Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places, quartiers de Paris : comment ils ont évolué, comment ils sont devenus le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places, quartiers de Paris dont un grand nombre existe encore.
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RUE CAUMARTIN
IXème arrondissement de Paris
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, Charles Lefeuve, 1875)

Notice écrite en 1858. La rue dont elle donne l'historique n'était encore traversée ni par la nouvelle rue Auber ni par le nouveau boulevard Haussmann, qui lui ont enlevé pas mal de maisons. Monuments classés aux n°s 63 et 65 : ancien couvent des Capucines de la Chaussée d'Antin, l'église Saint-Louis d'Antin et le lycée Condorcet (façades sur rue, façades et toitures sur cour des bâtiments entourant le cloître et galerie du cloître). La rue a incorporé les rues Sainte-Croix, Sainte-Croix Chaussée d'Antin, Thiroux et Thiroux de Crosne. Origine du nom : Antoine Louis Lefèvre de Caumartin, marquis de Saint-Ange (1725-1803), était prévôt des marchands (1778-1784) à l'époque où la rue fut ouverte (1780).

s 1, 2, 7, 24, 32, 34, 36, 48, 49, 52, 55, 66, 67, 68.

Famille noble dès le règne de Charles VI que celle des Lefèvre de Caumartin, alliée à celle de Créqui, et qui a donné un évêque, membre de l'Académie-Française, dont le fauteuil a passé à Moncrif en 1733 ! Antoine-Louis-François de Caumartin, marquis de Saint-Ange, comte de Moret, prévôt des marchands de 1778 à 1784, demeurait rue Sainte-Avoye (rue du Temple) ; il fit autoriser, le 3 juillet 1779, l'ouverture de la rue portant son nom, entre le rempart et la rue Neuve-des-Mathurins, sur des terrains acquis des religieux mathurins par Charles Marin-Delahaye, fermier-général, qui habitait la rue Vendôme (rue Béranger) : Il y avait déjà sept années que le président Thiroux d'Arconvillé, résidant rue du Grand-Chantier à l'hôtel Gervillier, avait servi de parrain à la petite rue Thiroux, percée plus bas que la rue Caumartin aux frais de Sandrier des Fossés, entrepreneur des bâtiments du roi.

M. de Sainte-Croix n'en fit que plus facilement adopter, en 1780, le tracé d'une petite rue venant plus bas encore et à la suite des deux autres ; elle passait au travers d'un marais bien cultivé et d'un chemin de ronde que les barrières de la ville avaient dépassée : les édiles ne demandèrent pas mieux, que de la placer sous l'invocation de son auteur. Ces trois tronçons de la même voie, frayée par des habitants du Marais dans la Chaussée-d'Antin naissante, portent la même dénomination depuis le 5 mai 1849.

L'architecte Aubert, à lui seul, éleva 28 hôtels dans ce quartier, que la mode tout d'abord prit sous sa protection, et notamment deux pavillons, décorés de figures en demi-relief, de petits amours, de médaillons, de cornets, de castagnettes, etc., qui se font pendant l'un à l'autre aux angles de la rue Basse-du-Rempart et de la rue Caumartin.

L'une de ces deux maisons, n° 1, garda assez longtemps une toiture qui rappelait les jardins suspendus de Babylone ; c'était une terrasse de 120 toises, plantée d'arbustes et parsemée de parterres de fleurs, avec une pièce d'eau, des rochers, une cascade et des statues, le tout hérissé de pyramides et de tronçons de colonnes pour dérober la vue des tuyaux de cheminée. La surélévation de l'édifice l'a décapitée de cette plate-forme ; toutefois lune ou deux pyramides tiennent encore embrassée, sur le faîte, la tôle où passe la fumée, et ces tuyaux communiquaient jadis avec l'appartement de Mirabeau qui a demeuré au-dessous.

Le 2 était édifié, ainsi que deux autres maisons, pour le compte d'un riche marseillais, qui avait traité du terrain ; mais le duc d'Aumont, premier gentilhomme de la Chambre, en devint bientôt possesseur. Dominique Le Noir vendait, en 1808, le même hôtel, au père de M. Dubois de l'Estang.

La rue Caumartin primitive n'était commune, quelques années après son ouverture, qu'aux propriétaires se suivant dans cet ordre :


Plus d'un lot attendait encore les maçons, à cet âge encore tendre de la rue. Pour le marquis de Calvimont s'ouvrit toute fraîche la bonbonnière du 7, petit hôtel, qui plus tard fut le dernier vaisseau monté par l'amiral Mackau, ancien ministre de la marine. De même, un maréchal de France, Dode de la Brunerie, cessa de vivre au n° 24, qu'habite sa belle-mère depuis 1820.

Le spéculateur Delahaye n'avait pas tardé à céder son encoignure de la rue Neuve-des-Mathurins à la duchesse d'Ancenis. Le marquis de Feuquières, descendant du vaillant auteur des Mémoires de la Guerre, était avant la fin du règne de Louis XVI propriétaire à la place de Pélaget, et Mme de Mazades, à celle de Durand, premier angle de la rue Boudreau. Tous deux habitaient respectivement leur maison : une pièce authentique nous l'indique. Nous avons, d'autre part, entendu dire à un ancien beau du premier empire, M. Bérenger, actuellement juge de paix, que l'un des premiers occupants du n° 32 fut un conseiller d'Etat, ancien président des Etats-Généraux, ancien préfet, dont le fils est devenu ensuite pair de France, le baron Mounier.

Le 34 et le 36 faisaient partie d'un autre hôtel du duc d'Aumont, élevé aussi sur le dessin d'Aubert, au coin de la rue Neuve-des-Mathurins. On dit que les premiers équipages remplaçant le cocher par un jockey à cheval sortaient de chez ce grand seigneur, qui les mit à la mode plutôt qu'il ne les inventa. Il en débouchait à coup sûr des rues de la Chaussée-d'Antin sur le boulevard avant le siècle dans lequel nous vivons. Comme on parlait un jour à Mirabeau d'un mari dont le train de maison devenait élégant et luxueux depuis que l'amant de sa femme contribuait à la dépense : – C'est un ménage attelé à la d'Aumont, dit l'auteur des Lettres à Sophie.

Mais le bâtiment doyen de notre rue Caumartin est, comme de juste, un legs de la rue Thiroux. Une manufacture de porcelaine s'établissait au 55 avant la fin du règne de Louis XV, et la France ne comptait alors qu'un très petit nombre de pareilles fabriques.

Une tache d'huile sur un bel habit avertit d'en éviter d'autres ; l'utilité de la masure qui porte rue Caumartin le chiffre 49 consiste à tenir tout prêts plusieurs coupés de remise pour s'en éloigner au plus vite. Cette maison appartint d'abord aux capucins de la rue Sainte-Croix, dont le couvent, édifié par Chalgrin, fut transformé par la Révolution en hospice pour les vénériens et les galeux, au grand déplaisir des voisins, qui n'en pensaient que mieux à émigrer.

Un peu plus tard, l'église Saint-Louis-d'Antin partageait le ci-devant couvent avec le lycée Bonaparte, dont nous avons écrit séparément l'histoire, et les Hospices n'en gardaient pas moins la maison de la rue Thiroux. Les citoyens Cuvillier, Huré et autres, demeurant rue Sainte-Croix, du côté de l'hospice, avaient connu propriétaire du n° 52 l'ancien boucher Legendre, conventionnel, qui avait osé coiffer le roi d'un bonnet phrygien le 20 juin 1792. Le citoyen Vézelai était propriétaire derrière l'hospice, au temps dont nous parlons, et les deux extrémités de la rue, sur l'autre ligne, appartenaient aux citoyens Bourlon et Cramail.

Mais, à droite comme à gauche, il s'était élevé près de la capucinière, et vers le même temps, des hôtels tracés sur le papier par le même crayon. M. de Sainte-Croix avait pendu la crémaillère au n° 67, où fit un bail Eusèbe Salverte, et qui comporte un fort joli salon, style Louis XVI. L'un des immeubles en regard avait été hôtel de Cossé.

Sur la ligne de cet hôtel, la porte avant la rue Joubert avait commencé par s'ouvrir pour M. de Varanchon, fermier général, après lequel la famille de Saint-Geniès, à titre d'héritière, prit possession de l'immeuble. Pendant plusieurs années de la République, Mme de Permont avait occupé l'un des appartements de la maison, avec sa fille, sans qu'on eût jugé opportun de lui présenter des quittances de loyer ; mais quand la demoiselle fut devenue la femme du gouverneur de Paris et duchesse d'Abrantès, une réclamation à ce sujet arriva jusqu'à elle. Junot à la rigueur, n'avait rien à payer des anciennes dettes de sa belle-mère, dont sa femme, Mme d'Abrantès, s'était refusée à accepter la succession ; toutefois il renvoya les Saint-Geniès à son beau-frère Maldan, homme de manières communes, mais honnête homme, qui ne voulut pas que sa famille fût en reste de bons procédés avec celle du propriétaire.


Le 66, qu'habita le comte Alexandre de Girardin, ne fit d'abord qu'une propriété avec le 68, qui attenait au vieux château du Coq ; le banquier Aguado y précéda la maréchale Ney, dont les quatre fils suivaient les cours du collège voisin, et leur mère, qui recevait beaucoup, voyait communément la reine de Naples, veuve de Murat, le duc d'Orléans, fils du roi, le général Bertrand, le maréchal Molitor, Jacques Laffitte, Orfila, le duc de Montébello et l'abbé Cœur. Où sont-ils presque tous ces hôtes qu'avait réunis, non sans peine, la révolution de Juillet ? Où sont allés eux-mêmes trois des fils de la maréchale ?

O Livre aux souvenirs, effleure, n'appuie pas. Vois, vivants, jeunes encore, pleins d'espérance et pleins d'avenir, tout ce que j'eus de condisciples, de modèles et de maîtres au lycée Bonaparte, alors qu'on le nommait collège Bourbon. Il suffit de ressusciter dans le cœur de beaucoup d'amis pour jouir, après la vie, d'une immortalité qui ressemble à celle de la gloire. Nous espérons, du moins, faire une petite place dans l'histoire, cette seconde vie, à des milliers de maisons immobiles. La durée est le plus grand mérite à reconnaître dans une maison, grande ou petite, et ce n'est pas l'en récompenser trop que de relever en son honneur des souvenirs tombés avant elle et qui seront comme une âme pour son corps.

 


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