Rues et places de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des rues et places de Paris : comment elles ont évolué, comment elles sont devenues le siège d'activités particulières. Pour mieux connaître le passé des rues et places dont un grand nombre existe encore.
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QUAI D'ANJOU IVe arrondissement
(D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, paru en 1875)

Notice écrite en 1856. A l'origine, une partie seulement de ce quai, en amont, portait le nom d'Anjou ; le surplus s'appelait quai d'Alençon. De 1780 à 1792, le nom de quai d'Anjou a désigné l'ensemble de la voie. Pendant la Révolution, quai de l'Union ; en 1805, de nouveau quai d'Anjou. Origine du nom : Le duc d'Anjou, frère de Louis XIII.

Hôtels Lambert, Marigny, Lauzun, etc :
Le quai d'Alençon, dit ensuite d'Anjou, est sous l'invocation du quatrième fils de Henri II et de Catherine de Médicis, duc d'Alençon et puis d'Anjou. On n'y comptait absolument que 20 maisons il y a un siècle et demi, et pourtant il avait la même longueur que de nos jours ; il allait de la pointe de l'île Saint-Louis à une barrière des huissiers priseurs et sergents à verge qui dépendait du grand Châtelet et qui était posée sur le pont, près du quai d'Anjou.

L'hôtel Lambert est toujours son point de départ, et qui ne connaît pas cette résidence du prince Czarstoriski ? Les uns ont lu un livre d'Eugène Sue qui a pour titre l'Hôtel Lambert ; les autres ont dansé chez la princesse Czartoriska, au profit de la cause de l'émigration polonaise, dont le prince est le noble chef ; les dames enfin qui aiment les bains froids n'ont rien eu de caché pour la pointe de l'île, où a jeté l'ancre un établissement qui s'est appelé Bains de l'hôtel Lambert. Toutefois peu de personnes savent quel fut le Lambert fondateur de l'hôtel de l'île Saint-Louis, et son contemporain Boileau donne le change en immortalisant le chanteur Lambert ?

Molière avec Tartufe y doit jouer son rôle,
Et Lambert, qui plus est, m'a donné sa parole.
– Quoi Lambert ? – Oui, Lambert.
– A demain, c'est assez !

Or l'ancien châtelain de la pointe est messire Lambert de Thorigny, un président, et son hôtel a été élevé sur les dessins de Levau, l'architecte qui a commencé la construction de l'église de Saint-Louis-en-l'île. Sur le quai il ne donne de l'ancienne résidence du président que des fenêtres et une terrasse, d'où la vue se projetait sur les deux bras de la Seine tenant enlacée l'île Louviers, où les gentilshommes d'autrefois venaient vider leurs querelles en soldats. Aujourd'hui cette autre île semble avoir fait naufrage et s'être échouée sur la rive droite ; mais celle-ci, en réalité, a fait toutes les avances du rapprochement qui a rendu manchotte la rivière. La porte du grand logis est rue Saint-Louis-en-l'Ile ; au fond de la cour, un escalier à deux rampes se bifurque ; au milieu, le célèbre Lesueur a peint en grisaille un fleuve et une naïade ; au-dessus s'élève un attique avec des pilastres ioniques supportant un fronton sculpté. On doit également à Lesueur les ornements d'un cabinet de bain, merveilleusement historié, situé en haut de la maison, et d'une vaste antichambre ovale ; mais le temps a encore mieux respecté la magnifique galerie dont Lebrun, son rival, a été le décorateur. Il y avait à l'hôtel Lambert d'autres ouvrages de Lesueur, ainsi un Apollon écoutant les plaintes de Phaéton, qui figure actuellement au Luxembourg, et les Neuf Muses, qu'on retrouve au musée du Louvre. On cite encore une toile du Bassan, représentant l'Enlèvement des Sabines, des paysages de Patel et d'Hermans, des tableaux de Romanelli et de François du Perrier, des sculptures de Van-Ostade, parmi les œuvres d'art qui paraissaient aussi avoir vu le jour chez M. de Thorigny.

Le fermier général Dupin et le marquis du Châtelet-Laumont ont succédé au fils du fondateur, président en la seconde chambre des enquêtes, au parlement, et prévôt des marchands de 1726 à 1729 ; puis le fermier général Delahaye, à la mort duquel ont été vendus la plupart des toiles et des marbres. M. de Montalivet, Ministre de l'intérieur sous le premier empire, a acheté l'immeuble, qui est devenu ensuite un dépôt des lits militaires. En mai 1842, l'ancien hôtel a été remis en vente ; la Ville en a offert 175,000 fr., dans l'intention d'y transporter sa Bibliothèque ; la princesse Czartoriska a surenchéri de 5,000 fr., et une restauration complète a signalé sa prise de possession.

Le n° 5 a été le petit hôtel de Marigny, qui nous rappelle un personnage du drame de la Tour de Nesle, vivant au temps de Marguerite de Bourgogne. Mais c'est le marquis Poisson de Marigny, frère de Mme de Pompadour, protecteur généreux des arts, nommé surintendant des bâtiments du roi vers 1760, qui a vendu ou légué cet hôtel au chevalier Lepeultre, comte de Chemillé. Ce dernier, dont les affaires n'étaient pas des meilleures, est parti pour l'Île de France en laissant, la comtesse, sa femme, fille de la comtesse de Choiseul, aux prises avec un créancier, M. de Siry, marquis de Vignolles, seigneur de Saint-Eugène et pourvu d'autres titres encore, notamment d'un titre régulier pour faire vendre l'hôtel Marigny le 3 juillet 1779. Léonard Fray de Fournier, maître en chirurgie, et Louis Pincot, ancien officier de la chambre du roi, s'en sont rendus les adjudicataires. La famille de Pincot est restée propriétaire jusqu'en 1843.

La boulangerie commune de la ville de Paris a un bureau n° 7, maison qui faisait partie autrefois de l'hôtel Lambert. Le 11 et le 13 ne sont pas moins anciens que presque tous les bâtiments de notre quai d'Anjou ; ils offrent l'apparence, en outre, d'une construction jumelle. Louis Lambert de Thorigny, capitaine de cavalerie, qui devait être le frère ou le fils du prévôt des marchands, a vendu le n°13 à Fougeroux, « écuyer, conseiller secrétaire du roi, maison, Couronne de France et de ses finances, trésorier général et payeur des rentes de l'Hôtel de Ville. » Un des fils de celui-ci, grand-maître des eaux et forêts, a eu pour cessionnaire Ledreux, greffier au parlement, dont la fille a vendu l'immeuble en 1825 à M. Récusons de Borneville, ancien marchand de toiles, qui avait néanmoins des prétentions plus ou moins fondées au titre de comte. La petite-fille de M. de Borneville est actuellement propriétaire de cette maison, qu'habitent des artistes de mérite : MM. d'Aubigny, peintre, Geoffroy de Chaume, statuaire, Alfred Gérente, peintre sur verre, et Prévost, graveur. Les escaliers, les corridors sont ornés, comme ceux d'un musée, et le fait est qu'il mènent à des ateliers où se recrutent les musées.

Tous les artistes qui passent font les yeux doux au plus joli balcon du quai Bourbon, comme si une jolie dame s'y penchait dans l'attente d'une sérénade ou d'une échelle de soie. C'est déjà un attrait, et puis il y a plaisir à lire sur la façade :

HOTEL DE LAUSUN, 1657.

Si l'on cède à l'invitation que ces deux éléments de séduction semblent faire, on franchit une grande porte, pour entrer dans une cour spacieuse, qu'estampille cette autre inscription :

HOTEL DE PIMODAN.

La famille du marquis de Lavallée de Pimodan fut originaire de Lorraine. Un de ses membres, qui habite près de Sainte-Valère, a épousé sous la Restauration la fille d'un pair de France. Depuis qu'il n'y a plus de Pimodan dans l'île Saint-Louis, autrefois île Notre-Dame, diverses notabilités ont pris leur place quai d'Anjou. Un recueil de nouvelles, qui porte le nom de cet hôtel, où il est né, nous rappelle que Roger de Beauvoir a essayé de vivre comme sous Louis XV dans ce manoir du temps de Louis XIV, orné toujours à l'intérieur, quoique dans un goût plus moderne, comme pour recevoir l'époux secret de Mademoiselle, petite-fille de Henri IV.

Lauzun n'avait que vingt-cinq ans, et il n'était que comte, lorsqu'il entra dans son hôtel tout neuf. Il avait trop d'esprit pour se piquer de littérature à une époque où les grands pairs, les bonnes fortunes, l'ambition, la raillerie et la témérité n'allaient guère aux gens de lettres. Mais il était si bien fait, quoique petit, si beau joueur, quoique malheureux au pharaon, et si opiniâtre, quoique blond, qu'il devait arriver à tout, sauf à passer par la citadelle de Pignerol. Brillant colonel de dragons, il fut pris dans la société de la comtesse de Soissons par le roi, qui bientôt n'eut pas de favori plus influent. Mme de Montespan et Louvois l'empêchèrent, il est vrai, en se liguant, de traiter sur le pied de l'égalité avec la famille de ce roi qui passait tant pour absolu. Le tome II du duc de Lauzun, c'est-à-dire sa rentrée en grâce sous les auspices du roi Jacques, le ramena au quai d'Anjou, dit des Balcons, et il y épousa, Mlle de Durfort, fille du maréchal de Lorges, après la mort de Mlle de Montpensier. Seulement, dans les dernières années de sa vie, il demeurait près du couvent des Petits-Augustins ; il y mourut nonagénaire le 19 novembre 1723.

Quant aux maisons 23 et 25, qui ont quatre puits, elles étaient jadis divisées en quatre petits hôtels et sont bâties sur pilotis. Le n° 39, où se tient une école de filles, n'est pas le cadet de cette famille immobilière : dans la cave reste gravé le millésime 1680. Le 35 a été édifié pour le carrossier de Louis XIV ; les 27, 29 et 31, patrimoine de M. Lelong de Dreneu, émigré, ont été vendus comme bien national, ainsi que plus d'un hôtel de Ville. Ces mêmes propriétés appartenaient vers la fin du XVIIe siècle à Gaillardon, intendant de Franche-Comté, à l'abbé Fortia, à la marquise de Courcelles et au greffier Jacques, dont la maison était l'avant-dernière. L'ancienne famille Fortia, originaire d'Aragon, a formé en France les branches de Fortia Chailli, Fortia-d'Urban, Fortin de Montréal et Fortia de Piles. La Marquise Lambert de Courcelles, qui a écrit des livres généralement estimés, pour l'éducation de ses propres enfants, était la fille d'un maître des comptes et l'amie de Fontenelle, de Lamotte, de Sacy.

M. de Mondion, qui demeurait sur le quai au temps du parlement Maupeou, y donnait des concerts en règle.


 

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