Vie quotidienne a Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de la vie quotidienne d'autrefois à Paris, consignant les activités, moeurs, coutumes des Parisiens d'antan, leurs habitudes, leurs occupations, leurs activités dont certaines ont aujourd'hui disparu. Pour mieux connaître le Paris d'autrefois dans sa quotidienneté.
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POPULATION DE LA CAPITALE
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

M. De Buffon soutient que la force de cette ville pour le maintien de sa population a augmenté depuis cent ans d'un quart, et que sa fécondité est plus que suffisante pour sa population. Chaque mariage, dit-il, produit quatre enfants ; il se fait chaque année environ quatre à cinq mille mariages, et le nombre des baptêmes monte à dix-huit, dix-neuf, et vingt mille. Ainsi ceux qui entrent à la vie semblent égaler en nombre ceux qui en sortent ; proportion qui a quelque chose d'admirable, et qui démontre à l'œil attentif un plan soutenu dans la circulation de la vie et de la mort. Il meurt à Paris, année commune, vingt mille personnes environ ; ce qui, selon le même observateur, paraît donner une population de sept cents mille âmes, en comptant trente-cinq vivants pour un mort.

Tous les grands hivers augmentent cette mortalité. Elle s'est trouvée en 1709, de 30000, en 1740, de 24 ooo. D'après les mêmes observations, il naît à Paris plus de garçons que de filles, et il y meurt plus d'hommes que de femmes, non-seulement dans la proportion des naissances des mâles, mais encore considérablement au-delà de ce rapport ; car sur dix ans de vie courante, les femmes ont un an de plus que les hommes à Paris : ainsi la différence est d'un neuvième entre le sort final des hommes et des femmes dans cette capitale, nommée par le petit peuple, le paradis des femmes, le purgatoire des hommes, et l'enfer des chevaux. Il y a des jours qu'il sort des portes de la capitale trois cents mille hommes à épaisses colonnes, dont soixante mille en équipages ou à cheval : il s'agit d'une réjouissance, d'une revue, d'une fête publique.

Six heures après, cette foule immense se dissipe ; chacun retourne chez soi : la place dont les limites étaient serrées, dont les barrières étaient renversées par l'affluence prodigieuse du peuple qui criait miséricorde, se vide, demeure nue et déserte ; et de tant d'hommes assemblés et pressés, chacun a son auraient ou son trou à part. Le jour de la promenade de Longchamp, toute la ville sort, quelque temps qu'il fasse : c'est le jour marqué par l'usage, pour faire voir à tout Paris son équipage, ses chevaux et ses laquais. On ne fait point la révérence à la promenade, comme dans un salon ; celle-là a un caractère de légèreté que n'attraperait jamais le plus leste étranger. Depuis le désastre arrivé à la place de Louis Xv, il y a dix années, où quinze à dix-huit cents personnes furent étouffées, à la suite d'un déplorable feu d'artifice, il y a beaucoup d'ordre et d'exactitude dans toutes les fêtes publiques, et l'on ne saurait donner trop d'éloge à la vigilance et à l'adresse qui règnent en cette partie.

D'après cette affluence inconcevable, qui étonne les yeux les plus accoutumés à ce spectacle, on ne sera pas surpris d'apprendre que la seule ville de Paris rapporte au roi de France près de cent millions par an, en y comprenant tout, les entrées, les dixièmes, les capitations, et toutes les impositions fiscales, qui formeraient un dictionnaire. Cette épouvantable somme, que produit un point si étroit, se renouvelle chaque année ; et ce n'est pas sans raison, que les monarques français appellent la capitale, notre bonne ville de Paris : c'est une bonne vache à lait. Sous le règne de Louis le gros, les entrées de Paris rapportaient douze cents livres. La cour est fort attentive aux discours des parisiens : elle les appelle les grenouilles. Que disent les grenouilles ? Se demandent souvent les princes entre eux. Et quand les grenouilles frappent des mains à leur apparition, ou au spectacle, ou sur le chemin de Sainte-Geneviève, ils sont très contents.

On les punit quelquefois par le silence : en effet, ils peuvent lire dans le maintien du peuple les idées qu'on a sur leur compte : l'allégresse ou l'indifférence publique ont un caractère bien marqué. L'on prétend qu'ils sont sensibles à la réception de la capitale, parce qu'ils sentent confusément que dans cette multitude il y a du bon sens, de l'esprit, et des hommes en état de les apprécier, eux et leurs actions : or ces hommes, on ne sait trop comment, déterminent le jugement de la populace. La police a soin, dans certaines circonstances, de payer de fortes gueules qui se répandent dans différents quartiers afin de mettre les autres en train, ainsi qu'elle soudoie des chianlis pendant les jours gras ; mais les vrais témoignages de l'allégresse publique, ainsi que du contentement du peuple, ont un caractère que rien n'imite. On en est au dixième plan de Paris ; mais il déborde toujours ses limites ; la clôture n'en est pas encore fixée, et ne saurait l'être.

Je m'égare, je me perds dans cette ville immense ; je ne reconnais plus moi-même les quartiers nouveaux. Les marais qui produisent les légumes, reculent et font place à des édifices. Voilà Chaillot, Passy, Auteuil bien liés à la capitale ; encore un peu Sêve y touche ; et si l'on prolonge d'ici à un siècle jusqu'à Versailles, de l'autre côté à Saint-Denis, et du côté de Picpus à Vincennes, ce sera là pour le coup une ville plus que chinoise.

Crainte fondée.
Quand on songe qu'il y a à Paris près d'un million d'hommes entassés sur le même point, et que ce point n'est pas un port de mer, il y a vraiment de quoi frémir sur la future subsistance de ce peuple ; et quand on songe ensuite que ce qu'on appelle commerce (et qui n'est au fond qu'un agiotage perpétuel, qu'une industrie locale) est encore gêné, comprimé, fatigué de toutes parts, il y a encore de quoi frémir davantage. Alors l'existence de cette superbe ville paraît absolument précaire : car plusieurs causes isolées, qui n'ont pas besoin d'être réunies, peuvent y faire entrer la famine, sans compter les autres fléaux qu'elle peut essuyer politiquement.

Il est bien sûr que chaque parisien n'aura désormais du pain, que tant qu'on voudra bien permettre aux boulangers d'avoir de la farine, et que le maître du ruisseau de la Seine et de la Marne l'est et le sera de l'existence de la ville. Comment trouver le moyen de remédier à cette foule de nécessiteux, qui n'ont d'autre gage de leur subsistance que dans le luxe dépravé des grands ? Comment entretenir la vie au milieu de cette masse qui crierait famine, si certains abus venaient à cesser tout à-coup ?

Le luxe dévorateur, tout en mangeant l'espèce humaine, soutient au-dessus de leur tombeau tous ces hommes qu'il extermine ; ils meurent par degrés, et non tout à coup. On voit dans cette capitale des hommes qui usent toute leur vie à faire des joujoux d'enfants ; les vernis, les dorures, les pompons occupent une armée d'ouvriers ; cent mille bras y sont exercés jour et nuit à fondre des sucreries et à édifier des desserts. Cinquante mille autres, le peigne en main, attendent le réveil de tous ces oisifs qui végètent en croyant vivre, et qui, pour se dédommager de l'ennui qui les accable, font deux toilettes par jour.


 

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