Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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BOULEVARD MONTMARTRE
IIe IXe arrondissements de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1861. Monument classé au n° 7 : Théâtre des Variétés (façade et vestibule). Pendant la Révolution on l'appelait boulevard Montmarat. Origine du nom : Voisinage de l'ancienne porte Montmartre.

Frascati. – Le Comte de Mercy. – L'Inspecteur de Police et sa Maîtresse. – La Dlle Mars du XVIIIe siècle. – La Manufacture. – Boïeldieu. – Le Prince Tuffakine.

Cours, où des arbres furent plantés en 1676, se divisa postérieurement en boulevards de divers noms, et le boulevard Poissonnière fut assez longtemps dit de Montmartre. Celui qu'on connaît à présent sous son ancienne dénomination s'appelait boulevard Richelieu.

Il n'y reste plus trace de l'hôtel Lecoulteux, construit sur le plan de Brongniart ; mais l'enseigne d'un café et celle d'un pâtissier rappellent où furent le jardin et la maison de jeu Frascati, transformation de l'hôtel Lecoulteux à l'époque du Directoire. Garchi, glacier napolitain, avait fait du jardin un lieu public fort à la mode, dont la terrasse et les allées, le soir, alternaient l'ombre et la lumière au moyen de verres de couleur, au moyen de feux d'artifice tirés les jours de grande fête. Perrin prit à louage Frascati de M. du Thillère, grand-veneur de l'empereur ; il y transféra celle de ses banques de jeu qui s'exploitait dans une maison voisine, rue Richelieu, et puis le Grand-Salon des Etrangers, fondé dans un hôtel d'Augny que nous retrouverons rue Drouot.

Ce Perrin maria sa fille au neveu de Desaix et mourut insolvable, après avoir eu seize millions. Savary, ministre de la police, lui avait donné pour successeur à la ferme des jeux l'ancien fabricant d'armes nommé Bernard ; mais ce dernier, n'ayant pu obtenir de son, prédécesseur la cession du local de Frascati, avait porté de nouveau le Salon des Étrangers à l'hôtel d'Augny ; le tapis vert ne refleurit que plus tard à l'angle de la rue de Richelieu et du boulevard Montmartre.

Notre notice de la rue Drouot donne l'historique de la grande propriété située à l'opposite sur le boulevard. La maison qu'occupe l'ancien cercle a été un hôtel Mercy. Le comte de Mercy-d'Argenteau, ambassadeur, du Saint-Empire, y résida, comme à l'hôtel d'Augny ; il descendait de François de Mercy, dans lequel Turenne et le grand Condé eurent, en Allemagne, un si digne adversaire qu'on grava sur sa tombe cette épitaphe : « Sta, viator, herœm caltas. »

Le jardin de l'hôtel Montmorency, bâti en l'an 1704 sur les dessins de Lassurance, bordait le boulevard ; les regards du passant s'y arrêtaient sur un kiosque chinois, que M. de Montmorency-Luxembourg avait fait construire après coup. Le théâtre des Variétés, le passage des Panoramas et le prolongement de la rue Vivienne ouvrent sur les anciennes limites de ce jardin particulier.

Le café de la Porte-Montmartre existait déjà sous Louis XV : la maison d'encoignure où il s'est maintenu n'a été depuis que refaite. Ne retrouverait-on pas le logement qu'une fille Richard, dite Émilie, y arrêta au printemps de l'année 1764, deux étages au-dessus du limonadier ? Elle avait quitté brusquement, par une nuit du mois de mars, Marais, inspecteur de police, avec lequel elle vivait ; mais Brissault, leur ami commun, les avait remis en présence l'un de l'autre, et le subordonné de M. de Sartines avait subi, des conditions nouvelles qui consacraient l'indépendance d'une maîtresse digne d'un tel amant. Aux termes de cet arrangement, la Richard logeait seule et pouvait recevoir qui bon lui semblait, hommes ou femmes.

Deux femmes justement, ses pareilles, les nommées Martin et Latour, demeuraient sous le même toit, et la nouvelle venue entrait en tiers dans une affection particulière qu'elles avaient l'une pour l'autre.

Le côté droit du boulevard ne tarda pas à opposer au triumvirat féminin du coin de la rue Montmartre une héroïne à laquelle reviendrait une place plus brillante dans les fastes de la galanterie. Mais le dédain de la postérité n'est-il pas dû à cette sorte de gloire ? La femme galante qui eut pour domicile une des maisons restées debout entre l'hôtel Mercy et la rue du Faubourg-Montmartre, portait un nom que sa fille ou sa nièce a rendu célèbre au théâtre, et il semble que la vie privée des comédiennes relève elle-même des lumières de la rampe.

D'historiettes se compose toute leur biographie ; et il peut en fleurir jusque sur les rameaux de leur arbre généalogique. La Mère de Mars fut actrice en province, et elle parut aussi sur le théâtre de la République ; mais on ne la citait que pour sa beauté. Elle ou sa sœur fut la Dlle Mars, née en Provence, qui se fit quelque temps appeler Salveta.

Cette fille avait débarqué en 1768, jeune et jolie comme les Amours, chez la Dlle Marquise, une grosse marseillaise dont nous avons à parler plus d'une fois ; Cormier de Chamilly, trésorier des écuries du roi, avait eu soin, sa femme étant jalouse, de ne donner que peu de notoriété à son intrigue avec cette recrue qui n'était plus une débutante, car, elle avait déjà, connu, outre Diesbach, officier suisse, un riche Américan, M. de Carcadeux.

Ce dernier, en renouant avec elle au printemps, s'allégeait de 30 louis par mois. Mais que faisait-elle au temps chaud ? A cette question les échos du boulevard ne répondent plus en chœur et d'un seul trait ; la multiplicité des sons, la confusion des voix, les disparates remplacent l'unisson, et, au lieu d'une note à la fois, c'est une gamme. Les relations de la belle provençale sont devenues, à vrai dire, un concert, où dominent les dissonances, les faux accords, les transactions inharmoniques de la vénalité. Bien des exécutants s'y croient virtuoses, tels que le maître d’hôtel du duc d'Orléans, et M. de la Taste, mousquetaire, et le notaire Dufresnoy ; ils ne sont que des instruments !

Aussi bien reste-t-il jamais, dans la chanson des courtisanes, autre chose de l'amour qu'un refrain ; qui veut être repris en chœur ? Le refrain soupe, il aime la compagnie et craint le tête-à-tête, comme un redoublement d'isolement, il dispose à l'inconstance ou en console, et son autorité, qui commande la bonne humeur, l'esprit quand même et la philosophie dans le plaisir, interrompt, réduit au silence, laisse mourir au pied du mur, dans ses propres ténèbres, la romance de l'amour, écho vieilli des sérénades. Vive le chœur des petits soupers ! Le champagne luit pour tout le monde : maudits soient les amants qui préfèrent y tremper leurs lèvres dans le verre l'un de l'autre sans témoins !

Grand souper, par exemple, chez la Dlle Laforêt, le 22e soir de juillet, et puis partie de vingt-et-un jusqu'à deux heures du matin : les Dlles Bey, Marquise et Mars quittent alors le jeu, mais ne quittent pas les joueurs, et M. de Sainte-Colombe y gagne ce que perd M. de la Taste, qui n'est pas là. L'amant trompé se retire tout à fait, après mille écus de dépense avec la belle, et Marquise la présente à M. de la Sablière, qui laisse 25 louis le matin sur le marbre de sa cheminée. La volage sait très bien compter ; par malheur, elle perd, au mois d'août, un procès de 19,000 livres contre un ancien amant nommé Nadille, marchand de fil d'or. Des gens de qualité lui font, à ce propos, des compliments de condoléances, en la rencontrant aux Tuileries, et jusqu'où ne va pas sa franchise ! – Venez chez moi, dit-elle, que je me rattrape !

L'année suivante, le prince de Guémenée donne à Versailles une série de soupers, présidés par Mlle Mars, et l'amphitryon ne s'y vante pas de tout ce que sa maîtresse lui a fait partager. Cheld, chambellan de l'électeur de Cologne, la prend à ses gages, la délaisse, puis la reprend au milieu de l'été, son intérim ayant été rempli par Ladaw, sujet de Catherine H. Milord Binting passe presque inaperçu.

Mais il en est différemment d'un jeune mousquetaire gris ayant nom d'Hérouville : il aime, et il le prouve en contractant assez de dettes pour compromettre son avenir ; par exception, il est beaucoup aimé. Le père de ce jeune homme, afin de mettre un terme à des relations ruineuses, s'entend avec son commandant, et le jeune mousquetaire est enfermé, par ordre, à l'Abbaye. Le lendemain, dimanche, Mlle Mars attend son amant au Wauxhall. Son cœur bat, chaque fois qu'elle croit l'apercevoir, et ce n'est jamais qu'une illusion. Comment fait-elle donc pour s'y tromper ? Personne ne ressemble que de bien loin à l'être qu'elle chérit, et qui sait rendre encore plus d'amour qu'elle ne lui en a prodigué !

Cependant l'heure avance ; l'inquiétude commence et tout de suite est au comble : la jalousie flaire une trahison. Une rivale ? il faut la découvrir, la deviner au besoin et la punir, avant que le joui éclaire sa perfidie ! Quelle est la brillante habituée qui ce soir-là manque au Wauxhall ? Où demeure-t-elle ? Faites avancer un fiacre ; qui roulera toute la nuit. Mais un ami apprend à Mars qu'on a mis en prison, pour le séparer d'elle, l'amant qu'elle soupçonne d'une infidélité, et dans son désespoir, elle se trouve mal. Quatre hommes la portent jusqu'à la voiture ; elle ne reprend tout à fait connaissance qu'en arrivant au boulevard Montmartre.

Tout lui rappelle, dans son appartement, la tendre affection qui lui est arrachée, et elle y paye pour la première fois son tribut de larmes à l'amour. Puis elle change de meubles et de quartier, avant de reprendre le cours des galanteries qui laissent son cœur libre. Quant au fils de famille, on le rend à la liberté : mais la leçon lui profitera-t-elle ? A quelques années de là une figurante, nommée Lolotte, devient comtesse d'Hérouville pour tout de bon.

La manufacture de papiers peints et veloutés de Robert se trouvait établie, sur le boulevard, près de la maison où demeurait la Mars.

L'immortel Boïeldieu, sous la Restauration, habitait le même boulevard, et il y écrivait sa plus belle partition, la Dame Blanche. Rossini et Carafa, par une coïncidence fortuite, avaient leurs appartements à cette époque dans la même maison que Boïeldieu, en d'autres temps ambassade de Turquie et hôtel du prince Tuffakine. Ce prince russe avait pour secrétaire, sous le règne de Louis-Philippe, M. Georges, qui l'accompagnait presque partout et lui faisait vis-à-vis en voiture. A cause d'une infirmité, Tuffakine portait la tête excessivement penchée sur l'épaule droite ; son secrétaire, à force de tendre le cou pour converser avec le prince, et peut-être aussi par flatterie, contracta le même tic dans le sens opposé : son épaule gauche fit coussin pour sa tête. Lorsque tous deux marchaient à pied, et que le bras droit de M. George soutenait le bras gauche du prince, il leur était impossible de causer ; s'ils changeaient de côté, les deux têtes se cognaient, et les passants d'en rire.

Le passage Jouffroy, formé en 1845, traverse l'ancienne habitation de Tuffakine.

 


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