Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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Quartier Chaillot : Le Palais de Roi de Rome
(D'après Chroniques et légendes des rues de Paris. Édouard Fournier, 1864)

De nouveaux et plus graves malheurs lui défendirent bientôt jusqu'à l'espoir de ce refuge modeste. Après l'Ile d'Elbe, sa pensée y revint, et les architectes eurent l'ordre d'y retourner avec leurs maçons. « Mais, disent MM. Fontaine et Percier, quoiqu'un assez grand nombre d'ouvriers ait été occupé à continuer les terrassements et les fouilles du palais, il nous fut impossible de retrouver les illusions du rêve qui venait de finir. » Ils n'avaient que trop raison. Le souvenir de Napoléon, de ce côté ne fut bientôt plus qu'une ombre qui s'effaça devant une autre, la gloire du vainqueur du Trocadero, pour lequel fut rêvé sur cet emplacement, propice aux vains projets, un monument qu'on n'a pas vu plus que l'autre.

Qu'était-il résulté de tout cela ? Pour un palais qui ne devait pas être, la destruction de pauvres petites maisons qui ne demandaient qu'à vivre encore, ou qui désiraient pour dédommagement de leur disparition un prix qu'elles


Vue de Paris prise de Chaillot
n'obtenaient pas toujours. Je vous dois, à ce propos, une anecdote peu connue et bonne à connaître. On y verra que si l'Empereur, rendu modeste, rêva Sans-Souci sur la montagne de Chaillot, il n'y trouva pas toujours le meunier qui refuse de vendre le bien de ses pères.

Dès que le bruit du projet impérial s'était répandu, la population, d'ailleurs peu nombreuse, de ces quartiers s'était émue vivement, mais en sens assez contraires. Parmi les propriétaires, il y en eut qui virent là une fortune, d'autres un danger. Ceux-là se réjouissaient, ceux-ci se plaignirent. Dans le nombre de ces derniers se trouvait un propriétaire, depuis longues années receveur de l'octroi, qui, voyant que le plus clair de tout cela était la panique de ses locataires, déménageant en hâte, de peur d'être forcés de déménager, présenta sans tarder une requête à M. le comte Daru, intendant de la maison de l'Empereur.

Comme elle fut trouvée assez plaisante pour mériter d'être recueillie, je vous en citerai le plus curieux fragment : « Je suis, dit le suppliant, propriétaire d'une vaste maison sur le quai de Billy, n° 62 ; les entrepreneurs du palais du roi de Rome ont pro-noncé sa sentence, ils l'ont marquée de la pierre noire ceux qui l'habitent en sont instruits et s'empressent de la quitter, autant par respect que par prudence. Il en résulte que pour peu que cette émigration continue, il ne restera pour habitants que quelques terrassiers du pont d'Iéna et les hirondelles. Vous concevez, monsieur le comte, qu'avec de tels locataires, il est difficile à un bourgeois d'acquitter ses charges.

Pour éviter donc que ma ruine précède celle de ma maison, j'ose proposer à Sa Majesté deux moyens : le premier serait de l'utiliser pour son service, en m'assurant son loyer, d'après l'estimation qui en sera faite, et ce jusqu'au jour de mon décès, qui ne peut tarder ; le dernier serait d'en accélérer l'acquisition, de me la payer en monarque juste et libéral, comme l'est le nôtre, en ordonnant que le remboursement s'en fasse le plus promptement possible, attendu que j'ai des créanciers sur les bras et des cautionnements à relater, etc. »

Le brave homme ne s'en tint pas à cette requête. Il était commis et connaissait les catacombes de la bureaucratie. Il eut pour que les cartons de l'intendance ne fussent des abîmes d'où sa supplique ne sortirait pas. Il en rédigea une seconde, mais cette fois pour l'Empereur lui-même, et afin qu'elle fût digne de celui qu'elle allait solliciter, il l'écrivit dans la langue des dieux. D'abord, il explique les faits le mieux qu'il peut :

Sire, au pied du Capitole
Qui va couronner Chaillot,
Je possède un hermitage
Habité par l'indigent,
Qui prudemment déménage,
Et ce depuis qu'il apprend
Que Napoléon le Grand,
Qu'on appelle aussi le Juste,
Destine ce bâtiment
A servir incessamment
De rampe au balais d'Auguste...

Ensuite, il explique ce qu'il désire, fait humblement ses petites conditions, puis reprenant sa supplique :

On prétend qu'au roi de Rome,
J'aurais bien dû m'adresser,
Mais, Sire, à vous c'est tout comme.
Je suis sûr qu'en pareil cas
Il ne vous dédira pas.
Je crois donc tout me promettre
Si Sa Majesté veut mettre
En marge de cet écrit :
Soit fait ainsi qu'il est dit.

L'Empereur se fit lire la requête, s'en amusa beaucoup, et accorda autre chose que ce qu'elle demandait. Il nomma le pétitionnaire concierge du palais du roi de Rome ; fort belle place si elle fût venue. Elle eût notamment donné droit à un fort beau logement. Il entrait dans le plan des deux architectes que « les petits pavillons isolés en avant des rampes auraient logé les portiers et les corps de garde pour surveiller les entrées. » (Napoléon architecte, p. 15.) Mais un palais chimérique ne peut avoir qu'un portier imaginaire ! c'est ce que fut le propriétaire rimeur avec sa pétition en rimes.

Le nom de Napoléon, assez impertinemment effacé sur ces pentes par celui du duc d'Angoulême, n'y reparut qu'un jour. Il y a de cela vingt-trois ans bientôt.

On se demandait beaucoup alors où l'on placerait le tombeau de celui dont Sainte-Hélène venait de rendre les restes. Napoléon avait désiré qu'on mît sa tombe auprès de la Seine, et l'on cherchait un endroit favorable sur l'une et l'autre rives. Ceux qui le voulaient sur la rive gauche, aux Invalides, finirent par l'emporter ; mais ceux qui le voulaient sur la rive droite, au Trocadero, en face du Champ-de-Mars, où son ombre eut présidé de haut à tous les jeux militaires, étaient certes bien mieux inspirés.

« Pour nous, écrivit alors M. Vitet l'un des plus chauds partisans de cette idée heureuse, qu'il combinait sans peine avec le projet de monument présenté par M. Marochetti, pour nous, il est un autre emplacement qui semble mieux choisi : c'est un lieu prédestiné en quelque sorte à recueillir cette dépouille mortelle de Napoléon, et plus d'une fois, longtemps avant qu'il fût question du retour de ses cendres, nous y avions rêvé son tombeau. Je veux parler de cette place où lui-même avait jeté les fondements du palais du roi de Rome. Ce terrain par sa grandeur, par son élévation, par son isolement semble fait à dessein pour un tel monument.

Je n'ajouterais, continue-t-il, au projet de M. Marochetti qu'un grand et large soubassement, sur le haut de la colline, et auquel on parviendrait par les deux rampes actuelles. Ces rampes revêtues de murs et de terrasses, prendraient elles-mêmes un caractère monumental. Au-dessus du grand soubassement, je placerais à la manière antique un triple rang d'arbres toujours verts, et c'est au-dessus de cette masse de verdure épaisse et sombre que se détacherait sur le ciel la silhouette pyramidale du monument, si heureusement accidenté par les quatre figures assises aux quatre angles, si hardiment couronné par la statue équestre.

C'est là que Napoléon voulait élever la demeure de sa dynastie naissante ; c'est là que sa dynastie éteinte serait ensevelie avec lui. Il dominerait ce nouveau Paris, dont il fut pour ainsi dire le créateur, ces rives de la Seine, qu'il voulait couvrir d'une longue ligné de palais ; à ses pieds, sous son regard ; s'étendrait le Champ-de-Mars : le spectacle des manœuvres réjouirait encore son ombre, et quand vers le matin nos jeunes soldats viendraient s'exercer aux fatigues du métier des armes, ils verraient au-dessus de leur tête cette grande figure s'éclairer des rayons du soleil levant, comme un phare lumineux, placé là pour leur montrer le chemin des combats et, de la victoire.

Le projet était plein de poésie et de grandeur ; on était à une époque prosaïque et mesquine : il fut repoussé.


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