Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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QUAI DE BÉTHUNE,
IVe arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1857. Il a été dénommé successivement quai du Dauphin, quai des Balcons, quai de Béthune. En 1792, il a porté le nom de quai de la Liberté. Origine du nom : Maximilien de Béthune, duc de Sully (1560-1641), ami et ministre de Henri IV.

L'Hôtel Bretonvilliers :
L
es ateliers du parfumeur Chardin-Hadancourt occupent, à la pointe orientale de l'île Saint-Louis, quai de Béthune, le jardin de l'ancien hôtel Bretonvilliers, dont la magnifique terrasse avait pour point d'appui le mur qui survit. Un peu plus bas en tête s'ouvre, pendant l'été, l'école de natation fondée par Turquin, où beaucoup de collégiens viennent prendre chaque été leurs ébats, par avant-goût des vacances qui approchent, dans la plus belle eau de Paris. Le 12 actuel, avant de faire partie du bureau des Fermes Générales, dépendait de l'hôtel Bretonvilliers, dont la porte principale n'ouvrait pas sur le quai. C'est en passant rue Saint-Louis-en-l'lle que nous rendrons a l'ombre de Le Ragois de Bretonvilliers, secrétaire du conseil, puis intéressé dans les fermes, la petite visite que nous lui devons.

La Jeunesse du Maréchal de Richelieu :
De l'autre côté de la rue Bretonvilliers, les n°s 16 et 18 composaient l'hôtel Richelieu, ainsi que le n° 1 de ladite rue, qui se nommait alors de l'Arcade. Armand-Joseph Vignerod, duc de Richelieu, général des galères de France et neveu du cardinal, y précéda son fils qui avait vu le jour deux mois avant le terme de la grossesse de la duchesse, en l'année 1696. Ayant été tenu sur les fonts, à trois ans de là, par le roi et la duchesse de Bourgogne, le chétif petit duc, qui prit d'abord le nom de Fronsac, commença de bonne heure à faire parler de lui dans le monde ; l'adolescent n'attendit pas la barbe pour épouser Mlle de Noailles, dont la mère se trouvait la femme en troisièmes noces du duc de Richelieu, son père. La précocité continuant, Mlle de Noailles ne tarda pas à être détestée de son mari, dont l'audace et l'esprit devaient lui susciter encore plus de rivalités que son rang ne faisait de jalouses. Le petit-neveu du cardinal de Richelieu, pour si roué qu'il se montrât bientôt avec les femmes dont la coquetterie trouvait à regret son maître, ne continua-t-il pas à sa manière l'œuvre de son grand-oncle ? La féodalité n'était pas morte sans laisser des rejetons, et cette survivance, qu'elle se tînt ou non sur ses gardes, n'avait pas appris à parer les nouveaux coups dont un Richelieu la criblait ; il ajoutait une barre à l'écusson futur de bien des descendants des feudataires de la Couronne, dont Son Eminence n'avait fait que diminuer la puissance politique. Louis XIV eut l'ingratitude d'envoyer Fronsac à la Bastille avant l'age fixé d'ordinaire par les lettres de cachet à la majorité ; mais c'était comme pour compléter une éducation négligée, car une auguste prévoyance dépêcha, au mineur, sous les verrous, l'abbé de Saint-Rémy pour précepteur. Mme de Maintenon gardait jusqu'à la fin le plus rare des trésors, son indulgence plénière, à l'héritier du cardinal, qui regretta le roi avec sincérité, mais qui peu de temps après inaugura son hostilité au régent, en lui prenant toutes ses maîtresses.

L'hôtel qu'habitait le jeune duc était trop proche de la forteresse qu'il avait déjà visitée, pour que le nouveau chef de l'Etat ne songeât pas, à propos d'un duel, à l'y accréditer encore pour une année. Richelieu, se rappelant qu'il y avait connu Voltaire, paraissait si peu s'y déplaire, et si bien s'y refaire des fatigues d'une vie trop mondaine, qu'une troisième fois encore s'abaissa devant lui le pont-levis de la prison d'Etat ; mais cette fois Dubois, devenu son ennemi mortel, en voulait à la tête, beaucoup plus qu'à la liberté de Richelieu, taxé de conspiration. Un cachot fut la chambre que le ministre lui assigna : d'abord, sous les fossés de la Bastille ; par bonheur intervinrent Mlle de Charolais et Mlle de Valois, l'une et l'autre filles du régent ; ces deux princesses, qui l'aimaient à tout risque, mirent de côté toute rivalité pour travailler, comme un seul homme, à la libération du criminel d'Etat. Les murs ne pouvant s'abaisser tout à-coup devant leur idole, Richelieu put du moins jouir d'un adoucissement, en se promenant une heure par jour sur la plate-forme d'une tour, d'où il contemplait à loisir ses bienfaitrices qui épiaient, rue Saint-Antoine, la gratitude d'un regard et d'un baiser soufflé au bout des doigts. Bientôt même il y eut foule à l'heure convenue, et ce fut à la mode, pour force belles dames, roulant en vis-à-vis toutes seules, avec une affection sentimentale, d'aller en jubilé faire une révérence processionnelle à l'aurore, si ce n'est au couchant de leur amour, sous les créneaux. Un exil à Conflans, chez le cardinal de Noailles, servit de commutation à un embastillement, qui avait pris tout l'air d'une sérénade renversée, et l'incorrigible Richelieu devint, soit disgrâce, soit bonnes grâces, plus que jamais la coqueluche des boudoirs et le héros des ruelles : il crevait des chevaux toutes les nuits, pour venir souper à Paris avec les femmes ou les maîtresses des premières têtes du royaume. La mort du cardinal Dubois et du duc d'Orléans délivrèrent le jeune duc de ses dernières entraves ; celle du marquis de Dangeau le fit nommer, de plus, membre de l'Académie française, d'une voix unanime, à l'âge de 24 ans, bien qu'il ne sût pas l'orthographe ; Fontenelle, Destouches et Campistron composèrent le discours du juvénile récipiendaire, petit-neveu du fondateur de l'Académie, que déjà le parlement avait reçu pair a cause de son duché.

Après tout, quoi de plus brillant que la carrière des hommes a bonnes fortunes ! Les temps ne changent qu'en apparence aux honneurs de tout genre qui pleuvent tôt ou tard sur l'Homme dont le mérite est goûté, recherché des femmes. L'Académie elle-même subit à chaque instant le charme des cautions féminines, avec une dignité qui cache plus ou moins la grâce des intrigues de salon et d'autres moyens de séductions sans réplique. Les agréments de la jeunesse ne font dans le monde que des héros qui passent, mais plusieurs générations d'œillades, de sourires, de soupirs et de regrets ne se réunissent ni sur un damoiseau qui n'a que sa belle jambe, ni sur un faux brave, ni sur un bel esprit de rencontre, ni sur un grand seigneur qui doit tout à son nom ou a ses richesses. Le vainqueur de Mahon n'était pas un homme ordinaire.

On sait que le roi Louis XV aima toujours ce maréchal de Richelieu, courtisan agréable, habile diplomate, vaillant et fidèle serviteur, et que cet Alcibiade français eut l'esprit de mourir, après avoir rempli Versailles et Marly jusqu'à la fin du bruit de ses galanteries, un peu avant les crises révolutionnaires. Beaucoup de la jeunesse du Nestor de l'amour facile, ou pour mieux dire empreint de voltairianisme, s'était passée quai du Dauphin, alias des Balcons, et c'est le quai que nous appelons de Béthune.

M. Vielle :
L'escalier des communs de l'hôtel Richelieu, avec sa rampe en chêne, se retrouve en très bon état dans la maison qui donne sur la rue du sous-sol qui en fait partie il partait une galerie, ouverte du temps du vieux duc, dérobée du temps de Tronsac, qui conduisait à la rivière, où une embarcation était amarrée constamment. M. Vielle occupe, sous ce toit, un remarquable appartement, dont les sculptures dorées rappellent en quelque sorte les royales magnificences de l'hôtel peu distant qu'a habité Lauzun, au quai d'Anjou. On réaliserait une fortune de membre du conseil d'administration d'un chemin de fer, si l'on raclait les plafonds, les murailles des appartements de l'île Saint-Louis, et notamment de ceux qu'ont habités, sous Louis XIV, le prétendu de Mademoiselle et l'imberbe petit duc, appelé ma petite poupée par la duchesse de Bourgogne. Par bonheur tous les négociants de notre époque ne font pas partie de la bande noire, et M. Vielle n'a pas la moindre envie de faire ramoner, comme une cheminée, les décors de son intérieur. Au contraire, il s'est plu à rassembler, sous de brillants lambris, bien des choses qui elles-mêmes ont une valeur idéale et réelle, d'élégance et de souvenir. Ces encoignures, ce cabinet de dame, cette fontaine, ce charmant biscuit, et ces bronzes, d'une exquise finesse de ciselure, ont été achetés à Louveciennes, chez Mme Dubarry par le beau-père de M. Vielle. Cette autre table à écrire vient de Mirabeau. Des peintures d'Antigna, l'ami de la maison, ne rajeunissent-elles pas suffisamment l'ensemble de ces curiosités rétrospectives ?

Le Feuve de la Malmaison :
Maintenant, ami lecteur, permettez-moi d'accorder en passant un léger souvenir à deux frères, que vous connaissez peut-être, et dont le cadet compte à peine une année de plus que l'aîné, bien qu'une génération, à première vue, semble les séparer. Tous deux ont dépassé la cinquantaine. L'un se fait teindre en blond les favoris et la chevelure, porte un corset, laisse voir des dents d'autant plus blanches et régulières qu'il en change tous les six mois ; il s'habille à l'étroit, comme un parapluie au fourreau, et il met sur l'oreille un chapeau qui devine la mode un an d'avance. Les cheveux de l'autre, en revanche, ont l'air d'être poudrés ; son vestiaire prévoit constamment le retour d'un embonpoint dont il avait pris la mesure ; un formidable bord fait de sa coiffure une ombrelle, et son sourire, qui n'est plus perfide que pour lui, explique par quelques lacunes les fossettes qui, s'il ne riait plus, lui donneraient l'air trop boudeur. Celui-ci est pourtant un peu plus jeune que celui-là, et je compare ces deux frères disparates à deux maisons ; le 20 et le 22, sur le quai même qui nous occupe. La première n'a d'autre coquetterie que de porter convenablement son âge ; le seconde affecte l'air juvénile. Toutes les deux néanmoins sont duègnes, par les années ; une rampe d'escalier en fer qui a tenu bon, signe leur acte de naissance. C'était, sur la fin du règne de Louis-le-Grand, un seul et même hôtel, habité par un conseiller aux aides, puis au parlement, Antoite Le Feuve de la Malmaison, lequel compte parmi les ancêtres de l'auteur de la présente monographie. Sa fille Cathérine-Charlotte Le Feuve hérita de la propriété, mais habita rue de la Femme-sans-tête (aujourd'hui rue Le Regrattier) ; elle avait épousé un secrétaire du roi, introducteur des ambassadeurs, Michel de Chabenat, seigneur de Bonneuil et de la Malmaison, fils d'Etienne Chabenat, vicomte de Savigny, introducteur des ambassadeurs. Le fils de Mme de Chabenat mourut conseiller au parlement en 1747 et laissa trois enfants, dont l'un siège a à la place de son père.

Denis Hesselin. Parent-Duchâtelet. Le Nonce. Les Balcons et les Sérénades sur l'Eau. La grande Robe et les Grands-Échansons :
Levau dessina l'hôtel qui suit pour Demis Hesselin, panetier du roi, puis prévôt des marchands pendant deux ans, qui avait acquis 416 toises de terrain ; seulement le corps de logis qui s'éclaire sur la rue Poulletier fut élevé quelque années plus tard, et il ne s'est détaché de l'hôtel qu'en l'année 1826, pour servir de presbytère à la paroisse. Lenau y ayant eu pour collaborateurs des artistes de choix, l'ornementation était remarquable ; de nombreux bas-reliefs décoraient l'intérieur, et des miroirs le vestibule. Hesselin eut pour successeur, en 1669 François Molé, seigneur de Charonne, conseiller du roi, abbé de Sainte-Croix à Bordeaux, qui un demi-siècle après vendit au sieur Monerat, lequel eut pour cessionnaire en 1787 messire d'Ambrun de Moûtalets, intendant d'Auvergne. L'hôtel d'Ambrun fût acheté ensuite par le sieur Brochant, dont la veuve eut pour héritier M. Lechanteur. Mlle Lechanteur enfin a épousé M. Parent-Duchâtelet, qui a laissé un livre sur la prostitution ; cette dame, aujourd'hui veuve, a fait exhausser de deux étages la maison qui lui est restée. Parmi les locataires, qui s'y sont aussi succédé, il convient de signaler un nonce du Pape, dont le séjour remonte à l'époque de la publication de la bulle Unigenitus. L'ambassadeur du Saint-Père avait là une chapelle admirablement décorée, mais la destination de cette pièce de son appartement a dû être changée pour des occupants plus bourgeois, au nombre desquels a figuré M. Loquet, alors qu'il était maire du IXe arrondissement.

Le nonce apostolique avait aussi, dit-on, pour escalier un ancien salon de musique ; le fait est qu'un bas-relief en pierre y représentait Apollon et les Muses et qu'on découvrirait encore, sur la cage des degrés actuels, des peintures et des sculptures qui percent sous le badigeon. Toutefois les sérénades que se donnaient les riches insulaires partaient, de préférence, d'un bateau où, la nuit venue, les musiciens jetaient l'ancre sur la rivière. La sérénade nocturne convenait pour le mieux aux nombreuses galeries en saillie qui donnaient une couleur castillane à toutes les maisons du quai des Balcons, leur construction, d'ailleurs, était contemporaine de la représentation du Cid et de Don Sanche d'Aragon, qui mettaient l'Espagne à la mode plus encore que ne l'ont fait depuis les romans de Lesage et plus tard Hernani. Une vieille porte, une cour en demi-lune et un charmant balcon sur le devant sont restés, chez Mme Parent-Duchâtelet, ce qu'ils étaient au temps du nonce et des magistrats qui lui ont d'abord succédé. L'asile par excellence de la grande robe était cette ancienne île Notre-Dame, à laquelle n'en convenait que mieux le nom d'un roi qui avait rendu la justice jusque sous un chêne, à Vincennes

M. Perducet :
L'élite des marchands de vins en gros remplace, à l'heure qu'il est, les gros bonnets de la magistrature et du barreau dans un certain nombre des salons insulaires. L'éloquence du vin a cela de bon qu'elle coûte encore moins cher que celle des avocats et qu'elle perd plus gaiement son procès quand la raison passe de l'autre côté. Aussi ne répugna-t-il pas à des Montmorency de se qualifier grands bouteillers de France ! Pourquoi nos meilleurs marchands de vins ne seraient-ils pas logés comme dès seigneurs ? Feu M. Perducet, qui en vendit beaucoup avant de passer banquier, et dont les fils continuent le commerce, fut propriétaire du 26, refait à neuf en 1839. C'était un très brave homme, charitable comme un apôtre, adjoint au maire d'un arrondissement ; une maladie l'avait rendu aveugle, mais la science moderne lui avait restitué ce bien, qui ne se rachète pas ordinairement, la vue. Sa maison du quai de Béthune était abandonnée à la garde unique d'un portier, et délabrée de fond en comble lorsqu'il en fit l'acquisition des héritiers de Mme Dufour de Villeneuve. Cette dernière était morte en Auvergne, où elle s'était enfuie au premier coup de canon des journées de Juillet 1830, d'autant plus effrayée que son mari avait perdu la vie sur l'échafaud d'une autre révolution. L'immeuble avait été, au dernier siècle, l'hôtel de Binanville ; il appartient aujourd'hui à un banquier, M. Gilet.

De la maison qui vient ensuite, pourvue d'un vénérable escalier à rampe de fer, dispose M. Joigne. En y procédant à des réparations, il y a dix ans, on a trouvé un puits au milieu des caves. En effet, le sous-sol servait, dans le principe, de rez-de-chaussée à la propriété, et il en était de même pour les autres maisons riveraines, avant qu'il y eût réellement un quai. Chacune d'elles avait de plain-pied son embarcadère sur la Seine.

Le Chevalier Turgôt. Gomberville. Hôtel Perrault. M. Beuron :
Le 30 est également du siècle de Louis XIV. De délicieux reliefs dorés attestent cette origine, dans le salon et dans le cabinet de M.Tiercelin, qui en jouit. On venait y visiter le cabinet l'histoire naturelle du chevalier Turgot, frère du ministre, membre de l'Académie des sciences, peu d'années avant que le quai essayât involontairement de s'appeler de la Liberté. N'est-ce pas aussi l'ancienne demeure de Martin Le Roy, sieur de Gomberville et du Parc aux Chevaux ? Ce romancier, l'un des quarante, avait été secrétaire du roi, mais il s'était vu dans l'obligation de vendre sa charge, en raison du mécontentement qu'avait donné un petit livre de sa façon à la reine mère Anne d'Autriche. A force d'épargne il devint riche, et il affichait une austérité janséniste dont s'accommodait l'avarice ; il finit par être marguillier de Saint-Louis-en-l'Ile. Il avait pris une précaution qui ne messiérait pas aux romanciers actuels, en faisant mettre par Conrart dans le privilège de Polexandre qu'il était défendu « à tous faiseurs de comédies de prendre des arguments de pièces de théâtre dans son roman, sans sa permission ».

M. Carpentier, M. Monvoisin et Mme la marquise du Sandat, laquelle habite le château du même nom dans le département de la Gironde, possèdent le 32, le 34 et le 36. Deux de ces immeubles ont gardé, en dépit de maintes restaurations, leur cachet de contemporanéité avec le maréchal de Richelieu. Le dernier de ces numéros, restauré à plusieurs reprises par M. Gailleton et M. Jaluzot, qui s'y sont succédé comme propriétaires depuis le commencement de l'ère impériale, a perdu son premier aspect. Les insulaires d'un certain âge le qualifient encore hôtel Perrault. Mme la marquise de Forges l'a vendu, en 1807, à M. Jaluzot ; c'était la nièce du président Perrault, descendant de l'architecte qui, malgré tout son mérite, a défrayé la verve satirique de Boileau. De quelle cour était ce président ? probablement celle des comptes. Une tradition plus ancienne révèle qu'au temps de la Fronde, les vastes caves de cet immeuble servaient en secret d'entrepôt à des armes, qu'on en faisait sortir la nuit par une gargouilla donnant sur la Seine. Cette ouverture, fermée d'une large grille, existe encore, et elle parait dater d'une époque antérieure à tous ces mascarons contemporains de l'architecte Perrault, qui décorent la plupart des portes sur le quai.

Quant au 38, c'est un haut bâtiment percé de petites fenêtres et d'une petite porte, mais qui n'a rien perdu de sa physionomie première. M. Rousseau, notre envoyé, a reçu les communications de M. Beuron, marchand de bois, qui en est le propriétaire ; à son dire les maisons adjacentes de la rue des Deux-Ponts n'en auraient jadis fait qu'une avec la sienne, et c'est été d'abord un couvent. Effectivement chacune des habitations magistrales qui viennent de défiler devant nous ont eu leur miniature gravée au milieu du siècle XVIII sur le plan de Turgot, et la dernière n'y a pas plus manqué que la cour en parallélogramme qui lui est commune avec les premières maisons de la rue des Deux-Ponts. Nous remarquons pourtant dans cette photographie anticipée, qu'il y avait dès lors des boutiques à l'encoignure : ce qui ordinairement parait peu compatible avec la vocation monacale d'un édifice. D'autre part, nous n'ignorons pas que le Président Lambert de Thorigny fut propriétaire de tout le carré.

Il y a plus, le nombre des bâtiments était déjà le même en 1640, qu'à présent sur ce quai et n'y voyons-nous pas la preuve que les maçons allaient plus vite en besogne que les terrassiers ? Le Regrattier trésorier de la garde du corps du roi, ne s'était associé que vingt-six années plus tôt avec Marie et Poulletier, pour entreprendre l'établissement des ponts et des quais de l'île : le quai du Dauphin, pour sa part, ne s'acheva qu'en l'année 1646.


 

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