Cafes, hotels, restaurants de Paris
Cette rubrique vous livre les secrets de l'histoire des cafés, hôtels et restaurants de Paris : comment ils ont évolué, par qui ils ont été fréquentés. Pour mieux connaître le passé des cafés, hôtels et restaurants dont un grand nombre existe encore.
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LE CAFÉ PROCOPE
(D'après Les cafés artistiques et littéraires de Paris, paru en 1882)

Cet établissement, qui a joui pendant de longues années d'une grande célébrité, a été longtemps fermé, – en 1874. Le café Procope, où se sont réunis les écrivains illustres des XVIIe et XVIIIe siècles, a failli n'être plus qu'un souvenir.

Lorsque l'art de l'imprimerie nouvellement inventé et appliqué d'abord à la multiplication des textes sacrés, eut enfin largement répandu les textes antiques, les chroniques, les cosmographies et les sacrologies, une sorte de fraternité fut créée entre les gens de l'art nouveau, savants et imprimeurs. Les hommes de lettres (nous pouvons déjà leur donner ce nom) ne tardèrent point à se connaître, à se réunir dans des lieux publics où ils pouvaient causer tout à leur aise sur tous les sujets que leur suggérait leur active imagination. L'imagination fut toujours leur faculté maîtresse. En se réunissant au cabaret, ils ne faisaient d'ailleurs que suivre la tradition des vieux postes. Villon, bon folastre, hantait la taverne, et s'il fit une ballade contre les taverniers, ce fut contre les taverniers qui brouillent nosfre vin.

Au reste, nous ne voulons pas remonter plus haut que le XVIIe siècle. En ce siècle, qui ne fut pas toujours solennel, les écrivains les plus illustres avaient les

Vue du Café Procope, prise du coin du Grand Procope
Rue de l'ancienne Comédie, par Eugène Atget en 1900
mêmes habitudes que Saint-Amand, qu'on voyait, selon le vers pittoresque de Boileau :

Charbonner de ses vers les murs d'un cabaret.

Ils se donnaient rendez-vous rue de la Juiverie, au cabaret de la Pomme de Pin. Dans cette rue, située tout près de Notre-Dame, était l'église paroissié le de Sainte-Magdeleine, qui, bâtie par les juifs pour les cérémonies de leur culte, avait été, en 1183, après leur expulsion, transformée en temple catholique. Sous le règne de Louis XIV on agrandit l'ancienne synagogue, les paroisses de Sainte-Geneviève-des-Ardents, de Saint-Christophe, de Saint-Leu et Saint-Gilles furent supprimées et réunies a Sainte-Magdeleine. Les hommes de lettres professaient-ils pour cette sainte un culte particulier ou étaient-ils attirés à la Pomme de Pin par la qualité des consommations ? C'est un détail qu'ils ont négligé de nous donner.

Le Mouton blanc, sur la place du cimetière Saint-Jean, était fort fréquenté ; c'est là que s'assemblaient Molière, Boileau, Racine et quelques gens de cour. Car ces trois poètes étaient du parti de la cour et fort goûtés de Louis XIV, qui, on le voit, ne choisissait pas mal ses amis. C'est au Mouton blanc que Racine, avec Furetière, raillait cruellement la perruque de Chapelain. C'est du Mouton blanc que sortirent les Plaideurs.

Au XVIIIe siècle, un cabaretier nommé Landelle ouvrit un établissement au carrefour Buci et compta parmi ses clients Crébillon, Gresset et beaucoup d'autres littérateurs. Dans la rue de Buci se trouvait le Théâtre-Illustre, où débuta Molière. A quelques pas, dans la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, devenue rue de la Comédie, lorsqu'en 1688 les comédiens français vinrent s'y établir, le café Procope eut bientôt une célébrité européenne.

Ce fut dans cet établissement que les Parisiens prirent pour la première fois des glaces ; aussi se passionnèrent-ils pour ce genre de rafraîchissement. Pendant tout le XVIIe siècle, la vogue du café Procope se maintint. II eut pour clients les écrivains les plus célèbres. Piron, Destouches, d'Alembert, Voltaire, Crébillon, d'Holbach, Jean-Jacques Rousseau, Diderot et une multitude d'autres littérateurs avaient fait de ce café une succursale de l'Académie.

Sous la Révolution, on songeait à toute autre chose qu'à la littérature ; le café Procope fut changé en club ; Hébert présidait cette société étrange où l'on ne parlait que de réformes, de guillotine, de liberté. Le soir, pour démontrer leurs théories libérales, les membres du club brûlaient devant la porte de l'établissement les journaux qu'on avait trouvés trop modérés. Puis, lorsque des temps plus calmes revinrent, sa vogue reparut : Alfred de Musset, George Sand, Gustave Planche, le philosophe Pierre Leroux, M. Coquille, rédacteur du Monde, le fréquentèrent. Sous le second Empire, Vermorel, Gambetta, y jetèrent leurs plans de réformes sociales.

M. Babinet avait sa place au rez-de-chaussée, M. Pingard, le chef du secrétariat de l'Institut, y a fait pendant de longues années sa partie de dominos.

Depuis 1819, il a vu entrer à l'Institut tous les membres des cinq académies. Il a donné des conseils aux récipiendaires de l'Académie française, et, quand un nouvel immortel doit être reçu, M. Pingard le place dans la salle, à l'endroit qu'il occupera le jour de la cérémonie, et le fait regarder vers le pilier du nord-ouest. La voix s'arrête sur cette masse de pierre, remonte et retombe sur le public. C'est l'abbé Maury, devenu cardinal et archevêque de Paris qui a découvert ce moyen d'être entendu de son auditoire. Doué d'une fort belle voix, il était désolé des mauvaises qualités d'acoustique de la salle des réceptions académiques. Les sons se perdaient dans les tribunes, et c'est à peine si les auditeurs placés à quelques pas percevaient quelques lambeaux de phrases. L'abbé essaya son organe, d'abord il n'entendit que des sons criards, des éclats bizarres, puis tout en tournant lentement sur lui-même, les mots qu'il prononçait devinrent tout à coup d'une netteté admirable. Sa voix harmonieuse, bien timbrée, emplissait la coupole, s'enfonçait dans les tribunes.

Il avait trouvé ce qu'il cherchait, aussi son succès fut-il grand le jour de sa réception. Depuis cette époque, c'est M. Pingard, à qui l'abbé raconta le fait, qui instruit les académiciens de la découverte du célèbre cardinal. Sur les murs du salon du rez-de-chaussée du café Procope sont peints les portraits de Voltaire, de d'Alembert ; de Piron, de Jean-Jacques Rousseau, de Mirabeau. On montre encore la table devant laquelle s'asseyait l'ami du roi de Prusse.

M. Étienne Charavay, le savant paléographe, fondateur de la Revue des documents historiques ; M. Anatole France, l'auteur des Poèmes dorés, ont fréquenté Procope. Un de ses clients les plus bizarres a été M. Montferrand, géologue distingué, voyageur par goût. Il s'occupait à relever toutes les bourdes qu'il trouvait dans les journaux. Sa collection est déjà considérable, et si jamais elle est publiée, elle aura un succès de curiosité. Le cercle républicain de la rive gauche s'est installé dans les salons de l'entresol. Des conseillers municipaux, des avocats, des industriels font partie de cette réunion politique fondée par M. Hérisson.

Mais là on ne brûle point sur la chaussée les journaux dont l'opinion déplaît, on se contente de les discuter. Un pharmacien emporté parle bien quelquefois de tout supprimer, mais il n'en pense pas un mot et serait désolé de faire de la peine même à un adversaire politique (Ce cercle n'existe plus depuis le commencement de 1841).


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