Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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QUAI DES CÉLESTINS
IVe arrondissement de Paris
(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1858. Commençant : pont de Sully de la rive droite et boulevard Henri Iv, 11. Finissant : pont Marie et rue des Nonnains D'hyères, 2. Monument classé : pont Marie. Historique : cette voie existait à la fin du XIIIe siècle. Précédemment partie de la rue de Sully (partie A), du quai des Célestin (partie
B) et du quai des Ormes. Le quai des Ormes fut formé au XIVe siècle.
I. fut appelé anciennement quai Mofils ou de Monfils ou de l'Arche Beaufils.
I. porta le nom de place aux Veaux au XVIIe siècle. La rue de Sully était précédemment la rue Neuve de Sully. Origine du nom : couvent des Célestins fondé en 1352.

Notre vin de Falerne. – Les Fieubet. – Les Villas de Saint-Germain-en-Laye sous Louis XIV. – Les Nicolaï. – M. de Mareuil. – Rançonnette. – Les Célestins.

Ne disons jamais de mal des maisons de rapport, nous trouverions trop d'incrédules : ô méchant buveur d'eau, s'écrierait-on, tu médis de l'ambroisie ! Mais chacun comme il peut remplit son verre, et sans mépriser la piquette qui a la quantité pour elle, nous préférons à ce vin fugitif, et qui n'est pas de garde, celui qui représente à notre époque le vieux falerne d'Horace, Torquato consule. Si vieux, répliquent les convives réalistes, qu'il en est éventé, qu'il a perdu sa force ! C'est égal, j'y reconnais le crû de la Campanie, l'essence fumeuse, mordante et suave qui distingue encore du villum et de la vappa, piquettes aigres-douces des Romains, la langueur suprême du falerne. S'il y a, du reste, une limité que pour le vin généreux, elle est bien moins rapprochée de la jeunesse que l'âge de plaire pour les faibles humains. Ninon et Richelieu n'ont eu que par exception le mérite de se faire aimer au-delà de la soixantaine. C'est autre chose pour les maisons à souvenirs, comme pour les monuments de l'art ; elles gagnent jusqu'au dernier moment quelque chose à vieillir, et si nous retrouvions le nid, d'Adam et Eve, il nous inspirerait à coup sûr plus d'intérêt encore qu'à eux-mêmes, soit avant, soit après le péché.

Il y a bien à porter en compte pour l'architecture, la peinture, la sculpture et la dorure, l'œuvre du temps, qui les dégrade ; mais les restaurations font encore plus de tort depuis qu'elles exhaussent les façades, en supprimant force jardins et presque autant de cours. Quel bonheur quand la maison historique ne cesse pas d'être reconnaissable, au travers des additions modernes qui visent à cuber le revenu de l'immeuble !

Nos compliments sont dus à M. le comte Lavalette, ancien rédacteur en chef de l'Assemblée Nationale, en ce qu'il préside avec un goût d'artiste au rétablissement d'un vieil hôtel, 6, quai des Célestins, qui méritait de ne pas déroger. Un campanile, qui donne à l'édifice quelque apparence monacale, n'est que la cage d'un charmant belvédère, d'où s'étend une vue admirable. La galerie de balustres qui couronne presque la maison et les statues qui la rehaussent si bien, sont-elles d'hier, ou du fait de Hardouin-Mansart, qui a déjà restauré l'hôtel ? Nous penchons pour l'époque actuelle ; en tout cas, c'est une véritable renaissance. Ledit, Mansart est mort l'année 1708, et nous avons sous les yeux une gravure de 1680, dont l'auteur est Pérelle, qui représente la maison de M. de Lavalette, avec son double pavillon par-devant, mais décapitée de l'auréole que lui font cette balustrade, ces figures de plein relief, et ce petit clocher à jour.

L'hôtel a porté les noms de Combourg et de Fiéubet ; il a été bâti, lui aussi, sur l'emplacement du royal manoir de Saint-Paul, qui ouvrait de même sur le quai et que les rois avaient abandonné pour celui des Tournelles, avant que François Ier en cédât à Jacques.

Genouillac, dit Gaillet, grand-maître de l'artillerie, de quoi établir son arsenal. Anne de Béthune, veuve de Timoléon Beauvert, baron de Cournay, fille ou petite-fille du baron de Moncrif, a vendu la maison en 1668 à Henri de Senneterre, ministre d'État. Gaspard de Fieubet, baron de Launac, conseiller secrétaire du roi, l'a achetée de ce dernier, et c'est précisément à l'église des Célestins, dont le cloître est occupé de nos jours, au coin de la rue de Sully, par la caserne des Célestins, que les secrétaires du roi faisaient dire leurs messes et célébrer leurs cérémonies, depuis Charles V ; ils étaient tous de la paroisse qu'ils habitassent ou non le quartier.

Fieubet a été nommé chancelier de la reine Anne d'Autriche, en l'année 1671. Auteur de petits vers bien faits, qui avec lui couraient les ruelles, c'était un homme de plaisir, marié et puis veuf sans enfants, d'une politesse d'esprit fort agréable aux gens de lettres dont il aimait la société, ami surtout de Saint-Pavin, auquel il fit cette épitaphe :

Sous ce tombeau gît Saint-Pavin
Donne des larmes à sa fin.
Tu fus de ses amis peut-être ;
Pleure ton sort avec le sien.
Tu n'en fus pas ?
Pleure-le tien,
Passant, d'avoir manqué d'en être.

La villa du chancelier de la reine florissait à Saint-Germain-en-Laye et lui donnait pour voisins de campagne Jean-Antoine de Mesmes, comte d'Avaux ; Bontemps, premier valet de chambre du roi ; Claude-Antoine de Saint-Simon, marquis de Courtomer ; le cardinal prince de Furstenberg, évêque de Strasbourg ; le maréchal d'Aubusson, duc de Roannais et de la Feuillade ; le maréchal de Durf'ort-Duras, duc de l'orges, neveu de Turenne ; Louis de Bouchet, comte de Montsoreau ; marquis de Sourches, prévôt de l'hôtel du roi, grand prévôt de France ; le duc de la Vieuville et Turenne.

La maison de campagne de Gaspard de Fieubet resta vacante, comme sa maison de ville, lorsqu'il se retira aux Camaldules, près de Grosbois, où il trépassa en 1694.

Sa sœur Élisabeth avait épousé Nicolas de Nicolaï, premier président en la cour des Comptes, et ce mariage avait occasionné la division de la vaste propriété les Nicolaï, pour leur part, avaient pris possession du n° 10 d'à présent, qui ne remonte qu'aux Fieubet : il y reste un remarquable escalier du style Louis XIII, ainsi que des grilles de fenêtres, que marque la lettre N. Morte en 1666, la présidente Nicolaï a laissé une fille unique, mariée à Lotus de Rochechouart, duc de Mortemart, pair de France, lieutenant général des armées du roi ; celle-ci, une fois veuve, a fait donation de l'hôtel, pour qu'il ne sortît pas de la famille, au président Jean de Nicolaï, marquis de Goussainville, lequel a eu pour héritier son fils. Le marquis de Nicolaï a vendu en l'année 1770 à Pigory-Delavault, pensionnaire du roi, ladite portion de l'ancien hôtel Combourg, donnée alors en location à François Romieu, trésorier général du sceau de la Chancellerie, époux de Mme Moncrif. Mme Pigory, femme Lemercier, y a succédé à son père. En 1854, le même immeuble a servi d'atelier pour l'habillement de la garde impériale ; puis on a procédé à une réparation, qui en fait une résidence confortable.

Quant à l'hôtel Fieubet proprement dit il était échu à Amie de Fieubet, conseiller au parlement, frère de la duchesse de Mortemart. Paul de Fieubot, fils d'Anne et magistrat également, est mort subitement sous ce toit en 1718. La génération suivante a vu la petite vérole enlever à un second Gaspard de Fieubet, tout aussi prématurément, sa femme et puis son fils, inhumés à l'église Saint-Paul, dans une sépulture de famille. Le second fils de Paul, héritier de la propriété après la mort du fils aîné, avait uni sa fille à Mathias Raoul, comte de Gaucourt, maréchal de camp, dernier propriétaire du chef du chancelier les Gaucourt, souche de vieille noblesse, avaient longtemps porté, comme écuyers du roi pour ainsi dire par droit héréditaire, le titre d'enfants d'honneur du roi. L'ancien hôtel Fieubet s'appelait Mareuil en 1813. M. de la Haye des Fossés en était propriétaire sous la Restauration et l'habitait avec son gendre, M. Boula de Mareuil.

Au reste, le quai des Célestins a gardé plus de deux maisons des siècles qui nous ont précédés. J'en atteste la vieille rampe de fer qu'on retrouve au n° 16 et la belle porte cochère, ferrée de grosses têtes de clous, qui se remarque au n° 22. Y demeure M. Rançonnette, paysagiste recommandable, qui a aussi voué un culte d'artiste à tout ce qui survit du vieux Paris. Des caves subsistent sous le n° 20, qui ont appartenu au séjour de Saint-Paul. Quant au 24, il communique avec l'hôtel de la Vieuville, dont il a toujours fait partie, mais qui donne surtout rue Saint-Paul.

Les célestins, dont l'ordre avait été institué par le pape Célestin V au XIIIe siècle et introduit en France par Philippe le Bel, avaient un monastère près d'Orléans ; Charles V en fit venir six religieux dans un bâtiment de la place Maubert, qu'avaient abandonne les carmes, et puis les rapprocha plus encore de sa personne, en taillant leur part dans les jardins de son palais de Saint-Paul, où il posait la première pierre de leur église en l'an 1367. Le duc d'Orléans y fonda une chapelle expiatoire à la suite d'un sinistre, qui avait failli coûter la vie à Charles VI : un incendie avait éclaté au séjour d'Orléans, dans le bourg Saint-Marceau, qui n'était pas encore un faubourg de Paris, pendant une fête donnée au roi, le 30 janvier 1392, par la reine Blanche, veuve de Philippe de Valois. Les Trois Grâces de Germain Pilon, soutenant une urne où étaient placés le cœur de Henri II et celui de Catherine de Médicis, illustraient principalement cette chapelle ; une colonne aussi s'érigea à la mémoire de François II, et une autre urne conserva le cœur du connétable Anne de Montmorency, non loin du tombeau du duc d'Orléans et de Valentine de Milan, son épouse. D'autres monuments du même genre enrichissaient l'église, notamment le cénotaphe de l'amiral Chabot, par Jean Cousin, celui du duc de Rohan-Chabot, par Auguier. La corruption s'étant introduite dans l'ordre des célestins, il fut supprimé en 1778.

L'autorité forma cinq ans après dans l'ancien monastère, un hospice médico électrique, sous la direction de Ledru, dit Cornus, que Louis XV avait nommé professeur de physique des enfants de France. L'électricité était appliquée avec succès au traitement des maladies nerveuses, par ce physicien, que popularisèrent des séances consacrées à des expériences amusantes et aux premiers spectacles de fantasmagorie. L'institution de l'abbé de l'Épée pour l'édification des sourds-muets fut transférée aux Célestins en 1785. La Révolution emporta en son musée des Monuments Français ceux de la ci-devant église, qui, transformée en magasin de bois de charronnage, brûla quelques années plus tard, et dont les restes se convertirent ultérieurement en un quartier de cavalerie.



 

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