Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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ANCÊTRES, VOITURES, RUISSEAUX, ANTIQUITÉS
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

Mon grand-père.
J
e songe à mes ancêtres qui avoient des idées bien différentes des miennes, des préjugés et des usages encore plus opposés. Quand je sors d'une séance de l'académie française, le jour de la Saint-Louis, je me dis, il y a deux cents ans que Paris regorgeait de sang ; que dans la rue Betizy on perçoit de coups l'amiral Coligny, après qu'il eut reçu la veille les protestations d'amitié et les embrassements de Charles Ix. Il fut foulé aux pieds, ce Coligny, l'homme le plus propre à figurer dans une guerre civile, et qui eût donné à la ligue un poids, une majesté et des succès qu'elle n'eut point. Voilà le Louvre, d'où ce même Charles IX tirait avec une carabine sur ses propres sujets.

Les massacreurs de la nuit de la Saint Barthélemy étaient de terribles catholiques : il vaut mieux aller ce jour-là entendre dans ce même Louvre les plaisanteries saillantes du géomètre D'Alembert, qui ont du sel et de la finesse ; et si elles chagrinent un peu le clergé, il ne s'en venge qu'en disant à la cour du mal des philosophes. Passe pour cela : les philosophes s'en moquent ; ils ont l'art de tout dire adroitement pour qui sait bien entendre, et l'on entend aujourd'hui à demi-mot, on dit tout ce que l'on veut dire ; et le premier qui se fâche a toujours tort. ô mon grand père ! Nous avons des idées toutes nouvelles : elles étaient si loin de vous, que malgré votre esprit vous n'avez jamais pu les soupçonner. Puissent nos neveux en dire autant ! La perfectibilité n'appartient qu'à la race humaine. Nous sommes moins ineptes et moins barbares que du temps de Charles Ix : mais voilà beaucoup de gagné en si peu de temps !

Gare ! Gare !
Gare les voitures ! Je vois passer dans un carrosse le médecin en habit noir, le maître à danser dans un cabriolet, le maître en fait d'armes dans un diable ; et le prince court à six chevaux ventre à terre, comme s'il était en rase campagne. L'humble vinaigrette se glisse entre deux carrosses, et échappe comme par miracle : elle traîne une femme à vapeurs, qui s'évanouirait dans la hauteur d'un carrosse. Des jeunes gens à cheval gagnent impatiemment les remparts, et sont de mauvaise humeur, quand la foule pressée, qu'ils éclaboussent, retarde un peu leur marche précipitée. Les voitures et les cavalcades causent nombre d'accidents, pour lesquels la police témoigne la plus parfaite indifférence. J'ai vu la catastrophe du 28 mai 1770, occasionnée par la foule des voitures qui obstruèrent la rue, unique passage ouvert à l'affluence prodigieuse du peuple qui se portait en foule à la triste illumination des boulevards. J'ai manqué d'y perdre la vie.

Douze à quinze cents personnes ont péri, ou le même jour, ou des suites de cette presse effroyable. J'ai été renversé trois fois sur le pavé à différentes époques, et sur le point d'être roué tout vif. J'ai donc un peu le droit d'accuser le luxe barbare des voitures. Il n'a reçu aucun frein, malgré les réclamations journalières. Les roues menaçantes qui portent orgueilleusement le riche, n'en volent pas moins rapidement sur un pavé teint du sang des malheureuses victimes qui expirent dans d'effroyables tortures, en attendant la réforme qui n'arrivera pas, parce que tous ceux qui participent à l'administration roulent carrosse, et dédaignent conséquemment les plaintes de l'infanterie. Le défaut de trottoirs rend presque toutes les rues périlleuses : quand un homme qui a un peu de crédit est malade, on répand du fumier devant sa porte, pour rompre le bruit des carrosses ; et c'est alors surtout qu'il faut prendre garde à soi.

Jean-Jacques Rousseau, renversé en 1776 sur le chemin de Menil-Montant par un énorme chien danois qui précédait un équipage, resta sur la place, tandis que le maître de la berline le regardait étendu avec indifférence. Il fut relevé par des paysans, et reconduit chez lui boiteux et souffrant beaucoup. Le maître de l'équipage ayant appris le lendemain quel était l'homme que son chien avait culbuté, envoya un domestique pour demander au blessé ce qu'il pouvait faire pour lui. tenir désormais son chien à l'attache, reprit le philosophe, et il congédia le domestique. Quand un cocher vous a moulu tout vif, on examine chez le commissaire si c'est la grande ou la petite roue ; le cocher ne répond que de la petite ; et si vous expirez sous la grande roue, il n'y a point de dédommagements pécuniaires pour vos héritiers.

Puis il est un tarif pour les bras, les jambes, les cuisses ; et c'est un prix fait d'avance. Que faire ? Bien écouter quand on crie, gare ! gare ! Mais nos jeunes phaétons font crier leurs domestiques de derrière le cabriolet. Le maître vous renverse, puis le valet s'égosille, et se ramasse qui peut.

Ruisseaux.
Un large ruisseau coupe quelquefois une rue en deux, et de manière à interrompre la communication entre les deux côtés des maisons. à la moindre averse il faut dresser des ponts tremblants. Rien ne doit plus divertir un étranger que de voir un parisien traverser ou sauter un ruisseau fangeux avec une perruque à trois marteaux, des bas blancs et un habit galonné, courir dans de vilaines rues sur la pointe du pied, recevoir le fleuve des gouttières sur un parasol de taffetas. Quelles gambades ne fait pas celui qui a entrepris d'aller du faubourg S Jacques dîner au faubourg S Honoré, en se défendant de la crotte, et des toits qui dégouttent !

Des tas de boue, un pavé glissant, des essieux gras, que d'écueils à éviter ! Il aborde néanmoins ; à chaque coin de rue il a appelé un décrotteur ; il en est quitte pour quelques mouches à ses bas. Par quel miracle a-t-il traversé sans autre encombre la ville du monde la plus sale ? Comment marcher dans la fange en conservant ses escarpins ? Oh ! C'est un secret particulier aux parisiens, et je ne conseille pas à d'autres de vouloir les imiter. Pourquoi ne pas s'habiller conformément à la boue et à la poussière ? Pourquoi prendre à pied un vêtement qui ne convient qu'à celui qui roule dans une voiture ? Pourquoi n'avoir pas des trottoirs, comme à Londres ?

Antiquités.
Dans Rome on ne saurait faire un pas sans fouler un monument antique et qui vous commande l'attention et le respect, sans voir autour de soi de ces objets qui vous rappellent les conquérants des arts de la Grèce, et les dominateurs du monde. Il n'en est pas de même à Paris : cette ville n'a pas été fondue dans un moule républicain, ni formée sous la main du génie des grecs : rien n'y retrace ce génie éloquent, attentif à parler aux yeux des citoyens, à élever leurs âmes. Le luxe des arts n'est point dans les monuments publics, il se cache et se rapetisse dans les maisons des particuliers. Pour ceux qui connaissent l'histoire, il y a loin de la Seine et du Louvre au Tibre et au capitole. Les antiquités de Paris ont toutes une physionomie gothique, pauvre et mesquine ; notre grossière origine est empreinte dans les monuments qui nous en restent : vous voyez le tombeau de Clovis dans l'abbaye de sainte Geneviève, dont il fut le fondateur ; mais il est aisé de voir que le monument est moderne, et il n'en a pas plus de dignité : cela ne ressemble guère au temple de Romulus.

Les normands ayant pillé, brûlé et saccagé à plusieurs reprises l'église et l'abbaye de Saint-Germain-des-prés, il n'y reste plus que des sépulcres vides et des inscriptions incertaines. Ce qui s'offre de la sculpture ancienne donne l'idée de la barbarie la plus révoltante : la religion chrétienne ne fut jamais riante, même dans son berceau ; on le voit trop dans ces débris des siècles passés, siècles malheureux et bizarres, marqués par tout ce que l'erreur et l'ignorance ont de honteux et de funeste. Qui sera curieux de visiter les tombeaux de Childebert et d'Altrogotte, de Chilpéric et de Frédégonde sa femme, pourra les voir. Les inscriptions de Chilpéric prient les vivants de ne point enlever ses ossements du lieu où ils reposent ; prière qui semble avoir été adressée à ces brigands du nord, qui venaient fondre sur le royaume et sur l'abbaye. (...). D'anciens noms sans splendeur, de tristes sarcophages nus, des images d'un sombre sans intérêt, un ciseau dur et grossier, voilà les antiquités qui remplissent les églises : le génie de l'homme y semble terrassé sous l'empire de la terreur, et sa main tremblante n'a plus su que tracer des images lugubres et monotones.

Contemplez les ruines d'Herculanum et de Portici ; elles ne portent pas l'empreinte d'une imagination aussi noire. Ce qu'il y a de plus curieux à Paris, ce sont les restes du palais où les romains avoient des bains avant l'arrivée des francs ; il est enclavé dans une maison de la rue de la harpe, qui a pour enseigne la croix de fer. Ces restes ont tous les caractères d'une haute antiquité. Il paraît que ce palais avait une certaine étendue ; nos rois de la première race y logèrent ; les filles de Charlemagne y furent reléguées après sa mort, lorsque Louis Le Débonnaire, ami du plein chant et ennemi de la galanterie, eut fait tuer leurs amans. il croyait sans doute, rapporte le p Daniel avec la plus grande naïveté, que l'exemple intimiderait, et qu'elles n'en trouveraient plus ; il paraît qu'il se trompa, elles n'en manquèrent jamais.

Anciennes républiques ! Vos débris attestent ce que vous fûtes ; les monuments les plus superbes des monarchies ne valent pas vos restes échappés à la fureur des temps et des barbares. Dieu ! Que nous sommes petits devant les majestueux travaux d'une constitution libre ! Les antiquaires regrettent beaucoup une statue de la déesse Isis, qu'on avait laissé subsister à la principale porte de l'abbaye Saint-Germain-des-prés, à raison de son antiquité. En 1514, une bonne femme ayant pris cette figure pour celle de la vierge Marie, et étant venue y brûler une toufée de chandelles, l'abbé de Saint-Germain, dans un pieux courroux, la fit mettre en pièces, afin de prévenir l'idolâtrie, et l'on mit à sa place une grande croix qui y est encore.


 

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