d'honneur
in-8, t. II, p. 238). C'était à la fin de 1786 ; l'année d'après, l'architecte, pour se payer de ses travaux, avait acheté l'hôtel, et le prince n'y était plus que locataire (État actuel de Paris, P789, in-8).

Quartier Saint-Germain, p. 16.). La Révolution survint, et, comme tous les princes ou seigneurs ruinés, M. de Salm prit parti pour elle. Il se laissa faire capitaine de la garde nationale, afin qu'il fût dit que, né général d'armée, il avait au moins commandé une compagnie. Grâce à l'influence de La Fayette, qui l'avait quelque temps employé dans la rue Saint-Dominique, il parvint même à être commandant de bataillon. C'est en cette qualité, dit le Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution, que le vaillant prince de Salm, à la tâte de 3,000 hommes, a fait la descente au cimetière des Invalides. Persuadé qu'il s'y tramait quelque nouveau complot, et que tout l'argent et les canons de France y étaient ensevelis, il y pénétra, armé de pied en cap. Il y combattit pendant cinq heures entières sans rien trouver contre les intérêts de la nation ; et sa valeur contre les morts fit juger de sa douceur avec les vivants.

Il y a sous l'ironie de ce dernier trait, une allusion aux bruits qui plus d'une fois, notamment en 1776 (lettre de madame du Deffand à Walpole, 6 mars 1776), au sujet d'un duel du prince avec Lanjamet, avaient couru sur son peu de vaillance ; bruit faux, suivant Tilly (Mémoires de Tilly, t. II, p. 238), comme la plupart de ceux qui l'avaient discrédité :

Jamais, dit-il, on ne vit une réputation plus malheureuse. Criblé de coups d'épée, on suspectait son courage ; ruiné, après avoir gaspillé une fortune considérable, sa probité était attaquée. Il passait pour peu sûr au jeu, et il avait perdu des sommes immenses. On n'osait pas lui contester de l'esprit, mais on niait qu'il eût le sens commun ; et, avec un fond d'instruction que j'ai trouvé chez peu de gens, sa conversation n'attachait personne. Ne serait-ce point qu'on refuse de la confiance à l'esprit des gens du caractère desquels on se défie ? Haut comme les nues, ce dont tout le monde était parfaitement persuadé, on s'attendait toujours à quelque bassesse pour se dédommager de son orgueil, et l'en punir.

Son hôtel, où, dans un temps raisonnable, il n'eut pu se maintenir, même comme locataire, mais qu'il avait alors su ne pas quitter, protégé qu'il était par le désordre universel, complice de son désordre particulier, s'était d'abord ouvert pour un club très ardent. Comme on y fit guère que du bruit, cette petite Babel démagogique de M. de Salm ne fut appelée partout que le Salmigondis (L'Improvisateur franç., t. XVIII, p. 282). Toutes ces prétentions, tout cet étalage de démocratie qui n'avaient pour le pauvre prince sans-culotte, que l'avantage de le faire craindre de ses créanciers, et de lui permettre de nager toujours, sans qu'on y regardât trop, dans l'eau trouble de ses affaires, aboutirent enfin à une catastrophe.

Il fut arrêté le 13 germinal an II, et conduit à la maison des Carmes (A. Sorel, le Couvent des Carmes sous la Terreur, 1863, in-8, p. 243). Pour quel crime ? On l'ignora jusqu'à ce que, l'année d'après, le 5 thermidor, quarante-neuf détenus, dont il faisait partie, ayant été appelés devant le tribunal révolutionnaire comme complices d'une prétendue conspiration tramée dans la prison, Fouquier-Tinville fit savoir que « Salm, prince allemand, n'était, sous le masque du patriotisme, que l'agent caché de la coalition allemande contre la France. » Le soir même, quarante-six de ces quarante-neuf accusés, et le prince était du nombre, furent conduits à la place du Trône et guillotinés. Encore quatre jours, et le 9 thermidor les sauvait en perdant Robespierre !

La sœur de M. de Salm, la princesse Amélie de Hohenzollern, voulut emporter ses restes en Allemagne. Elle acheta le terrain voisin du lieu du supplice, où le prince reposait avec treize cents autres victimes, espérant qu'elle pourrait le reconnaître dans cette foule décapitée. Tous ces soins douloureux furent inutiles. Elle n'eut que la consolation d'avoir fait consacrer de nouveau, et enclore de murs, ce terrain, qui avait servi de cimetière aux chanoinesses de Picpus depuis 1647 jusqu'en 1690. Une pyramide commémorative y a été élevée sous l'Empire, et l'on y a bâti un oratoire où chaque année, après la quinzaine de Pâques, les prêtres de la chapelle de Picpus viennent célébrer un service solennel.

C'est là que repose André Chénier, qui tomba, non pas sur la place de la Révolution, comme on le croit, mais sur la place publique de la barrière de Vincennes (V. sur ce cimetière des suppli-ciés à Picpus la Revue rétrospective, 31 juillet 1837). C'est aussi là que les membres des plus nobles familles : les Montmorency, les Noailles, les Lévis, etc., se font maintenant porter pour mêler leurs cendres à celles des victimes que la Terreur prit dans leur maison. On y a transporté, il y a quelques mois, le corps de M. le duc de Lévis, mort à Venise,

Hôtel de Salm. Palais et musée de la Légion d'honneur
près du comte de Chambord (V. sur ce cimetière des suppliciés à Picpus la Revue Rétrospective, 31 juillet 1837, p. 149-151). Le général La Fayette y repose auprès de sa femme, dont le désir avait été d'être enterrée non loin de son père, le duc d'Ayen, l'une des treize cents victimes tombées sur cette même place.

Revenons à l'hôtel de Salm. Qu'en avait-on fait ? Des mains d'un prince souverain sans budget, il était passé, sous le Directoire, dans celles d'un garçon perruquier plusieurs fois millionnaire ! Il s'appelait Lieuthraud avant cette fortune, (les frères Goncourt l'appellent Leutraud, Directoire page 348, et Geoffroy, Neutraud, son vrai nom était Lieutbraud) ; mais ayant changé la savonnette du barbier pour cette autre qui décrasse les vilains, il se faisait nommer, argent comptant, M, le comte ou même M. le marquis de Beauregard, ad libitum. Les fêtes qu'il donnait étaient d'une magnificence inouïe. Tout Paris y venait pour admirer l'hôtel et pour rire du maître. Au buffet, en dévorant ses fruits magnifiques, en croquant ses friandises, on avait toujours un coup de langue et un coup de dent à son adresse.

Parmi les histoires qui se chuchotaient chez lui sur son compte, celle de ses premiers pas dans la fortune n'était pas la plus édifiante, mais n'était pas non plus la moins curieuse. Fils d'un vigneron de la Bourgogne ou du Nivernais, et décrassé par le curé de son village, il s'était fait garçon perruquier, comme nous l'avons dit, puis valet de chambre d'un grand seigneur de sa province. Le maître, aux premières crises de la Révolution, voulut émigrer, et son valet dut le suivre. Toute la fortune de monseigneur, réalisée en beaux louis, avait été mise en des sacoches, qui elles-mêmes avaient été cachées dans le porte-manteau que le valet avait en croupe. On galopa jusqu'à l'extrême ligne de a frontière. Là, monseigneur s'effraya d'un poste de gardes placé au bord de la route. Il dit à Lieuthrand de prendre par la traverse, tandis que lui ferait de même par un autre détour. Ils devaient se rejoindre au delà de la frontière sur un point convenu.

 


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