Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE ROLLIN , naguère Neuve-Saint-Étienne,
Ve arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1864. La rue Neuve-Saint-Etienne n'avait pas encore perdu ses n°s 13, 15, 17, 19, 20, 21, 22 et 23 pour laisser passer la nouvelle rue Monge dans un sous-sol dont la rue Rollin demeure séparée par trente-quatre marches d'escaliers.

Descartes :
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omme, cette rue-ci aurait tort de ne pas être fière de son n° 36 ! Descartes y a demeuré, et combien peu de maisons à Paris pourraient rendre, la monnaie d'une aussi grosse pièce !

En arrivant dans cette ville, Descartes descend chez un ami de son père, Levasseur, seigneur d'Étioles ; le train qu'il y mène n'est que décent, pour un jeune gentilhomme, dont l'épée a déjà fait ses preuves au service de l'étranger ; mais il a été mis tout de suite en rapport avec un certain nombre de savants, habiles à deviner leur maître, qui font de son hôtellerie une nouvelle académie, pour y prolonger son séjour. Furtivement il s'en échappe pour assister au siège de la Rochelle ; puis il revient, avant de gagner la Hollande. En ce pays, il passe à travailler plus de dix années de sa vie, en ayant le père Mersenne pour correspondant ordinaire, pendant que l'abbé Picot veille sur les affaires d'intérêt de l'absent ; mais il vient à trois reprises se retremper en France. C'est en latin qu'il écrit le plus souvent, et l'enthymème cogito, ergo stem est la clef de voûte de sa philosophie. Les animaux n'existent même plus, d'après son système qui honore l'humanité à leurs dépens, en les réduisant à l'état de pitres mécaniques ; ils ne s'en relèveront un jour qu'au moyen de la loi Grammont, tardivement hostile au cartésianisme.

D'autres protestations plus catholiques, moins empreintes de foi en la métempsycose, prennent les devants sur cette loi du vivant de Descartes. Il voit mettre à l'index plusieurs de ses écrits ; on l'accuse d'athéisme, et n'a-t-il pas à craindre pour lui-même la condamnation qui frappe Galilée ? Ses voyages continuels ressemblent à l'exil toutefois, le cardinal Mazarin lui sert une pension de 1,000 écus, et ses Méditations sont traduites par le duc de Luynes. Descartes écrit à Paris, et vraisemblablement rue Neuve-Saint-Etiénne une dissertation sur l'amour, ce sujet d'une méthode moins étudiée en Hollande, et la reine Christine, de Suède, qui reçoit cette dissertation directement, presse l'auteur de se rendre à sa cour. Il hésite, et enfin il cède, encore moins séduit par des offres brillantes que désireux de se. soustraire par un nouvel éloignement de longue durée à des difficultés et à des menaces incessantes. Quelques années après, on rapportait en France les dépouilles mortelles de l'homme de génie que l'on n'avait pas su y retenir, et on les déposait avec honneur à Sainte-Geneviève. Descartes était mort en Suède à 54 ans.

Pascal :
Peu de temps après la mort de ce philosophe savant, l'illustre géomètre Pascal devenait, par surcroît, un très grand écrivain. Ses Lettres provinciales paraissaient en 1656. Renonçant aux sciences profanes qui, dès l'âge de douze ans, lui avaient fait un nom, et que jusqu'à trente il avait éclairées de ses travaux prodigieux, il s'était retiré rue Neuve-Saint-Etienne, dans la maison qui porte le n° 22, afin d'y consacrer exclusivement à la religion la vieillesse prématurée d'un paralytique. Les solitaires de Port-Royal, parmi lesquels Pascal a séjourné de temps en temps, sans s'attacher à leur maison, s'enivraient du succès des Provinciales, un chef-d'œuvre de l'esprit français ; mais ce livre, qui avait vu le jour à propos d'une censure que la Sorbonne se proposait de faire d'un écrit d'Arnault, il était en cour de Rome l'objet d'une condamnation. Cependant l'auteur menait la vie d'un saint ; il faisait lui-même son lit, dans l'alcôve d'une chambre à coucher qu'il avait dépouillée de ses tapisseries ; il s'en allait chercher à la cuisine son modeste dîner, pour qu'on ne le servît pas, et il mortifiait ses sens jusqu'à porter une ceinture intérieurement hérissée d'épineuses aspérités. En savourant l'humilité, que de pardons il demandait à Dieu ! La pire de ses fautes lui paraissait la gloire, fatalement appelée à leur survivre. Pascal était tombé malade, pour la dernière fois, en 1662, au moment où l'un des enfants d'un pauvre homme, logé chez lui se trouvait atteint de la petite vérole, et comme il redoutait la contagion de cette maladie pour les enfants de Mme Périer, sa sœur, qui venait lui offrir ses soins, il s'est fait transporter chez elle, quelles que fussent déjà ses souffrances. Néanmoins le curé de Saint-Étienne-du-Mont lui apportait l'eucharistie, le 18 août, veille de son dernier jour, dans cette même alcôve qu'on a montrée longtemps aux curieux, rue Neuve-Saint-Étienne.

Rollin :
P
lein de jours, au contraire, est mort un janséniste qui a eu tout le temps d'appeler et de réappeler, ancien principal d'un collège, ancien recteur, le célèbre Rollin, et pendant un demi-siècle il a écrit, au n° 30, même rue, ses livres, qu'on donne encore en prix dans les lycées. Il y a laissé intérieurement au-dessus d'une porte ce distique :

Ante alias dilecta donnus, quâ ruris et urbis
Incola. tranqiuillus meque Deoque fruor.

Je commence (écrivait Rollin à M. Le Peletier, en 1697) à sentir et à aimer plus que jamais la douceur de la vie rustique, depuis que j'ai un petit jardin qui me tient lieu de maison de campagne. Je n'ai point de longues allées à perte de vue, mais deux petites seulement, dont l'une me donne de l'ombre sous un berceau assez propre, et l'autre, exposée au midi, me fournit du soleil pendant une bonne partie de la journée. Un petit espalier couvert de 5 abricotiers et de 10 pêchers fait tout mon fruitier. Je n'ai point de ruches à miel, mais j'ait le plaisir tous les jours de voir les abeilles voltiger sur les fleurs de mes arbres, et, attachées à leur proie, s'enrichir du suc qu'elles en tirent sans me faire aucun tort. Ma joie n'est pourtant pas sans inquiétude, et la tendresse que j'ai pour mon petit espalier et pour mes œillets me fait craindre pour eux le froid de la nuit, que je ne sentirais point sans cela.

Toute la vie Rollin s'est contenté de son mobilier de professeur, dans lequel l'avaient vu et Boileau et Racine. Quant aux maisons, il en a bien eu deux, tenant l'une à l'autre Les reconnaissances censuelles pour une maison à l'enseigne du Chef-de-Saint-Denis, portaient les noms et dates que voici :

Pierre Granger, à cause de sa femme, née Rousseau, 1632 ; Héliot, 1681 ; Claude Rollin, 1715 ; Charles Rollin, son frère, 1732, et Pierre Charpentier, rubanier,1750.

Les reconnaissants étaient, pour le Nom-de-Jésus :

Réné Marlay, 1663 ; Perrot, 1665 ; Héliot, 1675 ; Claude Rollin, 1714 ; Charles Rollin, 1732 ; et Charpentier, 1750.

Une propriété contiguë à la seconde appartenait aux carmes, et la rue n'en comptait que 23 en tout.

Caumartin de l'Académie Française. Les Morfondus :
A
u nombre de ces maisons figurait le 41, comme résidence de M. de Caumartin, évêque de Vannes, puis de Blois, dont la bibliothèque n'était pas moins nombreuse que riche en livres rares. Ce fils du garde des seaux Lefèvre de Caumartin avait été élevé par son parrain, le cardinal de Retz, qui avait résigné en sa faveur l'abbaye de Buzay, et il était de l'Académie Française depuis l'âge de vingt-six ans ; mais il avait gardé si peu de ménagements envers M. de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, que Louis XIV s'en était offensé. L'abbé n'avait eu d'évêché qu'au commencement de la Régence. Nous croyons, que son hôtel était l'ancienne maison des Morfondus, et, en effet, on avait dit rue Tison, à cause d'un clos, rue du Moulin-à-Vent, rue du Puits-de-Fer, puis rue des Morfondus, avant rue Neuve Saint-Etienne.

Le Tripot de Montauban. La Congrégation de Notre-Dame. Le cours d'Electricité. Le Lacoste de Rollin et celui de Voltaire :
D
e plus, un hôtel Montauban ayant pris la place d'un moulin et d'un prolongement de la lue Tiron jusqu'à la rue des Boulangers, on a longtemps appelé ruelle Montauban le bas actuel de notre rue. La seigneurie bretonne de Montauban est entrée, en 1443, dans la maison de Rohan par le mariage de la fille unique de Jean de Montauban, amiral de France, maréchal de Bretagne, avec Louis de Rohan, sire de Guéménée ; mais la même noble héritière s'est remariée, en 1464, à Georges de la Trémoille, et, treize années plus tard, à Jean de Keradreux. Est-il étonnant, après cela, que l'hôtel Montauban soit devenu, un tripot ? Plus de famille Montauban, à proprement parler ! En 1673 seulement, Imbert Porlier, recteur de l'Hôpital Général, achète l'ancien hôtel pour y placer des religieuses, déjà établies rue des Jeûneurs et originaires de Lorraine : les hospitalières de la congrégation de Notre-Dame. L'année suivante, ces religieuses s'installent, et, une fois donataires de la propriété, elles s'arrondissent par d'autres acquisitions, elles obtiennent la suppression d'une ruelle aboutissant en face de l'abbaye Saint-Victor, et enfin, le 16 août 1688, leur nouvelle église est bénite. Ce couvent, dans lequel les petites filles, apprennent gratuitement à lire et à écrire, compte 25 religieuses de chœur et 6 converses ; on y paye 275 livres pour l'année de postulance, autant pour le noviciat, 400 livres pour les frais d'habillement, et la dot est ordinairement de 6,000 livres. C'est le 12 messidor an IV d'après MM. Lazare, que la Nation fait vendre les bâtiments de la congrégation de Notre-Dame. Toutefois, de 1821 à 1846, l'ancien couvent est occupé en partie par des visitandines, et, depuis lors, par les religieuses de Jésus-Christ.

Du côté des chiffres impairs, vers le milieu, le docteur Mauduyt de la Varenne a fait un cours d'électricité médicale avant la grande révolution. Sur l'autre rang avait demeuré, quelques lustres plus tôt, un ancien élève de Rollin l'abbé Lacoste. Il n'avait de commun, j'aime à croire, que le nom et la tonsure avec un galérien qui mourut en 1762, comme le rappelle ce quatrain à l'emporte-pièce de Voltaire :

Lacoste est mort ! Il vaque dans Toulon
Par cette mort un emploi d'importance
Ce bénéfice exige résidence,
Et tout Paris y nomme Jean Fréron.


 

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