Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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RUE DU DRAGON
VIème arrondissement de Paris

(Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1859. Commençant : boulevard Saint-germain, 163. Finissant : rues de Grenelle, 2, et du Four, 56. Cette voie existait au XIVe siècle. Dénommée rue du Dragon en 1808, elle portait précédemment le nom de chemin ou rue du Saint-Sépulcre. Origine du nom : Le dégagement de l'ancienne cour du Dragon donnait sur cette rue.

Le Petit-Sépulcre. – L'École d'Équitation. – La Cour du Dragon. – Divers Hôtels. – Le Carrossier Raveneau. – La Famille Laplagne. – Bernard-Palissy. – Un Baroche. – Germain Brice.

Les chanoines du Saint-Sépulcre, ordre religieux et militaire, habitaient, dès le XVe siècle, une propriété sise dans une rue à laquelle s'étendit le nom de leur confrérie. Cette maison n'était que le Petit-Sépulcre, eu égard à leur grande maison hospitalière et à leur église collégiale du Sépulcre, que la cour Batave a fini par remplacer rue Saint-Denis. Puisque le Petit-Sépulcre était en ce temps-là voisin de l'habitation de la famille Taranne, laquelle se trouvait rue Taranne, non loin de la rue Saint-Benoît, nous serions porté à voir dans la cour actuelle du Dragon l'ancienne annexe de la susdite compagnie, religieuse. Mais les chanoines n'auraient pas eu que cela dans la rue. Un dragon sculpté qui figure, avec d'autres reliefs solidement accusés et de vieilles ferrures de croisées, sur le portique de cette cour, du côté de la rue Sainte-Marguerite, sert encore d'enseigne à l'immeuble.

N'y doit-il pas être regardé comme faisant allusion au dragon que la légende met sous les pieds de sainte Marguerite et qui ressemble au monstre fabuleux que terrasse ailleurs saint Michel ?

La cour du Dragon fut connue sous cette dénomination avant que la rue y prît part ; mais elle ne servait pas encore de passage au beau milieu du règne de Louis XIV. C'était alors l'ancienne Académie, dite bientôt l'académie Royale, sous la direction de Longpré et de Bernardy. Elle comptait autant de pensionnaires que la nouvelle, ouverte rue des Canettes. L'une et l'autre suivaient à l'envi les traditions de la première institution de ce genre, fondée par Pluvinel, sous la régence de Marie de Médicis. Les jeunes gens y apprenaient surtout ce dont un gentilhomme se passe le plus difficilement l'équitation, les armes, les mathématiques et la danse. En cette cour du Dragon, rue du Sépulcre, demeurait vers l'année 1770 Mlle Dubois, de la Comédie-Française, chez laquelle M. de Sarral avait ses grandes entrées, dans le même temps que Dorat ses petites.

Au commencement du règne de Louis XVI, Mme Crozat, la mère, et ne sait-on pas que le duc de Choiseul avait épousé une Crozat ? Était propriétaire de tout l'immeuble, où pullulaient déjà, comme locataires, des marchands de poêles et de ferraille.

Jusqu'à l'embouchure de la rue Sainte Marguerite s'étendit également, à l'origine, le jardin d'un hôtel presque contigu au manége royal de Longpré, et qui porte le n° 3. Il se peut très bien que Jean ou Christdphe de Taranne y ait été de longue date le prédécesseur de Boucher, écuyer, conseiller du roi, dont une autre rue a pris le nom ; dans tous les cas, Boucher a laissé la propriété à M. de Senneville, puis à Mlle d'Haraucourt, qui descendait d'une des quatre maisons de l'ancienne chevalerie de Paris, et M. le comte d'Haussonville l'a héritée de Mlle d'Haraucourt.

Les immeubles séculaires se suivent de près rue du Dragon, et l'on peut ajouter que beaucoup d'entre eux se ressemblent. Le 13 fut acquis avant la grande révolution par la famille de Mme Ruyneau-Fontaine, actuellement propriétaire ; 15, 17, 19 et 21, d'après leurs titres, sont de même acabit bourgeoisie décrassée çà et là par ses noms de terres, qui nous paraissent maintenant de vieille noblesse !

Les n°s 25, 27, 29, 31 et 33 ont été signalés à M. Rousseau, notre éclaireur patient, comme ancienne succursale des chanoines du Saint-Sépulcre. Unanimité de traditions à cet égard, dans le quartier, maints rapports de construction confirmant l'origine commune sans contrevenir à l'opinion locale. Pour en trouver le démenti, il a fallu remonter dans les actes authentiques et en comparer la teneur au trop peu qu'ont dit sur le Petit-Sépulcre les vieux ouvrages sur Paris. L'emplacement de ces immeubles a dépendu, dans le principe, d'un terrain dit la Chasse-Royale, et le carrefour de la Croix-Rouge a d’abord porté le nom de carrefour de la Maladrerie, parce que des granges hospitalières y ont recueilli nombre de pauvres gens atteints du mal de Naples ; puis on a mis les Incurables en possession d'une portion des dépendances de la Maladrerie, L'administration des biens réunis des hospices, dont le siège était à l'Hôtel Dieu, a consenti emphytéose en1784 à Raveneau, carrossier de la cour, du 25, du 27, du 31 et du 33, en lui imposant l'érection d'un nouveau corps de bâtiment.

Mais l'industrie de luxe de Raveneau a tant souffert des tempêtes politiques qui ont substitué à la Croix-Rouge un bonnet de la même couleur, qu'il en a quitté le coin de la rue du Dragon, pour s'attacher, comme inspecteur des charrois, aux armées de la République. Quant au bail emphytéotique, il, a été converti en toute propriété. Dans ces conditions nouvelles ont, été adjugés le n° 27 à Lambert, marchand d'hommé le 23avril 1813 ; le n° 29 à Magin, gendre de Raveneau, 8 mai1812 ; et le n°33, le 4 juin 1813, ainsi que le n° 92 de la rue du Four. M. Magin, qui a rempli longtemps les fonctions de caissier de l'administration des Hospices, a acquis également, le 17 décembre 1813, la nue-propriété du n° 31, dont son beau-père ne l'avait fait qu'usufruitier.

On dit bien que vis-à-vis du 25 s'étala une propriété capitulaire du Saint-Sépulcre ; mais nous ne sommes pas tombé sur des documents qui confirmassent ou démentissent cette occupation primitive.

Le côté des numéros pairs compte encore des grandes portes. Voyez, par exemple, ce 34, ce 30, ce 18 et ce 16 ils n'ont pas attendu que le sellier d'en face, industriel du temps de Louis XVI, multipliât les voitures dans la rue, pour ouvrir grands leurs deux battants, qui semblent même avoir pris 1a mesure des carrosses du XVIIe siècle, plutôt que des vis-à-vis à la mode sous le règne de Louis XV.

Parmi les maisons plus modestes qui remontent à une époque assurément plus reculée, il en est une, répondant au chiffre 24, que signale pour enseigne une terre cuite de Bernard-Palissy Samson y est représenté terrassant le lion historique, dont la mâchoire servit d'épouvantail à une armée de Philistins. C'est maintenant un hôtel garni, avec une boutique honorant elle-même, à sa manière, la mémoire de ce protestant, savant et célèbre émailleur on y débite par choppes le vin des huguenots, ses coreligionnaires. Un escalier à quilles de bois conduit aux chambres et date sans doute du XVe siècle. L'écusson en poterie a pour légende : Au fort Samson ; puis une inscription toute moderne s'exprime ainsi : Ancienne demeure de Bernard de Palissy, 1575.

Cet homme de génie était déjà dans un âge avancé lorsque s'ouvrit, en 1575, son cours d'histoire naturelle et de physique dans la rue du Sépulcre ; il y forma, ou il y transféra le premier cabinet d'histoire naturelle qu'on vît à Paris. Né dans le Midi au commencement du siècle, il avait échappé à la Saint-Barthélemy, grâce au logement qu'il occupait au Louvre, atelier d'où étaient sorties tant de belles poteries, ses Figulines ! Mais, en dépit de sa renommée d'artiste, du mérite primesautier de ses écrits, du succès croissant de ses leçons, et quelles que fussent ses vertus, le maître se vit incarcéré par l'influence des ligueurs et mourut en prison dans sa 90me année, tout à la fin du règne de Henri III.

De bois tout de même étaient les garnitures d'un escalier, dans le fond du n° 20 ; mais une très jolie rampe de fer s'y substitua à mi-corps, du temps de Louis XIII.

Le 18 appartenait en 1686 à Jean Girard, architecte et intendant des bâtiments et jardins du duc d'Orléans ; frère unique du roi, puis en 1720, chi chef de la veuve de Girard, à son second mari, Philippe de Loménie, écuyer, porte-manteau du régent de France. Bien plus tard, le baron Boyer, chirurgien de l'empereur, laissa la plus vieille de ces deux maisons à sa fille, qui épousa M. Laplagne-Barris, président à la cour de cassation.

M. Lacave-Laplagne, qui eut depuis le portefeuille des finances, habitait lui même le n° 10, en 1823. Propriété dans laquelle M. Rousseau a remarqué une porte à grande envergure, des vignes grimpantes, qui égaient la cour, un ancien puits à si petit orifice que pas une porte ne saurait s'y noyer, enfin une ferrure du siècle de Louis XIV aux degrés encagés dans l'arrière-corps de logis, qui est évidemment l'aîné. En 1673 furent élevées des constructions sur le terrain des n°s 14, 12, 10 et 8, sis à Saint Germain des Près, disait encore l'acte d'alors, et que s'étaient partagé plusieurs cohéritiers. Au nombre de ceux-ci nous remarquons : Le Maistre, architecte et ingénieur du roi, qui n'a sans doute pas cru déroger en travaillant dans cette rue pour lui-même.

Que plus petit et plus vieux est le n° 2 ! Deux mansardes y font des cornes. L'ombre qui en bifurque dans la rue n'a pas manqué de protéger contée les ardeurs de l'été le vieillard Bernard-Palissy, dont la radieuse mémoire a garanti son logis, par exception, de cette obscurité croissante qui en a envahi bien d'autres et que nous tentons enfin de dissiper.
Un nuage reste qui nous cache l'emplacement de certain hôtel de Strasbourg, à porte cochère, adjugé le 27 mai l752 à Charles-Antoine Baroche, contrôleur des rentes de l'hôtel de Ville, qui demeurait rue Sainte-Marguerite et à qui son emplette donna, dans notre rue, Métayer et Vinet pour tenants.

Il nous en coûte davantage de ne pas faire sortir de son rang, pour lui donner la grand croix de notre ordre, la modeste demeure de Germain Brice, dont la Description de Paris nous est chère. Cet historiographe, qui vécut de 1653 à1727, porta le titre d'abbé et un habit violet, sans avoir reçu la tonsure, sans avoir fait vœu de chasteté, et pour vivre il donna des leçons d'histoire, de géographie et de blason, rue du Sépulcre. Ses livres rapportaient si peu qu'il y avait pour l'auteur nécessité d'en dédier à des princes allemands. D'ailleurs, il ne manque pas de chroniqueurs rétrospectifs qui soient morts, comme Germain Brice, dans un état voisin de la misère, malgré la protection que s'honoraient de leur accorder un roi, des princes, des édiles. Tous les riches ne sont pas curieux et tous les curieux ne sont pas riches. Sous quel régime, d'ailleurs, et dans quel siècle ne fait-il pas meilleur pour la gent porte-plume de louer les vivants que les morts ?



 

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