Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DE LA CITÉ
IVe arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1858. La rue de la Cité, telle qu'elle était encore, n'a plus absolument de commun que la longueur et le nom avec la rue qui la remplace. Commençant : quai de la Corse. Finissant : place du Parvis Notre-Dame et quai du Marché Neuf. Historique : déc. min. du 13 mai 1834, réunissant les rues de la Lanterne, de la Juiverie et du Marché Palu sous le nom de rue de la Cité. L'ancienne rue de la Lanterne (1326), qui était comprise entre l'actuel quai de la Corse et l'actuelle rue de Lutèce, a antérieurement été dénommée place Saint-Denis de la Chartre ou rue de la Place Saint-Denis de la Chartre, rue Devant la Croix Saint-Denis ou rue de la Croix Saint-Denis, rue Devant la Place Saint-Denis, rue de la Jusrie, Juirie ou Juiverie et rue du Pont Notre-Dame. En 1934, elle a été englobée dans la place Louis Lépine. L'ancienne rue de la Juiverie a porté les noms de Juivrerie, Jusrie, Juirie, Juisvie. L'ancienne rue du Marché Palu, comprise entre le Petit Pont et la façade de l'hôtel Dieu, était, avant le XVIIe siècle, confondue avec la rue de la Juiverie. Origine du nom : traverse l'île de la Cité.

Les premières Armes de la Guimard. – La Pomme de Pin. – La Bouteille-d'Or. – Le Vaudevilliste Fontan. – Le Marché-Palu.

La portion de la rue de la Cité située entre le pont Notre-Dame et la rue des Marmousets s'appelait de la Lanterne, en raison d'une enseigne, qui s'y brandissait dès l'an 1326 ; on l'intitula également rue et place Saint-Denis-de-la-Chartre, à cause de l'église de ce nom, sise près ledit pont et aliénée par la Nation le 29 frimaire an VII. Le pourtour de Saint-Denis-de-la-Chartre devait aux privilèges de son prieuré d'être lieu de franchise pour les ouvriers sans maîtrise.

Dans une maison qui répond de nos jours au néfaste chiffre 13, ancienne rue de la Lanterne, vis-à-vis l'église de Sainte-Croix, naquit, le 10 octobre 1743, Marié-Madeleine Morelle, fille d'honnêtes gens, débauchée, par le juif Bernard. Morelle était le nom de la mère, qui pendant fort longtemps alla voir Bernard au Châtelet, où il était détenu pour dettes ; mais ce dernier mourut dans sa prison, et pour faire bientôt une danseuse de son enfant, qui grandissait, la survivante ne craignit pas d'emprunter sur des espérances, dont se payèrent deux amateurs, qui consentaient à faire des avances bien risquées M. d'Harnoncourt et le président de Saint-Lubin.

La jeune élève de Terpsichore, dont le talent s'était développé, débuta avec agrément, en 1759, dans les ballets de la Comédie-Française, sous le nom de Mme Guimard ; son corsage avait déjà fait comme son talent, bien qu'elle ne fût pas grasse, et sans qu'on la pût dire jolie, elle avait l'oeil fripon en diable. On dit que plus tard ce fut la main, et le fait est que ses amours, dans la suite, brillèrent d'un faste sans égal. Mais elle passait encore pour sage, après une année de théâtre, en dépit de son amour pour un jeune danseur, Prévost-Hyacinthe, qu'elle avait eu pour maître de ballet. La mère, dont la vigilance était hostile à cette inclination de coulisses, produisait de préférence la fille dans les foyers mêmes de la Comédie, théâtre d'opulentes séductions, en affirmant qu'elle avait quatorze ans, bien qu'elle en comptât trois de plus.

Mlle Guimard y fut en butte aux hommages de Bertin, trésorier des parties-casuelles, protecteur à grands frais depuis plusieurs années d'une de ses camarades, Mlle Hus. Celle-ci n'avait jamais reculé devant une rivale ; chef d'emploi, en amour, elle craignait les doublures. Non seulement la maîtresse en titre du trésorier avait rang, comme danseuse, dans les divertissements chorégraphiques ; mais, de plus, elle jouait la comédie, elle était aussi tragédienne, et il y avait à redouter, pour qui marcherait sur les brisées de ses amours, qu'elle remplît pour de bon le rôle de Médée. Il est vrai que si Mlle Hus était femme à se venger de Mlle Guimard, la mère de celle-ci avait pour la défendre bec et ongles.

Bref, la partie était casuelle ; néanmoins on en vint à bout. Mlle Guimard quitta la maison de la Cité pour s'installer près de la Comédie, dans un appartement que Bertin avait fait meubler, et ce dernier ne gênait pas ses maîtresses, Prévost-Hyacinthe s'en aperçut.

A la rue de la Lanterne faisait suite la rue de la Juiverie, qui était habitée, surtout au XIIe siècle, par des juifs ; on y trouvait pourtant une autre église, la Madeleine. Puis venait la halle de Beauce, affectée au commerce du blé, dont le privilège fut donné par, Philippe-Auguste à son échanson, puis par cet échanson à Philippe de Convers, chanoine de Notre-Dame. Comme ce marché se tenait dans la rue, il en motiva, dans le cours de l'année 1507, un premier élargissement, qui de nos jours n'était plus suffisant, mais dont la date nous indique l'âge des plus anciennes maisons sujettes encore à reculement, ainsi que de la plupart de celles qui, plutôt que de subir le second retrait, ont disparu.

Parmi celles qu'a fait supprimer le percement de la rue Constantine figurait le cabaret, de la Pomme-de-Pin, faisant face à une rue de la Madeleine. Rabelais l'a célébré, Régnier en a chanté ensuite la décadence momentanée ; puis l'endroit a recommencé d'être à la mode sous les auspices du grand Crenet, des frères Brossin, du conseiller Brilhac. Chapelle y a grisé Boileau, et à ces deux convives se joignaient une fois par semaine Molière, Lafontaine et Racine, qui a écrit là Les Plaideurs. Lulli, Mignard, Furetières et Dufresnoi ont fréquenté les mêmes tables. Le peu de luxe du service n'en tenait pas éloignés les simples mousquetaires ; mais les gens de qualité qui s'y pressaient, dans le grand siècle, empêchaient qu'on rinçât les verres où les gens d'esprit avaient bu. Pomme-de-Pin, qu'es-tu devenue ?

En revanche, voici une brasserie, dont la création remonte à 1795 : la cervoise, plus que jamais, s'épanche sur la lisière du marché concédé autrefois à l'échanson royal. Ce n'est pas que le vin y ait tari ; voilà, tout près de la brasserie, un cabaret ouvert dès 1630, la Bouteille-d'Or, dans une maison qu'on a refaite depuis peu, pour la mettre à l'alignement, et qu'occupait au XVIe siècle un cordonnier, à l'image du Sabot-d'Or.
La famille Boudaille à tenu, pendant un siècle, la Bouteille-d'Or ; les Béjot ne lui ont succédé qu'en l'année 1829.

Le 43, vieille maison qui avance, fut le domicile du vaudevilliste Fontan, qui ne soignait guère la tenue de sa personne, mais qui buvait comme Chapelle. Un jour qu'il passait rue Vivienne, dans un état d'ébriété qui le forçait à prendre le mur pour canne, un monsieur de sa connaissance le salua ; Fontan de s'écrier aussitôt, en oubliant volontairement de lui ôter son chapeau : – Faut-il que ce monsieur soit poli, de me reconnaître dans un pareil état !

Mais ledit 43 vient après la rue Saint-Christophe, vis-à-vis celle de la Calandre, et ces deux voies de communication séparaient la rue de la Juiverie de celle du Marché-Palu, aboutissant au Petit-Pont. Dès le siècle XIII étaient connus la rue Palu, et son marché, qui constituait un fief. Ce nom venait de palus, marais, au sens de la plupart de nos historiographes. Toutefois l'île de la Cité, incontestable berceau de notre ville, n'avait rien de marécageux ; une enceinte de murs la gardait des inondations, et assurément rues et monuments, habitations et habitants s'y pressaient fort l'un contre l'autre. Nous oserons donc chercher, à notre tour, une étymologie plus rationnelle et rappeler que le même mot latin veut dire aussi échalas, poteau, pieu. Il existe encore un marché à l'angle du susdit Petit-Pont ; n'y revoit-on pas, tout comme il y a six siècles, des pieux chargés, chaque matin, du pavillon portatif des marchandes ? Tibulle a dit dans la même acception :

 


 

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