Monuments, édifices de Paris
Cette rubrique vous narre l'origine et l'histoire des monuments et édifices de Paris : comment ils ont évolué, comment ils ont acquis la notoriété qu'on leur connaît aujourd'hui. Pour mieux connaître le passé des monuments et édifices dont un grand nombre existe encore.
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L'HÔTEL-DIEU
(D'après Paris, 450 dessins inédits d'après nature, paru en 1890)

Sur les terrains septentrionaux, formant une surface plane de 22,000 mètres carrés, délimités au nord par le quai aux Fleurs, au sud par la place du Parvis, à l'ouest par la rue de la Cité (ancienne rue de la Juiverie), à l'est par la rue d'Arcole, on a construit de 1868 à 1878 les vastes bâtiments du nouvel Hôtel-Dieu, faisant précisément face à l'emplacement de l'Hôtel-Dieu primitif.

Avant d'y pénétrer, rappelons succinctement l'histoire de cette antique et vénérable fondation. Dans le vieux français, où l'applique de deux substantifs faisait fonction de génitif, l'Hôtel-Dieu signifiait « l'hôtel de Dieu », c'est-à-dire la maison hospitalière où l'on est reçu au nom et sous les auspices de Dieu. Cette « maison du bon Dieu » avait été fondée vers 660 par saint Landry, vingt-huitième évêque de Paris, du temps de Clovis II, fils de Dagobert. Il y recevait, à ses propres dépens, non seulement les malades, mais aussi les mendiants, non

L'Hôtel-Dieu
seulement les mendiants, mais les simples pèlerins. Medicus et hospes, hôte et médecin, telle était la devise du saint évêque. Par la suite des siècles, les rois continuèrent et agrandirent l'œuvre de saint Landry ; Philippe-Auguste, Saint-Louis, Henri IV comptent parmi les royaux bienfaiteurs de l'Hôtel-Dieu, et après eux le chancelier du Prat, le premier président Pomponne de Bellièvre, etc.

La vétusté des anciens bâtiments de l'Hôtel-Dieu, leur insuffisance comme étendue, leur défectuosité au point de vue de l'hygiène, avec l'impossibilité de les reconstruire sur place, à moins d'interrompre totalement le service, ont déterminé le déplacement de cet hôpital, le plus ancien et pour ainsi dire le chef-lieu de l'hospitalité médicale de Paris.

Disposant librement d'une très vaste surface, les architectes du nouvel Hôtel-Dieu ne se sont préoccupés que d'assurer aux malades les meilleures conditions de salubrité, d'aération, de bien-être, par la multiplicité des salles, la division bien entendue des services, leur parfaite installation et l'augmentation sur la plus large échelle des espaces libres, de l'air respirable et de la lumière. Il en est résulté que, dans un édifice plus vaste, le nombre des lits s'est trouvé très réduit, conformément aux prescriptions de l'hygiène.

Au temps de saint Louis, l'ancien Hôtel-Dieu recevait 900 malades, 1,3000 sous Henri IV, 1,900 sous Louis XIV ; ces nombres furent souvent dépassés et s'élevèrent, dit-on, jusqu'à 9,000 en 1709, alors qu'on installait plusieurs malades dans un même lit, au risque d'affreuses contagions et d'une effroyable mortalité. Le nouvel Hôtel-Dieu, au contraire, dernier mot de la science hospitalière, ne renferme que 514 lits, savoir : 329 lits de médecine, 169 lits de chirurgie et 16 berceaux d'enfants. L'édifice ayant coûté 50 millions de francs, les économistes supputent que chaque lit revient à près de 100,000 francs, et les philanthropes remarquent que, pour 6,000 francs par lit, chiffre qui n'est pas dépassé en Angleterre et d'autres pays, on aurait pu soulager plus de 8,000 malades au lieu de 500. L'une et l'autre objections seraient justes dans une certaine mesure si les bases en étaient exactes ; mais il s'en faut de beaucoup, comme on en va juger.

D'abord, l'immense superficie de l'Hôtel-Dieu renferme, outre le service hospitalier proprement dit, une partie administrative qui s'étend à la ville entière, et une partie scientifique : amphithéâtres du professorat pratique, laboratoires de pharmacie, de chimie, d'histologie, etc., qui forment l'annexe considérable de la Faculté de médecine de Paris, estimée 14 millions de francs. Mais ce qu'on oublie surtout ou qu'on ignore, c'est que le nouvel Hôtel-Dieu fut construit d'abord à deux étages ; le second contenait 260 lits, dans lesquels on aurait transféré les malades à certains jours, tant pour les changer d'air que pour le nettoyage et l'aération des salles du premier.

Une opposition plus politique que médicale se souleva contre cette conception, approuvée cependant par des princes de la science, tels que le professeur Germain Sée, médecin en chef du service le plus important de l'Hôtel-Dieu ; elle l'emporta, et, chose incroyable ! le second étage, déjà bâti, fut démoli avant que l'Hôtel-Dieu ne fût livré à l'Assistance publique. Il en coûta 4 millions de francs. Il faut donc défalquer d'abord 14 millions de la dépense totale, et considérer que

Incendie de l'Hôtel-Dieu de Paris le 30 décembre 1772
les 26 millions restant ont été dépensés pour subvenir à 774 lits, de sorte que ceux-ci ne revenaient qu'à 46,500 francs la pièce, et non à 100,000 francs, comme on l'a dit d'après une connaissance incomplète des faits.

Le plan général de l'Hôtel-Dieu comporte deux masses de bâtiments parallèles : l'une faisant face au Parvis Notre-Dame, l'autre bordant le quai Napoléon ; ces deux façades, l'antérieure et la postérieure, sont reliées latéralement par des galeries perpendiculaires à la Seine, desservant de chaque côté trois pavillons perpendiculaires, les uns à la rue de la Cité, les autres à la rue d'Arcole. Ces six pavillons et leurs galeries de jonction renferment deux étages de salles occupées par les malades. L'intervalle entre ces deux ailes, consacrées celle de l'ouest aux hommes et celle de l'est aux femmes, forme une vaste cour ouverte au soleil et à l'air du midi, autour de laquelle circulent deux portiques superposés, reliés au milieu par un pont transversal qui abrège les communications.

Le bâtiment en façade sur le Parvis est consacré aux services administratifs, bureaux et logements. Au rez-de-chaussée, à gauche, s'ouvre le Bureau central des hôpitaux, organe centralisateur du service hospitalier du département de la Seine. Il est composé de 20 médecins, de 15 chirurgiens et de 3 accoucheurs, personnel d'élite, recruté par voie de concours et parmi lequel sont choisis obligatoirement les médecins et chirurgiens titulaires des hôpitaux de Paris. Autrefois, les malades étaient admis pour ainsi dire sans contrôle ; aujourd'hui, ils sont examinés avec soin par les médecins du Bureau central, qui leur délivrent leur bulletin d'admission, et les dirigent sur les établissements du centre qui ont des lits disponibles ; les hôpitaux excentriques reçoivent presque tous leurs malades par voie d'urgence ; les hôpitaux spéciaux les reçoivent directement. A la suite du Bureau central se trouvent les cabinets de consultations gratuites, puis le bureau, le laboratoire et les réserves du pharmacien en chef ; les approvisionnements occupent le reste des portiques de gauche et de face ; le rez-de-chaussée du portique de droite est consacré aux cuisines et aux offices.

Les salles occupées par les malades sont éclairées par deux rangées de fenêtres, nord et sud, donnant sur les cours intérieures et plantées d'arbres qui séparent les pavillons ; cette disposition laisse pénétrer une clarté presque gaie sur les rideaux et les lits blancs de cet hôpital modèle, où tout a été réuni pour soulager et distraire la souffrance humaine.

La lingerie, qui occupe une vaste galerie coupée par des casiers comme une bibliothèque et dans laquelle circulent incessamment les sœurs, les novices et les infirmières, présente l'aspect claustral et rassérénant d'un asile de paix. Il y a pour les femmes des salles spéciales d'ophtalmologie, où des jeux de rideaux savamment agencés ne laissent arriver aux malades ou aux opérées que l'exacte quantité de lumière qu'elles peuvent supporter. Du côté des hommes, l'aspect général est moins riant ; les allants et venants portent des capotes grises, de beaucoup moins seyantes que les camisoles blanches et le bonnet de linge des femmes. L'atmosphère y paraît aussi moins pure et plus épaisse. C'est que les surveillantes religieuses, a les mères », comme on les appelle, sont indulgentes et laissent fumer la pipe dans les dortoirs.

La pipe, n'est-ce pas l'unique ressource et le seul plaisir possible de ces malheureux au teint jaune, aux mains calleuses, parmi lesquels l'Hôtel-Dieu recrute ses pensionnaires ? Ils ont, d'ailleurs, à portée des dortoirs, dans le service du professeur Germain Sée, non seulement de nombreuses chambres ne contenant que deux à huit lits, mais encore un salon garni de meubles de repos ; de plus, la galerie découverte du portique supérieur leur permet d'y promener, quand le temps est passable, leurs membres fatigués par le séjour du lit. Autre tolérance : sur une longue table, placée entre deux rangées de lits, des groupes

Vue de l'église Notre-Dame et de l'Hôtel-Dieu de Paris
de convalescents à capotes grises jouent aux dames, le seul jeu qui leur soit permis.

L'étage supérieur du corps de bâtiment en façade sur le quai aux Fleurs est occupé par la communauté des Dames Augustines qui, depuis un temps immémorial, n'a pas d'autre demeure ni d'autre maison-mère que l'Hôtel-Dieu. La règle réformée d'après laquelle les Dames Augustines se gouvernent encore aujourd'hui a été fixée en 1630 par les soins de Geneviève Bouquet, dite du Saint-Nom-de-Jésus : Depuis que l'autorité civile a retiré aux Dames Augustines le service des hôpitaux de la Pitié et de la Charité, elles se sont réfugiées successivement à l'Hôtel-Dieu, où l'on a établi des dortoirs supplémentaires sous les combles. La charité privée, sollicitée par une lettre pastorale de l'archevêque de Paris en date du 2 décembre 1888, leur a ouvert, comme maison de retraite définitive, l'hôpital de Notre-Dame-de-Bon-Secours. Une des obligations de leur règle, alors que l'Hôtel-Dieu se composait de deux grands bâtiments bordant les deux rives de la Seine, était de laver elles-mêmes cinq cents draps dans le petit bras du fleuve, un jour par mois, quelle que fût la température. Les mères comme les novices devaient y participer obligatoirement. Une ancienne estampe conservée à la Bibliothèque nationale retrace avec fidélité la « lavure des cinq cents draps ».


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